Le tribunal de Varsovie a demandé à Barbara Engelking et Jan Grabowski, deux historiens de la Seconde Guerre mondiale en Pologne, de s’excuser pour l’inexactitude de leur travail.
Coup dur pour l’avenir de la recherche indépendante en Pologne. Les historiens, Barbara Engelking, du Centre polonais de recherche sur l’extermination des Juifs, à Varsovie, et Jan Grabowski, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa, au Canada, sont sommés de s’excuser pour « inexactitude » dans un ouvrage portant sur le traitement des Juifs en Pologne durant la Seconde Guerre mondiale, a tranché mardi 9 février le Tribunal de Varsovie.
Les auteurs de Dalej jest noc (publié en 2018) — une étude en deux volumes de plus d’un millier de pages — n’auront toutefois pas à payer les dédommagements de 100 000 zlotys (22 355 €) réclamés par la plaignante, Filomena Leszczyńska, 80 ans, qui accuse les chercheurs d’avoir « diffamé » la mémoire de son oncle, Edward Malinowski. Ce dernier était maire de Malinowo, un village à l’est du pays, où des crimes antisémites auraient été commis durant le conflit.
Dans leurs travaux, les deux historiens ont mis en avant les implications de fonctionnaires locaux dans les dénonciations et les assassinats de Juifs. Parmi ces Polonais impliqués dans la traque des Juifs de la région, se trouvait un homonyme d’Edward Malinowski, le maire de Malinowo : c’est du moins ce que plaide la partie requérante, estimant ainsi qu’il y aurait eu erreur sur la personne. Certes, durant cette même période, deux maires de cette bourgade portaient le même nom et prénom, ce qui a induit une certaine confusion dans le récit relaté dans l’ouvrage, ont reconnu les chercheurs lors de l’audience. Mais ils maintiennent leur version des agissements du maire — soit l’oncle de la plaignante — quant au sort réservé aux Juifs.
Les deux historiens ont annoncé qu’ils feront appel de la décision. Au-delà des accusations d’inexactitude ou d’erreurs commises dans les travaux des historiens, plusieurs chercheuses et chercheurs pointent le « risque de censure censure du travail des historiens en Pologne sur cette question extrêmement sensible » (Audrey Kichelewski).
Nombreux sont ceux qui craignent qu’une telle décision judiciaire, et le recours à la plainte au civil, n’instille un climat de peur pour les chercheurs s’intéressant à l’Holocauste en Pologne. Surtout que la politique mémorielle est un sujet sensible, s’il en est, alors que le gouvernement national-conservateur du parti Droit et Justice (PiS), depuis cinq ans, opère un révisionnisme historique. La « Ligue polonaise anti-diffamation », l’organisation ayant épaulé la plaignante à l’occasion de ce procès, est d’ailleurs soutenue et financée par l’État. Son mantra ? « Poursuivre les manifestations de l’anti-polonisme ».
Audrey Kichelewski : « En Pologne, il y a un risque de censure des historiens de la Shoah »