Lundi soir, à la tombée de la nuit, des Varsoviens et des Varsoviennes ont bloqué la circulation pour protester contre leur gouvernement et la fin quasi-totale du droit à l’avortement en Pologne.
Reportage à Varsovie – Ce lundi 26 octobre, en fin de journée, plusieurs blocus ont été mis en place sur les axes principaux de Varsovie à l’appel du collectif « Strajk Kobiet » (la grève des femmes). Depuis jeudi 22 octobre et l’annonce du Conseil constitutionnel qui déclarait inconstitutionnel l’avortement en cas de malformation du fœtus, ce mouvement organise nombre d’événements pour manifester son opposition au gouvernement du Droit et Justice, le PIS. En effet, cette décision rend l’avortement quasiment interdit en Pologne, ce qui est vécu comme un retour en arrière et une atteinte aux droits humains. Récit d’une soirée, entre abattement et espoir.
Depuis plusieurs jours maintenant, les comptes Instagram, Facebook et Twitter du mouvement « Strajk Kobiet » annonçaient la mise en place de blocus dans toute la capitale polonaise, mais ce n’est que le 25 octobre, soit la veille de l’événement, que les lieux de ces actions ont été révélés. Dès 16 heures lundi, les nombreux ronds-points et carrefours de l’axe principal de Varsovie sont pris d’assaut par des manifestants à pied, à vélo ou en voiture. Aux ronds-points Charles de Gaulle et Waszyngtona, voitures, bus et tramways sont bloqués, et un embouteillage s’étend jusqu’au pont Poniatowskiego. Sur place, les voitures klaxonnent au rythme des manifestants qui scandent des slogans réclamant le départ du gouvernement. A ce brouhaha se mêle le mythique Who run the world (Girls), de la chanteuse Beyoncé. On brandit des pancartes peintes en rouge sang, et beaucoup de manifestants arborent un masque décoré d’un éclair rouge, emblème de la lutte.
Vers 17 heures, une partie des manifestants emprunte les vois désertées par les voitures et les tramways pour rejoindre le rond-point Centrum, un des centres névralgiques de Varsovie. Dans le cortège, on retrouve des étudiants, des familles, des personnes âgées, des hommes mais surtout des femmes. Tous sont là pour défendre les droits des femmes, pour lutter contre les abus d’un gouvernement qui, de leur avis, ne les prend pas en compte.
Quand je rencontre Agata et ses amis, place Zawiszy, nous avons déjà parcouru plusieurs kilomètres. La jeune étudiante en deuxième année de psychologie m’explique qu’elle et les autres manifestants ne sont pas des monstres, comme veut le faire croire le gouvernement du PIS et que ce n’est pas contre les enfants qu’elle est ici aujourd’hui, mais bien pour le droit au choix.
Pour son amie, c’est une insurrection contre un gouvernement « hypocrite » qui se déroule. Elle dénonce le non-accompagnement des enfants puis des adultes en situation de handicap, qui selon toute logique, devraient être de plus en plus nombreux à l’avenir avec cette loi. « Il n’y a aucune aide pour leur éducation, pas de mesures non plus pour leur permettre d’accéder à un travail », dit-elle.
De l’hypocrisie, c’est entre autres ce que reproche Ania au gouvernement polonais. Fraichement diplômée de l’Université de Médecine de Varsovie, la jeune médecin s’insurge du nombre d’avortements illégaux déjà très élevé et qui selon toute logique augmentera. Selon elle, le gouvernement est parfaitement conscient du problème sanitaire que cause cette législation : « Celles qui ont de l’argent vont à l’étranger, mais celles qui ne peuvent pas payer le font en Pologne, illégalement et dans des conditions dangereuses », conclue-t-elle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les étudiants de l’Université de Médecine de Varsovie ont tenu à organiser leur propre blocus.
« Beaucoup de personnes dans les campagnes ont peur des Juifs, des membres de la communauté LGBTQ+, sans même en avoir jamais croisé ! ».
Ania et ses amis savent que ce qui a poussé le Conseil constitutionnel à prendre une telle décision, en dépit de ses conséquences sanitaires et sociales, c’est l’influence de l’Église polonaise sur la vie politique. Pour eux, c’est même le cœur du problème : « si tu ne réponds pas au modèle qu’ils essayent d’imposer, tu es forcément défavorisé par le gouvernement ».
Ania pointe également ce qu’elle considère comme la manipulation des personnes qui vivent en milieu rural par le gouvernement : « Souvent ils ne sont pas assez éduqués ce qui permet au gouvernement de les manipuler grâce à la télévision. Par exemple, beaucoup de personnes dans les campagnes ont peur des Juifs, des membres de la communauté LGBTQ+, sans même en avoir jamais croisé ! ».
Cependant, ce que reprochent les jeunes gens au gouvernement, c’est surtout une accumulation de mesures qu’ils jugent contraires aux droits humains. En effet, comme le précise Ania, ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de leur enlever ces droits : en 2016 déjà, le gouvernement polonais avait tenté de supprimer cette condition au droit à l’avortement avant de reculer. Elle estime d’ailleurs que si un nouveau confinement venait à être déclaré, les manifestations ne s’arrêteraient pas pour autant : « Je crois que nous en avons vraiment assez, c’est la mesure de trop ».
Alors que nous rebroussons chemin pour retrouver le rond-point Charles de Gaulle, je demande à Ania ce qu’elle attend de la part du gouvernement après ces mouvements. « Maintenant, c’est trop tard, ils ne pourront pas revenir en arrière, il faut que le PIS quitte le gouvernement ». Agata elle, a presque perdu espoir. Pour elle, le gouvernement est au-dessus des lois et elle espère tout au plus pouvoir faire entendre sa voix lors de ces manifestations.
« L’Union européenne aurait dû faire quelque chose avant que cela ne dégénère ».
Au croisement de la Place Starynkiewicza, je rencontre Bogna et Anna, deux lycéennes, assises sur une palette, pancartes sur les genoux. Elles me disent être très inquiètes pour leur avenir. « J’aime vivre en Pologne, mais c’est le gouvernement que je n’aime pas », dit Bogna. Anna, des sanglots réprimés dans la voix me dit avoir honte de son pays et de son gouvernement. « Je voudrais aller étudier à l’étranger, parce qu’ici c’est tellement triste ». Elles se sentent abandonnées et isolées, dans un pays qui fait partie de l’Union européenne mais qui n’en épouse pas les valeurs. Ania me demande si leur combat trouve un écho dans les médias en France. « L’Union européenne aurait dû faire quelque chose avant que cela ne dégénère », regrette-elle.
Face à un gouvernement qui ne les écoutera pas, et après des manifestations qui resteront sans doute vaines, comme semble le penser la plupart des manifestantes, ne reste plus que l’espoir, m’explique une maman venue avec son fils de huit ans, qui tient fièrement une pancarte où l’on peut lire « Je n’aime pas le PIS ». L’ambiance est d’ailleurs festive au rond-point Charles de Gaulle, où les voitures bloquent toujours le passage, et servent d’enceintes géantes. Des militants dansent autour du palmier planté au centre du rond-point et sur les tramways abandonnés on peut lire « Piekło Kobiet », « l’enfer des femmes », qui ce soir semble être mis entre parenthèses.