Alors que s’ouvre aujourd’hui son procès, Le Courrier d’Europe centrale a pu s’entretenir avec l’avocat bélarusse Maksim Znak, détenu à Minsk depuis septembre 2020, pour évoquer ses conditions de détention, sa défense, et revenir sur son implication dans la campagne électorale de 2020.
Article publié en coopération avec la Heinrich-Böll-Stiftung Paris, France.
Ce mercredi s’ouvre le procès de Maksim Znak, un avocat de 39 ans qui a défendu des opposants politiques à Alexandre Loukachenko. Il a été l’avocat de Viktor Babaryka, candidat à la présidentielle arrêté avant même le scrutin et condamné à quatorze ans de prison, et de Svetlana Tikhanovskaïa, figure de la révolution, aujourd’hui exilée à Vilnius.
Il est membre du présidium du Conseil de coordination, l’organe chargé d’assurer la transition démocratique au Bélarus après l’élection présidentielle contestée d’août 2020. Marié à l’avocate Nazdezhda Znak et père d’un petit garçon, Maksim Znak a été arrêté il y a près d’un an, au mois de septembre 2020, alors qu’il se rendait dans les locaux du quartier général de l’opposition unie, à Minsk.
Dans l’attente de son procès, dont le verdict ne sera pas connu avant plusieurs mois, il est détenu à la prison n°1 de Minsk. L’opposante Maria Kolesnikova, kidnappée par les autorités un jour avant lui en plein centre de la capitale bélarusse, et qui a préféré déchirer son passeport à la frontière plutôt que de quitter le pays, sera jugée en même temps. Les procès ne sont ouverts ni au public, ni aux journalistes.
Ania Nowak / Le Courrier d’Europe centrale : Quelles sont vos conditions de détention ? À quoi avez-vous pu vous habituer ?
Maksim Znak : Bien sûr, les conditions de détention sont meilleures maintenant, mais je sais avec certitude qu’elles peuvent empirer à tout moment. L’homme s’habitue à tout, et pour les Biélorusses, s’habituer aux difficultés est considéré comme une particularité nationale !
En un sens, je me suis habitué à la détention, et les jours passent, remplis d’activités qui peuvent paraître très étranges au citoyen ordinaire. J’essaye de noter ces moments absurdes et tragi-comiques.
Il y a certaines choses, quand vous y pensez, auxquelles il est impossible de s’habituer. Par exemple, l’impossibilité de recevoir certaines petites choses, comme du kéfir, du coca, des bananes, des framboises, un taille crayon… Parfois, c’est quelque chose d’abstrait qui manque, que je n’avais pas apprécié, ou même remarqué, avant. En dehors des choses évidentes qui peuvent manquer, le plus dur pour moi fut de m’habituer à l’absence d’obscurité et de solitude.
C’est bien que nous – ceux qui sont dans la même situation que moi – ne nous y habituons pas complètement. Parce que s’y habituer signifie être en accord avec le concept imposé : vous méritez cela, vous êtes des criminels, et c’est normal que vous ne puissiez pas faire la plupart de ce que les gens normaux peuvent faire. Mais nous ne sommes pas d’accord, nous ne nous y faisons pas.
Vous êtes vous-même avocat. Quel rôle jouez-vous dans votre propre affaire judiciaire ?
On dit que les avocats américains ont un dicton : « Un homme qui est son propre avocat a un imbécile pour client ». J’ai donc une excellente équipe de défenseurs.
Malheureusement, l’un de mes avocats, Sergei Zikratsky, a été déchu de sa licence. Ma défense est assurée par des spécialistes du code pénal – Dmitry Laevsky et Yevgeny Pylchenko – qui n’est pas ma spécialité. L’avocate Nadezhda Znak [son épouse – Ndlr.] contribue à unir les efforts de la défense, elle accorde une grande attention à tous les détails de l’affaire, cherche des gouttes d’information utiles dans un océan de données. Mes avocats sont fantastiques ! En observant l’affaire de l’extérieur, c’est plus facile de conduire la défense, de rester impartial et donc de mieux comprendre comment les documents pourraient être interprétés au tribunal.
Mais je ne reste pas étranger à mon dossier : vous ne pouvez pas imaginer avec quel enthousiasme un avocat est prêt à travailler si pour la première fois en neuf mois, il a une chance de faire ce qu’il aime, et que sa vie entière, sa vie future – sans exagérer ! – dépend du résultat.
Je traite mon affaire avec le maximum d’attention. Pendant toute la durée autorisée – un mois – j’ai lu quotidiennement les dossiers, pris des notes, dessiné des diagrammes et montré les preuves de l’incohérence de l’accusation avec les faits.
Parfois, on m’écrit que c’est naïf de compter sur une procédure impartiale, ou même sur la base légale de l’affaire. Cependant, durant toute la campagne électorale, nous avons constamment utilisé les opportunités légales pour protéger nos droits, et je ne vais certainement pas y manquer cette fois non plus.
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Regrettez-vous d’avoir rejoint l’équipe du candidat Viktor Babaryko pour la présidentielle 2020 ?
Je ne voudrais pas que mes mots “je ne regrette rien” aient l’air d’une bravade, donc je vais essayer de m’expliquer de façon pragmatique. Dans la vie, avec l’objectif que notre humeur soit, dans ce cocktail émotionnel, dominée par la satisfaction et la conscience d’avoir bien agi, au lieu des regrets et de l’abattement, il suffit d’agir décemment et pour le bien. Il y a un an, j’ai travaillé avec acharnement pour le bien, et sur la base du droit. Donc j’ai la conscience tranquille en ce qui concerne le bien fondé de mes actions.
Mais quittons l’émotion pour la logique. Aujourd’hui, en tant qu’avocat, je sais, pour l’avoir vécu personnellement, ce qui s’est produit – et ce qui ne s’est pas produit – durant la campagne électorale de 2020. Les problèmes que nous avons rencontrés étaient globaux, et ils sont importants pour tous les membres de la société.
Pour utiliser une métaphore, vous pouvez vous demander : faut-il regretter d’être allé dans la cave pour découvrir un début d’incendie, ou est-ce mieux de ne jamais ouvrir la porte et de vivre dans une calme ignorance ? Ce n’est pas mieux, évidemment. Je ne le regrette pas.
« Nous sommes simplement venus pour participer à la campagne électorale avec des méthodes et des moyens légaux, puisque les élections étaient annoncées dans le pays, et que tout le monde pouvait y participer ».
Étiez-vous préparé aux conséquences de votre engagement ?
Les 8 000 personnes qui ont signé, en mai 2020, pour rejoindre l’initiative de Viktor Babaryko, dont je fais partie, ont théoriquement admis la possibilité de conséquences négatives. Mais presque personne ne pouvait prédire l’ampleur et l’asymétrie de la répression. Les bénévoles au quartier général ne peuvent pas être considérés comme des combattants ou des révolutionnaires. Nous sommes simplement venus pour participer à la campagne électorale avec des méthodes et des moyens légaux, puisque les élections étaient annoncées dans le pays, et que tout le monde pouvait y participer. Comme dans le cas de l’incendie caché dans la cave, c’est bien que nous ayons tout découvert, et qu’il n’y ait plus d’illusions. C’est bien, mais extrêmement décevant, à la fois pour ceux qui ont succombé à la pression, et pour ceux qui se retrouvent pris dans une spirale infernale, qui ont touché le fond depuis longtemps déjà et qui, pourtant, semblent continuer à tomber indéfiniment.
Que pensez-vous que les acteurs internationaux doivent faire pour influencer la situation au Bélarus ?
Depuis plusieurs mois, je n’ai pas eu accès à des informations complètes sur ce qui se passe au Bélarus et dans le reste du monde, donc je ne peux pas commenter, mais plutôt deviner. Il me semble que le principal, quand on choisit d’agir, c’est de se souvenir que le bénéficiaire final de toute assistance, que dans toutes les actions que les Bélarusses eux-mêmes devraient entreprendre, ils sont le but, et jamais le moyen. Ironiquement, 2021 a été déclarée l’année de l’unité nationale au Bélarus. Donc même les petits pas vers un consensus, un retour à la loi et à la vérité, sont déjà beaucoup. Je ne sais pas s’il y a un moyen de commencer un dialogue constructif, plutôt qu’un simulacre de dialogue mâtiné de violences. Mais je pense que chaque jour nous nous éloignons de l’endroit où notre chemin vers la normalité aurait dû commencer.
Propos recueillis par Ania Nowak.