George Birnbaum, associé du défunt Arthur J. Finkelstein, consultant en marketing politique pour les droites dures de par le monde, a raconté à « Das Magazin » comment il a aidé Viktor Orbán à revenir et se maintenir au pouvoir depuis dix ans en manipulant l’opinion, notamment en faisant de George Soros l’ennemi public N°1 en Hongrie.
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- Le duo Finkelstein-Birnbaum a travaillé pour Viktor Orbán dès 2008, par l’entremise de l’Israélien Benyamin Netanyahou.
- Il est à l’origine de la campagne en Hongrie contre le milliardaire américano-hongrois George Soros.
- « Finkelstein avait toute la confiance d’Orbán », affirme Birnbaum.
George Birnbaum, un consultant politique américain, se targue d’avoir œuvré à la réélection d’une quinzaine de chefs D’État et de gouvernements de par le monde. Il est le plus proche conseiller du défunt Arthur J. Finkelstein, le « marchand de venin », décédé à l’été 2017. Finkelstein, le spin doctor aussi mythique que discret des droites dures aux États-Unis, en Israël et en Europe post-communiste. Birnbaum s’est confié, pour la première fois, sur ses activités passées de consulting au magazine suisse « Das Magazin », révélant les dessous de la machine de propagande du gouvernement nationaliste hongrois.
Si George Soros, le financier milliardaire et philanthrope new-yorkais né en Hongrie en 1930, représente l’Antéchrist dans son pays natal plus encore qu’ailleurs dans le monde, si son portrait a été piétiné dans des bus de ville à Budapest, affiché sous un jour mauvais sur des milliers d’affiches de plusieurs mètres de long dans tout le pays, si l’on a vu des écoliers hongrois jouer à Orbán contre Soros comme aux cow-boy et aux Indiens, c’est beaucoup au duo Arthur J. Finkelstein-George Birnbaum qu’on le doit. Et aussi un peu à l’homme politique israélien Benyamin Netanyahou, comme nous allons le voir.
« [Soros], il suffisait de l’emballer et de le mettre sur le marché ».
Les nationalistes hongrois du Fidesz ont travaillé plusieurs années sous contrat avec Arthur J. Finkelstein. « Finkelstein avait toute la confiance d’Orbán », affirme Birnbaum. « Finkelstein n’a jamais eu de meilleur élève qu’Orbán », estime même un ancien conseiller du Fidesz cité par « Das Magazin ». « Soros s’est avéré être un ennemi parfait. C’est un libéral, il incarne ce que les conservateurs détestent à gauche : un spéculateur financier […], et il ne fait pas de politique, il n’a donc aucun levier politique de représailles et il ne vit même pas dans le pays. […] C’était tellement évident. C’était le plus simple de tous nos produits. Il suffisait de l’emballer et de le mettre sur le marché », raconte George Birnbaum.
Une collaboration qui remonte à 2008
Mais le travail de Finkelstein-Birnbaum auprès du gouvernement hongrois ne s’est pas limité à diaboliser George Soros. Leurs relations remontent à bien plus loin. Birnbaum affirme dans son entrevue avec « Das Magazin » ce que le Fidesz a toujours nié, sans conviction ni sans convaincre : qu’il avait officiellement contracté les services de Finkelstein. Un contrat a bien été signé et cela s’est produit dès la campagne pour les élections législatives de 2010, à l’issue de laquelle le Fidesz a repris le pouvoir aux socialistes, avec en prime une super-majorité parlementaire des deux-tiers. Dès 2008, c’est par l’entremise de Benyamin Netanyahou -qui s’apprêtait à revenir au pouvoir en Israël -que la Fondation Századvég liée au Fidesz (voir son site internet), a fait appel aux services de Finkelstein : un contrat d’une année pour préparer le retour d’Orbán au pouvoir en 2010. « Nous avons balayé les socialistes avant même le début des élections », se souvient Birnbaum.
La stratégie qu’il décrit est toujours la même à chacune des élections qui suivront : les électeurs ayant déjà arrêté leur choix bien avant les élections (selon le postulat de Finkelstein), il faut trouver un ennemi, un épouvantail, pour démobiliser l’électorat adverse. Pour les législatives de 2014, ce sera « la finance » et ses suppôts, « les bureaucrates étrangers ». Ils seront représentés par la Banque mondiale, le Fonds monétaire International et, bien sûr, l’Union européenne.
A grand renfort de matraquage médiatique contre ces institutions internationales et de placardage publicitaire dans tout le pays, le Fidesz n’a eu aucune peine pas à convaincre au début des années 2010, un pays encore secoué par la crise économique de 2008 et qui a laissé sur le carreau des centaines de milliers de ménages surendettés. A cette époque, dans les couloirs du métro et aux abribus on voit partout les publicités pour un livre qui révèle comment la petite Hongrie se trouve à la merci de la voracité des grandes puissances : « Qui attaque la Hongrie et pourquoi ? » (Kik támadják Magyarországot és miért?).
2018, l’apothéose
Pour les législatives suivantes, celle du printemps 2018, « il n’y avait plus d’opposition », dit Birnbaum. Comme les Socialistes et le Jobbik ne représentent plus une menace pour le Fidesz, il faut trouver de nouveaux adversaires directs. « Nous avions un client avec une majorité historique [le Fidesz, ndlr], quelque chose qui n’avait jamais existé en Hongrie auparavant. Pour maintenir cela, il faut un niveau d’énergie élevé. Vous devez maintenir la base survoltée, lui donner une raison de se déplacer le jour des élections suivantes ».
Cette campagne sera une apothéose pour les conseillers américains de Viktor Orbán et se soldera par une nouvelle victoire sans appel du Fidesz qui conservera, contre toute attente, sa « super-majorité ». Les campagnes de xénophobie se succèdent pour préparer le terrain, avec tous les moyens de l’État mobilisés, d’abord pour un référendum contre l’immigration à l’automne 2016. Car entre-temps, en 2015, plusieurs centaines de milliers de personnes venues du Moyen-Orient et d’Asie centrale ont traversé le pays, offrant un débouché politique inespéré pour un pouvoir qui s’usait.
Il faut une escalade. Orbán, se souvient George Birnbaum, cherche à donner corps à sa rhétorique nationaliste en renouvelant un récit national qui présenterait la Hongrie en victime de l’Histoire et le coupler avec la dénonciation d’un capitalisme financier vorace. C’est Finkelstein qui aura l’idée de désigner pour adversaire un vieil homme de près de 90 ans, qui présente l’avantage de ne pas pouvoir répondre directement aux coups puisqu’il n’est même pas politicien. George Soros sera celui qui incarnera ces menaces : « George Soros était l’ennemi parfait. […] C’était tellement évident »…