Avec son film « Havel », qui a fait sensation en République tchèque à sa sortie cette année, le réalisateur Slávek Horák a voulu montrer l’homme avant le mythe. Au risque de le désacraliser et non sans s’attirer des critiques. Nous l’avons rencontré.
Le biopic Havel met en scène la vie de Václav Havel entre 1968 et 1989, dans les années où il s’opposait au régime totalitaire communiste. Le film propose un portrait confidentiel du dramaturge, dissident et futur président tchécoslovaque. Il dévoile des moments de vie privée et montre sa quête de liberté, de vérité, mais aussi la persécution qu’il a subi et l’emprisonnement.
Accusé par certains d’avoir procédé à des raccourcis simplistes, le réalisateur Slavek Horák n’a pas hésité à dévoiler les relations amoureuses de Havel, ainsi que ses propres doutes sur son engagement. Cet aspect, jamais abordé ainsi en public, a valu au film à sa sortie, en août dernier, un accueil plutôt mitigé, suivi de quelques de controverses. Tandis que la veuve de Havel, Dagmar Veskrnová-Havlová, a ouvertement soutenu le film et son réalisateur, un groupe d’anciens amis et de proches collaborateurs du président, a résolument refusé l’image véhiculée par ce film qui cherche à « humaniser » le personnage en soulignant ses faiblesses aux dépens de ses qualités : sa hauteur de vue, la noblesse de son engagement, son autorité naturelle.
« Havel n’était pas un faible. Il était le symbole de droiture », ont déclaré les signataires d’une lettre ouverte, parmi lesquels l’ancien Premier ministre et président du Sénat Petr Pithart, l’ancien ambassadeur Petr Janyška, et bien d’autres. Ces critiques rappellent que Havel était « un homme fort qui a changé l’histoire », doté d’un grand talent d’organisation et d’un grand charisme qui, à l’épicentre de l’opposition, a su rassembler.
« C’était un maître des mots, car peu de gens étaient capables de décrire le marasme des années soixante-dix et quatre-vingt et de formuler les revendications de l’opposition. En même temps, il a eu le courage de le payer par des années d’emprisonnement à répétition et la persécution policière », ajoutent-ils. Selon eux, le film fait de Havel une caricature, abîmant ainsi l’un des éléments positifs de l’identité nationale moderne.
Mais du point de vue de son réalisateur Slávek Horák, le film ne se veut pas le portrait d’une icône, mais celui d’un homme. L’histoire n’est qu’au premier plan, le film propose avant tout une grande histoire passionnante, rare et peu connue.
Le film a été un succès au box-office à l’occasion de sa sortie en République Tchèque. Indéniablement aussi parce que le couple Václav et Olga est incarné par les excellents acteurs Viktor Dvořák et Aňa Geislerová.
A l’occasion de la sortie en VOD en république tchèque, nous avons interrogé son réalisateur, Slávek Horák.
Entretien avec Slávek Horák
Le Courrier d’Europe centrale : Václav Havel est décédé il y a neuf ans, le 18 décembre 2011. Issu d’une importante famille d’entrepreneurs et de producteurs, fondateurs de l’industrie cinématographique à Prague, Il est devenu un homme politique et dramaturge de renommée mondiale. Comment avez-vous approché ce défi de réaliser son premier biopic ?
Slávek Horák : J’ai embrassé cette opportunité avec enthousiasme et la joie de pouvoir travailler sur une histoire extraordinaire, qui en plus, repose sur la réalité. Cet enthousiasme m’a permis de mettre tout le reste de côté, toutes les peurs et les inquiétudes quant à sa voir si le film serait « objectif », car au final, chaque film présente une vision subjective de l’auteur.
« Nous avons commencé à oublier quel homme d’exception nous avons eu la chance d’avoir parmi nous, alors je pense qu’il est grand temps de le rappeler ».
N’avais-vous pas eu peur d’arriver trop tôt avec ce film ? Beaucoup de gens se souviennent encore de Havel et ne manqueront pas de confronter votre vision avec la leur.
J’étais plus inquiet d’arriver trop tard avec le film ! Les événements dont nous parlons ont entre trente et cinquante ans. Mais par-dessus tout, j’ai l’impression que nous avons commencé à oublier quel homme d’exception nous avons eu la chance d’avoir parmi nous, alors je pense qu’il est grand temps de le rappeler. Le fait que tout le monde ait son opinion sur lui, c’est évident. Moi j’ai fait un long-métrage par lequel j’exprime mon point de vue, mon opinion sur Václav Havel. Je n’ai pas peur de la comparaison, il est clair que beaucoup de gens, surtout de son entourage immédiat, le connaissaient bien mieux que moi.
Combien de temps a duré la production du film ? A-t-il été facile de collecter des fonds pour un film d’époque aussi exigeant en République tchèque ?
Nous avons fait des recherches, écrit le scénario pendant environ trois ans, puis un an de préparation, trois mois de tournage et enfin trois-quarts d’année de finitions, pour un total de cinq ans de travail. Trouver de l’argent a été étonnamment facile, en particulier grâce à mes amis Prokop Svoboda et Václav Dejčmar (entrepreneurs, mécènes et philanthropes notoires en Tchéquie – Ndlr.), qui ont investi leur propre argent dans le film et ont rassemblé des investisseurs qui ont cofinancé la moitié du film. L’autre moitié du budget nous a été attribuée par le Fonds de cinéma tchèque et de la Télévision tchèque.
La ressemblance physique des acteurs avec les personnages incarnés, est frappante, en particulier le couple Havel et son épouse Olga. Comment avez-vous trouvé les acteurs ?
Je voulais surtout qu’ils aient des caractères proches des personnages. Et le fait qu’ils leur ressemblent physiquement était en fait un heureux bonus. Et comme ce sont de grands acteurs, ils ont tous su créer leurs propres personnages à partir du scénario. Après il nous restait seulement à peaufiner les détails pendant le tournage.
La trame du film est bâtie sur la relation de Václav Havel avec son épouse Olga. Comment avez-vous eu accès aux détails de leur vie privée ?
Beaucoup de choses ont été déjà écrites sur eux. Nous avons parlé à leurs amis, par exemple Anna Freimanová et son mari Andrej Krob qui possédaient une résidence secondaire à côté de celle de la famille Havel. Ils ont donc été en contact avec eux tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt. Notre intention n’était pas de se nourrir des histoires de tabloïds.
Certains personnages et certaines scènes sont totalement fictifs. Quels moments authentiques vouliez-vous capturer dans le film ?
La plupart des scènes sont basées sur ce qui s’est réellement passé. Parfois il a été nécessaire de les adapter à la construction dramatique, pour que le film fonctionne, non seulement comme un témoignage sur l’homme et le temps, mais surtout comme expérience émotionnelle.
Pensez-vous que le film a une chance d’atteindre un public à l’étranger, qui plus est dans le contexte actuel de crise sanitaire ?
J’espère que « Havel » pourra être vu par des spectateurs étrangers. Le film est déjà sélectionné dans plusieurs festivals, mais la plupart se déroulent en ligne à cause de la fermeture des cinémas. Heureusement, le film est disponible maintenant en ligne, sur des grandes plates-formes de streaming, et c’est un mode de distribution qui nous intéresse aussi.
Propos rapportés par Markéta Hodoušková.