Celles et ceux qui ont connu la Hongrie du milieu et de la fin des années quatre-vingt gardent encore en mémoire ces files de Trabant revenant de la frontière autrichienne, lestées d’énormes réfrigérateurs sur leur toit (au moins aussi volumineux, sinon plus que la pauvre voiture quasiment écrasée en dessous).
Car, contrairement à une idée répandue, les gouvernements hongrois et autrichien avaient passé un accord pour la suppression des visas entre les deux pays et la simplification des formalités. Ce qui, en échange, marqua le départ de cette vague de patients autrichiens venant se faire soigner les dents en Hongrie (au grand dam des dentistes viennois). Une mode qui perdure, voire s’est généralisée, plus de trente années après.
Certes, les ressortissants hongrois eurent, encore sous le régime communiste, la possibilité de se rendre dans le Burgenland voisin ou – pour les plus téméraires – à Vienne. Mais moyennant une restreinte de taille: le forint n’étant pas monnayable en Autriche, ils ne pouvaient se procurer avant le départ des devises autrichiennes que dans la limite d’un montant relativement modique par voyageur adulte (et pour un seul voyage). D’où un spectacle pour le moins cocasse : toutes les voitures se trouvaient occupées par un nombre maximum de passagers, ce qui augmentait d’autant le contingent de devises autorisées. Souvent, c’était même au grand-père et à la grand-mère que l’on faisait appel.
C’est aussi l’époque où, côté autrichien, l’on vit pousser comme des champignons de grands « shopping centers » à quelques centaines de mètres de la frontière où, bien évidemment, les vendeurs parlaient hongrois. Donc nul besoin de gaspiller inutilement du temps et de l’essence. Des centres de vente aujourd’hui pour la plupart disparus, mais qui, à l’époque, réalisèrent un confortable chiffre d’affaires.
Autre expérience assez significative, vécue cette fois-ci juste après le changement de régime de 1989-90, la multiplication à l’infini des « Kft » : ces petites SARL, le plus souvent familiales. Ayant fait un jour le tour des boîtes au lettres d’un quartier de HLM, j’en vis plusieurs par cage d’escalier. Une mode aujourd’hui retombée. Parallèlement, ce fut la multiplication des « seconds emplois » (déjà reconnus sous le régime précédent). Ce qui me valut une expérience quelque peu douloureuse.
Au loisir de la visite d’une délégation (hommes d’affaires français et allemands membres d’un club francophile d’Allemagne), j’avais rencontré les dirigeants de la filière francophone de l’Université polytechnique de Budapest qui nous avaient reçus, la plus grande université (en nombre) d’Europe centrale. Je ne me souviens plus exactement des personnes rencontrées, mais il devait y avoir, sinon peut-être le recteur lui-même, du moins son assesseur. Peu importe. Toujours est-il qu’un beau samedi matin, je me retrouvai côte à côte avec sa voiture à un feu rouge. Je lui fis alors de grands signes, mais il devint gêné et tourna aussitôt la tête. Lorsque nous redémarrâmes, je m’aperçus qu’il avait pris place dans une voiture d’auto-école et donnait donc des leçons de conduite. Quelle bourde de ma part ! Mais comment aurais-je deviné ? Un universitaire reconnu. Voilà un épisode également assez significatif, je crois, de cette « folle période ».