Le premier film de Jean-Marc Lamoure, Tarr Béla, I used to be a filmmaker, est en compétition au Festival International de Cinéma de Marseille. Ce documentaire a été tourné pendant la réalisation du Cheval de Turin, et prend involontairement l’aspect d’une rétrospective posthume sur Béla Tarr en tant que réalisateur, après que celui-ci a décidé qu’il s’agirait de son dernier opus.
A travers les surprises que réserve le tournage, à travers la manière de travailler de Béla Tarr et de sa troupe d’acteurs et de techniciens, tout en s’appuyant sur des images d’archives, Jean-Marc Lamoure dresse le portrait d’un réalisateur trop méconnu, dont les films sont malgré tout porteurs d’un message de portée universelle sur la condition humaine. Un hommage au cinéma d’un pays qui s’est révélé important dans la quête cinématographique du jeune réalisateur.
- Festival international de Cinéma de Marseille, du 2 au 8 juillet 2013
- Séances Spéciales : 4 juillet / 20h30 – 7 juillet / 12h15
- Tarr Béla, I used to be a filmmaker, Jean-Marc Lamoure, 2013, 85 minutes
Ce n’est pas la première fois que les caméras de Jean-Marc Lamoure se tournent vers l’Europe Centrale. Il y a deux ans, il a produit un projet documentaire intitulé Le pendule de Costel, suivant la vie quotidienne d’une famille rom en Transylvanie.
Lettre ouverte de Jean-Marc Lamoure à ses amis Magyars
Enfant je collectionnais des timbres postes livrés chaque mois par un cercle de philatélie avec lequel mes rapports s’arrêtaient là. Je passais ainsi des heures dans ma chambre à classer ces images venues d’ailleurs selon le sujet représenté, la forme du timbre ou son pays d’origine. De ces souvenirs troubles date une sérieuse suspicion quant à l’existence du pays Magyar dont je ne trouvais le nom ou les frontières sur aucun atlas à ma portée.
Des années et quelques voyages plus tard, cette étrange intuition trouve son écho lors de ma rencontre avec le cinéma hongrois. Je découvre alors des œuvres dont l’action aussi localisée soit-elle, sert le plus souvent un propos philosophique et politique à caractère transfrontalier. Un cinéma délesté du nationalisme ambiant, où s’émancipent les consciences et où se rencontrent les hommes et leur condition sur une plate-forme sans drapeau.
Essayant de m’arracher à la France et son autosatisfaction cocardière, à cette manie d’écrire l’histoire à la gloire du pays et de commémorer des bourreaux en lieux et place de héros anonymes, je débarque en Hongrie comme on atteint une île ou une oasis. Une vieille taverne européenne où l’on célèbre les défaites. Alors que le juke-box joue un bel air de désillusion nécessaire, j’y rencontre des femmes et des hommes pour qui le désespoir est un lieu commun, ni triste, ni gai, un point de départ désenchanté, comme pour mieux s’émanciper des vendeurs de bibles et de constitutions.
L’heure tourne à l’envers sur la pendule allemande de la taverne et un groupe d’habitants de la plaine est venu fêter la retraite d’un homme mûr. Ils ont contracté les services de quatre musiciens Tziganes pour les accompagner dans leur ivresse séculaire. Ces mêmes Tziganes à qui l’on ne manque pas une occasion de signifier qu’ils sont des corps étrangers à l’identité nationale hongroise.
Je glisse dans la nuit vers de grands bars à l’esthétique de squats sans artistes ni SDF… Ici, on manifeste en dansant me glisse un jeune militant. Les langues se délient à l’eau-de-vie et un improbable amour de la nation se mêle à la fumée, le drapeau hongrois est hissé sur les écrans de télé.
Ces hommes et ces femmes à qui ce n’est pourtant pas la peine d’essayer de raconter des histoires découvrent que les démocraties libérales accouchent de dictateurs en herbe ou de tyrans de bonne volonté. Je ne le savais pas non plus avant de voir « Hitler, un film d’Allemagne » d’Hans Jürgen Syberberg.
Je me réfugie souvent au cinéma lorsque dans la rue défile une triste foule brandissant les idées les plus courtes, les nostalgies grégaires et le refus de l’autre. Le cinéma, comme tous les arts, est de ces territoires dont chacun apprécie et déplace les frontières à sa guise. Qu’en est-il du pays Magyar ? Existe-t-il un sentiment commun qui ne s’appuie sur l’exclusion ou l’appropriation culturelle ?