Trois hommes face à la justice pour avoir hissé un caleçon rouge sur le Château de Prague

Ces jours-ci, on assiste à un procès un brin particulier devant le parquet de Prague. Lors des audiences, on sourit sur les bancs des accusés, l’avocat sourit, et même la juge ! Il n’y a que le procureur qui reste de marbre ; si ce n’est pas lui qui, de par son expression, engendre la gravité du spectacle, alors qui le fera à sa place ?

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Le caleçon rouge en tant que symbole du passé

Les trois hommes costumés, membres du groupe artistique Ztohoven (traduction littérale : « Les 100 merdes »), sont accusés de vandalisme, de dégradation d’un bien appartenant à autrui ainsi que de vol. Ce qui est un acte de vandalisme pour les autorités fut pour ces hommes une performance qu’eux-mêmes ils appellent « Linge sale du président ». Le 19 septembre dernier, profitant des travaux, ils sont montés par les échafaudages jusqu’au toit du Château de Prague, déguisés en ramoneurs. Ils ont enlevé l’étendard présidentiel portant l’inscription La vérité l’emporte (mot d’ordre du premier président tchécoslovaque Tomáš Masaryk, transformé en devise présidentielle) pour le remplacer par un caleçon rouge de taille éléphantesque et de 1,5 mètre de long.

Cependant, le caleçon n’a pas longtemps flotté au vent ; une fois redescendus au sol, les faux ramoneurs ont été appréhendés par les membres de la garde présidentielle, qui ont aussitôt baissé le caleçon… enfin, ils l’ont enlevé du toit de la résidence du chef de l’État.

Le caleçon rouge. Tous les hommes tchèques de plus de quarante ans s’en souviennent ; en coton dur et trop serré à l’entre-jambes, sous le régime communiste, il fut obligatoire pour les garçons lors des séances de culture physique depuis l’école primaire jusqu’à la fac. Quel est le rapport entre ce caleçon et le siège du chef de l’État ? Il est clair et net. Depuis le début de son mandat, l’actuel président Miloš Zeman se profile comme un nostalgique des temps où le rouge valait plus que toutes les autres couleurs. Ami du président russe Poutine, il est un fervent supporter du régime communiste chinois, alors qu’il ne trouve que des mots critiques pour l’Union européenne ou les États Unis…

À la fin, les trois intrus ont réussi à emporter l’étendard présidentiel (d’où l’accusation de vol). Ils l’ont découpé en 1150 morceaux qu’ils ont envoyés à autant de personnes choisies au hasard afin de « restituer l’étendard au peuple ». Le dernier petit morceau, ils ont en fait le cadeau à la juge lors de leur première audience.

Débiles versus derrière présidentiel

Selon son programme artistique, le leader du groupe Roman Týc chercherait à définir les limites de ce qu’on appelle un espace publique… tout en constant presque à chaque fois qu’il les aurait dépassées. Comme en 2007, lorsqu’il a remplacé les icônes des signalisations pour piétons du centre de Prague par un type en train de pisser, un autre en train de déféquer, encore un autre en train de boire au goulot, de tenir un chien en laisse etc., et qu’il a été traduit en justice pour ça.

Dans son langage de bistrot dont il a le secret, le président Zeman traite ces artistes frondeurs de « débiles » ; quant à ces derniers, à côté d’une vidéo retraçant l’acte de remplacement de l’étendard présidentiel par le caleçon rouge, ils ont publié ce poème sur leur site Internet :

Rouge comme un drapeau chinois
Marque dembarras ou bien dune claque
Le caleçon du président flotte sur le toit
Du Château de Prague 

Il flotte avec tant de tristesse
Sans ignorer un derrière
Ce derrière qui sans cesse
Nous fait retourner en arrière

Au-dessus de la ville il flotte
L’enseigne du maître du pays
L’arbitre d’élégance et patriote
Source d’une sagesse inouïe.

Selon l’un des accusés, leur but était de tester les valeurs qu’ils considéraient comme essentielles pour une démocratie occidentale. Le résultat du test sera connu au moment du verdict.

Ceci dit, le procureur a raison de froncer les sourcils : pour ce crime de lèse-majesté qui ne dit pas son nom, les trois récidivistes encourent jusqu’à trois ans de prison.

Martin Daneš

Écrivain et journaliste

Dans les années 1990 et 2000, il a successivement dirigé trois périodiques tchèques : le quotidien Denní Telegraf (Télégraphe journalier), le mensuel Mezinarodni politika (Politique Internationale) et la version tchèque de Hustler, l’illustre magazine pornographique créé par l’Américain Larry Flynt.