Diffusée depuis octobre dernier sur M1, la première chaîne publique hongroise, « Hongrie, je t’aime ! » (Magyarország, szeretlek !) une émission hebdomadaire truffée d’images d’Epinal, pose encore la question de l’instrumentalisation de la culture à des fins politiques dans la Hongrie de Viktor Orbán.
Propagande et production d’identité nationale
Il s’agit d’un jeu d’origine hollandaise cuisiné à la sauce hongroise. Composé de quizz historiques et culturels soumis à des « pipoles » locaux, dont la plupart sont notoirement acquis à la cause de la Fidesz, ce jeu est en grande partie consacré à ce que les Hongrois ont apporté au monde, notamment par leurs découvertes et leurs inventions. Le contenu intellectuel concentré ressemblerait donc comme deux gouttes d’eau au fameux spot promotionnel concocté l’an dernier par l’équipe de communication de la présidence hongroise de l’Union européenne.
Sauf qu’ici, la cible n’est plus l’étranger, mais le Magyar. Sous couvert de méthodes pédagogiques, l’objectif de « Hongrie, je t’aime ! » est de donner au pays une image naturellement positive de lui-même. « Ce programme est-il un déguisement de la droite au pouvoir, ou est-ce un simple divertissement qui vise à entretenir la mémoire collective et produire de l’identité nationale ? » s’interroge le quotidien de gauche Népszava. Selon Index.hu, pourtant souvent critique et parfois même satirique, « cette émission n’est pas politisée ».
A déguster : les deux premières minutes de l’émission, avec la version hongroise de Why can’t we be friends, du groupe de funk californien des 70’s, « War ».
Un « je t’aime ! » ridicule qui coûte cher
S’intéresser aux valeurs culturelles, traditionnelles et historiques de sa patrie, c’est bien, mais la fin justifie-t-elle les moyens financiers de ce divertissement ? Produit par le service public, il coûterait 19 millions de forints par diffusion (environ 65 000 euros). Le double aurait été investi à son lancement, une campagne de communication assez conséquente en terme d’investissements. A titre de comparaison (bien que la fréquence, la durée, la composition de l’émission soient différentes), le budget de Questions pour un champion sur France 3 est de 20 000 euros par diffusion.
D’autre part, malgré son budget, Magyarország Szeretlek ! (qui dure plus d’une heure) ne laisse pas de place à la publicité. En admettant qu’il ne contienne pas de message politique direct, il sert au moins un intérêt idéologique. Une idéologie totalement décrédibilisée par l’emballage de l’émission, emprunté aux programmes commerciaux. Ce « nationalisme kitsch » ne valorise pas la télévision hongroise, bien au contraire. Et les pages de publicité n’échappent pas non plus au patriotisme magyar, en particulier lorsqu’il s’agit de marques nationales :
Quel intérêt général ?
Au-delà du fait que MTV n’est pas un média indépendant, la question de l’intérêt général national se pose ; une notion difficile à cerner en Hongrie, en raison d’un rapport déformé à la nation. Avant 1991, la question de la nation a volontairement été écartée au profit de l’idéologie communiste. Depuis, la gauche hongroise et les intellectuels libéraux ont eu du mal à définir clairement leur relation à la patrie, elle était résumée simplement au refus de symboles nationaux, jugés trop « nationalistes ». Pendant ce temps, la FIDESZ et l’extrême droite naissante dans les années 2000 se sont approprié le privilège des symboles de la fierté hongroise, comme le port de la cocarde les jours de fête nationale. Aujourd’hui, la Fidesz au pouvoir a rendu les symboles nationaux inséparables des symboles politiques.
L’Art de la politique et la Politique des arts
Avec ce jeu télévisé censé (re)dorer l’image du pays, l’instrumentalisation politique de la culture sur le petit écran est à la fois plus insidieuse et plus grossière que ce que l’on peut voir en ce moment à la galerie nationale.
Les exemples de confusion entre créations artistiques et politique gouvernementale sont nombreux depuis l’arrivée de Viktor Orbán au pouvoir. Tous les moyens sont bons pour imposer « l’authentique » culture hongroise et pour instaurer la mythologie nationale qui va avec. A l’image du Nouveau Théâtre offert à Gyorgy Dörner et feu István Csurka, il s’agit de revaloriser la culture « agrarienne » (du terroir), la véritable culture magyare selon la droite hongroise, au détriment de la culture « urbaniste » (bourgeoise et « enjuivée » selon les termes employés par l’extrême droite).
Parallèlement à l’exposition Des Héros, des Rois et des Saints, à la galerie nationale du château de Buda, l’exposition des illustrations de la nouvelle Constitution hongroise est un autre symbole fort de cette tendance : 15 tableaux commandés fin 2011 par Imre Kerényi, le commissaire personnel du Premier ministre, qui imposent l’interprétation subjective de la Fidesz comme récit officiel de l’Histoire contemporaine et de l’actualité politique hongroise. Certaines de ces croûtes sont d’ailleurs des chefs d’œuvre de réécriture de l’Histoire.
Du côté des autorités, on n’hésite pas à instaurer une dialectique malsaine entre culture et politique : selon la nouvelle loi fondamentale hongroise, « l’Académie hongroise des Arts » (qui n’était jusque-là qu’une association privée de créateurs nationalistes et fidèles à Viktor Orbán) est aujourd’hui située au même rang d’importance que l’Académie hongroise des Sciences.
En janvier dernier, à propos de l’exposition et de l’émission Magyarország Szeretlek, le quotidien slovaque SME jugeait la culture étatique hongroise « de plus en plus risible » : « On remplace la réalité par une mythologie politiquement motivée (…) Cette façon maniaque d’assurer son auto-promotion évoque l’image d’un paranoïaque complexé, qui a sans cesse besoin d’être convaincu de sa propre importance et ne souffre aucune critique ». Le style est peut-être exagéré, mais les lecteurs slovaques diront que c’est de bonne guerre.
Alexis Laki et Hu-lala
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Défendre ou valoriser son pays, sa culture, son histoire et ses talents n’a rien de dépassé ou malvenu, surtout pour un peuple au fond assez mal connu hors de ses frontières. MAIS il est très important pour une information objective que l’on comprenne parfaitement les modalités de cette défense ou valorisation – fut-elle kitsch comme vous dîtes -, donc de savoir précisément et concrètement ce que se disent chacun des intervenants.
Toutes les vidéos sous ce thème « Magyarország, szeretlek ! » se ressemblent très certainement, donc il conviendrait d’assurer le sous-titrage complet (en français de préférence) d’au moins une d’entre elles, afin que l’on comprenne bien par soi-même les tenants et les aboutissements de l’émission.
Sans cet effort de communication-traduction, il est difficile de mesurer la véracité de vos affirmations que l’on peut dès lors juger partiales et incomplètes.
Merci donc d’avance de prendre le temps et le soin nécessaires à cette réalisation.
Ca serait bien d’arréter d’employer le mot « nationalisme » à tout va!
Ceci dit, même si je trouve l’idée bonne, je trouve que cette émission est carrément ridicule…
Ce n’est pas l’émission en soi qui pose problème. Qu’y a-t-il de mal à être fier de son pays ? Pour le kitsch, d’autres pays ne s’en sortent pas mal non plus (voir la RAI, par exemple).
Ce qui me gène, c’est le moment pour lancer ce genre d’émission. Qu’on le fasse quand tout va bien, pourquoi pas ? Mais aujourd’hui, alors que la société hongroise est divisée (elle l’est depuis longtemps, vous me direz), que pas mal de Hongrois que je côtoie ne sont pas très fiers de ce qui se passe chez eux, était-ce bien utile ?
C’est comme si le gouvernement en place voulait en remettre une couche….
J’ai parfois l’impression que la « bande à Viktor » aime à créer la polémique.
Mais attendez, ca se justifie! Le monde entier doit reconnaitre que le Rubikub est une invention hongroise, que tous les artistes et scientifiques hongrois ont pu exercer dans leur pays grace un climat toujours favorable a la créativité, que le logiciel Excel et le frigo sont sortis du génie d’un seul magyar et pas d’une équipe, que l’eau de vie de fruit et les crepes c’est que en Hongrie que ca se passe! J’ironise bien sur!