Voter contre le FN pour éviter que la France devienne la Hongrie de Viktor Orbán. Voilà ce que beaucoup mettent en avant ces derniers jours. Cependant, plusieurs éléments pointent les limites d’une telle comparaison.
Article publié originellement le 3 mai 2017 dans Révolution permanente. |
Le premier ministre hongrois Viktor Orbán est devenu l’exemple du dirigeant autoritaire dans l’Union Européenne. Et cela depuis des années déjà. Ses politiques économiques « hétérodoxes » ont attiré l’attention des banquiers et des dirigeants européens. Mais ce sont surtout ses attaques contre les libertés démocratiques, contre la liberté de presse, contre les ONG, sa politique profondément raciste contre les Roms et contre les réfugiés qui ont attiré l’attention du public au niveau international.
En effet, Orbán est l’un des représentants européens de la tendance politique dite « illibérale », une sorte de droite nationaliste populiste et autoritaire qui rejette les principes du libéralisme politique développés depuis plusieurs décennies au niveau mondial. Mais il n’est pas le seul, beaucoup mettent les gouvernements d’Erdoğan, de Poutine et celui du PiS en Pologne dans ce groupe.
Ainsi, une victoire de Marine Le Pen renforcerait cette tendance mondiale. Il est effectivement très probable que Marine Le Pen et le FN une fois arrivés au pouvoir veuillent instaurer un régime avec des traits proches de celui d’Orbán en Hongrie ou de celui de Poutine en Russie.
Cependant, il y a plusieurs éléments qui limitent cette comparaison. La première est qu’Orbán est arrivé au pouvoir en 2010 avec une majorité parlementaire de 2/3 dans le cadre de l’effondrement de la social-démocratie qui était à la tête d’un gouvernement profondément néolibéral. C’est précisément cette majorité écrasante au parlement qui a permis à Orbán d’appliquer sa politique réactionnaire.
Or, en France, rien que par le régime antidémocratique de la Ve République, même en cas de victoire de Marine Le Pen à la présidentielle, le FN est très loin de rêver obtenir une majorité de 2/3 aux élections parlementaires. En réalité, ce n’est même pas sûr qu’il puisse obtenir de majorité absolue. La question de la majorité parlementaire se pose également en cas de victoire de Macron.
Sans une majorité parlementaire confortable, l’éventuel projet « illibéral » de Marine Le Pen serait très difficilement applicable. En réalité, tout programme de gouvernement est pratiquement inapplicable sans majorité parlementaire. Et cela sans parler du rapport de forces entre les classes et entre les fractions au sein de la classe dominante.
Il existe un autre élément très important qui limite la comparaison entre un éventuel gouvernement FN et la Hongrie de Viktor Orbán : le mouvement ouvrier français et sa capacité de mobilisation et de résistance n’est pas du tout dans la même situation que celui en Hongrie. Dans ce pays la classe ouvrière se trouve en grande partie démoralisée et atomisée par les années de restauration capitaliste. Et cela malgré le fait que, par rapport à d’autres pays de la région, elle n’est pas totalement décomposée étant donné que beaucoup de multinationales y ont ouvert des usines modernes.
En France, malgré des directions syndicales profondément conciliatrices (non seulement les plus collaboratrices comme celle de la CFDT mais aussi celle de la CGT qui appelle aujourd’hui à voter Macron), la résistance face aux politiques anti-démocratiques et les attaques sociales d’un éventuel gouvernement de Marine Le Pen serait énorme. La situation sociale et politique en France face à un éventuel gouvernement FN serait beaucoup plus instable qu’en Hongrie.
Mais il serait aussi totalement erroné de penser que le gouvernement d’Orbán en Hongrie est infaillible et tout-puissant. Même en Hongrie on connait actuellement une polarisation sociale importante, dont l’opposition à la fermeture de « l’université Soros » est l’un des exemples les plus importants. De façon regrettable, cette mobilisation est canalisée par des secteurs libéraux des classes moyennes, incapables d’offrir de vraies perspectives aux travailleurs et aux classes populaires.
En ce sens, tirer les leçons de la Hongrie d’Orbán face à un éventuel gouvernement du FN en France signifie avant tout se préparer à organiser la résistance face aux attaques contre les conditions de vie des classes populaires et les droits démocratiques ; cela signifie débattre d’un projet anticapitaliste et révolutionnaire, émancipateur, pour la classe ouvrière ; cela signifie aussi rejeter le néolibéralisme non seulement comme une « fausse alternative » mais comme un danger immense pour les travailleurs, les classes populaires et l’ensemble des opprimés.