« Aucun parti ennemi » n’a pénétré la vie politique locale, se sont félicités les deux candidats qui briguent la mairie de Lviv, à l’issue du premier tour dimanche. Dans la capitale de la Galicie orientale, les partis pro-Kremlin et celui du président Zelenskyy ne font pas recette comme dans les régions de l’est.
A Lviv, Ukraine – « Cinq partis entrent au conseil municipal de Lviv. “Slouha Narodu – Serviteur du Peuple” de Volodymyr Zelenskyy n’en fait pas partie ». Le titre d’un article du média en ligne Oukrainska Prvada confirme l’exception de la cinquième ville d’Ukraine, capitale de la Galicie orientale. Tout en confirmant sa fronde ouverte au président Zelenskyy, elle sort du premier tour des élections locales avec une municipalité morcelée. Lviv est la seule des grandes métropoles du pays où le maire, Andriy Sadoviy, n’est pas assuré d’être réélu à l’issue du second tour. Avec 40,6 % des voix selon des estimations de sortie des urnes, il doit faire face à Oleh Sinyoutka, bénéficiaire d’environ 30,7 % des suffrages.
L’entre-deux tours qui s’annonce féroce entre les deux hommes devrait vite se transformer en un plébiscite sur la personne du maire, en poste depuis 2006. Andriy Sadoviy est certes crédité d’une gestion moderne et rationnelle de ses plus de 700.000 administrés, ainsi que d’un ancrage pro-européen constant. Il est néanmoins critiqué pour des pratiques de népotisme et des conflits d’intérêt dans le secteur immobilier et dans la très juteuse industrie touristique. « Rien ne remonte directement à Andriy Sadoviy », détaille Yaroslav Roushchychyn, candidat malheureux au poste de maire pour le parti libéral « Holos – Voix ». « Mais la corruption est un fait parmi les responsables à la municipalité. En tant que chef, le maire aurait dû faire le ménage depuis longtemps ».
Andriy Sadoviy, c’est aussi le triste sort d’une étoile qui faiblit. En 2014, le Galicien était perçu comme l’un des réformateurs les plus sincères pour transformer le pays, après la révolution de la dignité. Il ne s’est pourtant pas immédiatement projeté sur le plan national, laissant son parti « Samopomitch – Auto-Aide » s’enliser dans une opposition stérile à la Verkhovna Rada (le Parlement) à Kiev. En sous-main, Andriy Sadoviy a aussi soutenu un blocus très controversé des territoires tenus par les forces séparatistes pro-russes et russes dans le Donbass. Une initiative non-assumée, qui lui a attiré l’inimitié du président d’alors, Petro Porochenko.
De sorte que, quand l’unique centrale de traitement de déchets de Lviv a brûlé en mai 2016, les autorités régionales et nationales ne se sont guère pressées pour l’aider à stocker et transporter les ordures qui s’accumulaient dans les charmantes rues pavées de la ville. En premier lieu Oleh Sinyoutka, alors gouverneur de région inféodé à Petro Porochenko. L’affaire de plusieurs mois a réduit considérablement les marges de manœuvre d’Andriy Sadoviy et entaché sa réputation. Quand il s’est présenté à la présidentielle de 2019, des sondages dramatiquement défavorables l’ont contraint à se désister au profit d’un autre, un mois avant le scrutin. Aux législatives de juillet, Samopomitch n’a pas franchi la barrière des 5 % nécessaire à l’entrée à la Rada. Ces déconfitures avaient, semble-t-il, convaincu Andriy Sadoviy de passer le relais.
« Personne ne devrait garder le pouvoir aussi longtemps. Il est temps de changer ».
A l’automne 2019, il annonçait quitter la politique. Un an plus tard, le voilà pourtant à briguer un quatrième mandat. Sa motivation première : encore et toujours les poubelles, et la défense d’un projet de centrale qui, bien que déjà avancé, est très critiqué par Oleh Sinyoutka. « Je dois m’assurer que ce plan arrive à terme, pour le bien-être des Lviviens », se justifie Andriy Sadoviy. Alors deux jours avant l’élection municipale, il annonçait avoir trouvé un constructeur néerlandais pour la centrale, à la suite d’une étude technique financée par la France. Le même jour, il accueillait à l’aéroport le premier avion-cargo d’une nouvelle liaison directe Lviv-New York. Le message est clair : ses efforts de long-terme paient.
Reste que 15 ans, c’est long. « Sadoviy a fait beaucoup de choses ici, et la ligne directrice de sa politique a bien aidé Lviv », explique Yaroslav Roushchychyn. « Mais personne ne devrait garder le pouvoir aussi longtemps. Il est temps de changer ». Les manigances politiciennes d’Andriy Sadoviy, de même que ses liens douteux avec plusieurs groupes oligarchiques, démontrent que le maire « appartient à une certaine génération de la vie politique, qui n’est plus souhaitable en Ukraine », assène le politologue Iouriy Sytnyk.
De fait, les électeurs se sont aussi positionnés sur une ligne médiane. Sans infliger une gifle cuisante à Andriy Sadoviy, ils ont minoré Samopomitch aux conseils municipal (20,4% des voix) et régional (8,6 %). A supposer qu’il soit réélu, il devra composer avec d’autres partis pour gouverner, en premier lieu avec « Evropejska Solidarnist – Solidarité européenne » de Petro Porochenko et Oleh Sinyoutka, en tête avec environ 30 % des voix dans chaque assemblée. Si le second tour s’annonce incertain, brutal même, c’est l’endossement du troisième homme de l’élection qui fera la différence. Rouslan Kochulinskiy, du parti nationaliste « Svoboda – Liberté », a remporté environ 10 % des suffrages.
De fait, ces trois principaux candidats, tous promoteurs de valeurs nationales et socialement conservatrices, préservent la réputation de Lviv comme bastion patriotique, qui se revendique comme une exception à la pointe de l’idée nationale ukrainienne depuis le 19ème siècle autrichien. Il est ainsi révélateur qu’aucun des candidats ne remet en cause la place prépondérante de la religion dans la politique de la ville. Dans le contexte politique actuel, c’est vis-à-vis de Kiev et du style novateur de la présidence Zelenskyy que Lviv fait valoir sa particularité.
A la fois Andriy Sadoviy et Oleh Sinyoutka se sont ainsi félicités « qu’aucun parti ennemi » ne pénètre la vie politique locale. Dans la ligne de mire, les partis pro-Kremlin qui ont brillé dans les régions de l’est, mais aussi « Slouha Narodu », accusé de populisme, de corruption et de compromission avec Vladimir Poutine et les principaux oligarques ukrainiens. Le parti présidentiel semble d’ailleurs avoir sciemment délaissé la Galicie, seule région à ne pas avoir soutenu Volodymyr Zelenskyy dans l’élection de 2019. Selon l’ONG d’observation d’élection OPORA, seuls 37,8 % des bureaux de vote étaient équipés en formulaires pour répondre aux fameuses « 5 questions du président », preuve que le parti n’y avait investi que des ressources minimes. Quelques jours avant le scrutin, Oleh Sinyoutka espérait que ces municipales marquent « le début de la fin pour le pouvoir vert (couleur de « Slouha Narodu », ndlr.) » Les résultats très faibles du parti semblent lui donner raison. Fort de cette défiance galicienne, nul doute que Lviv se verrait, une nouvelle fois, comme le fer de lance d’une reconfiguration politique majeure.