Théâtre, politique, des ratés qui auront un succès fou à Budapest

Suffit-il d’une idée, d’un message fort ou tout simplement d’un gag pour produire une pièce de théâtre ? Devons-nous succomber aux scandales artistiques sans dénoncer leurs platitudes ? Oserons-nous critiquer les meilleurs théâtres de Budapest pour leurs choix « osés », du moins dans certains milieux intellectuels ? Les deux récentes premières de Katona József Színház – Heldenplatz (Place des Héros) et de Pesti Színház – Un coin exceptionnel, invitent à la réflexion sur le mariage entre exigences artistiques et politiques, et sur sa pertinence.

L’affiche de Heldenplatz est des plus séduisantes. D’abord l’auteur, Thomas Bernhard (1931-1989), Autrichien qui haïssait son peuple et son pays, qui  le lui rendaient bien. Tous ses livres et pièces donnaient régulièrement lieu à des scandales. Il a écrit Place des Héros en 1988 pour la célébration des 50 ans de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne sur commande du directeur du Burgtheater de Vienne, Claus Peymannn. La « place des Héros », au centre de Vienne, est le lieu où Hitler fut acclamé par la foule. Un des personnages de la pièce vit toujours dans la hantise de ces clameurs, cinquante années après. Nous sommes en 1988 dans un appartement sur Heldenplatz, où un savant juif, le professeur Schuster vient de se défenestrer parce qu’il ne supportait plus l’antisémitisme de ses compatriotes. La famille et les amis du défunt se réunissent lors d’un dîner pour lui rendre hommage et commenter l’événement. Sa gouvernante, Mme Zittel, raconte l’homme qu’il fut. Puis son frère Robert Schuster,  médiocrement interprété par Gábor Máté,  prend le relais en tenant un long discours sur les relations entre les Nazis allemands et le peuple autrichien…

Artistiquement correct ?

Et c’est là que le bât blesse. Que le raisonnement est simpliste : le peuple autrichien est collaborateur, donc nazi. On comprend la critique de Pierre Assouline, selon laquelle « Bernhard aime son pays avec tant d’obsession qu’il exprime autant de haine pour ce que son pays a osé devenir ; il ne lui pardonne rien de ce qu’il a été, au point de hurler haut et fort qu’il n’y a pas de rémission des pêchés pour ceux qui sont restés identiques à eux-mêmes sous un masque politiquement correct. Il n’a de cesse d’inviter son peuple à se suicider. » Mais est-ce assez intéressant intellectuellement pour tenir presque 3 heures ? Une mise en scène (de László Bagossy) très moyenne dans un joli décor (de Csaba Antal), avec des acteurs qui jouent des rôles mal ficelés. Bien entendu, la situation actuelle en Hongrie rend possible tous les parallèles et le public en est très friand. Mais le théâtre ne peut se résumer à produire des actes politiques sous une forme soi-disant artistique. Le vrai théâtre, c’est autre chose: des histoires, des personnages, des relations, des passions. Dans la pièce de Bernhard, tout cela est hypothéqué par des considérations politiques obsessionnelles. Un raté qui aura un succès fou à Budapest.

Même chose pour la pièce de György Spiró, pourtant un des écrivains hongrois des plus talentueux (né en 1946). Un coin exceptionnel se joue dans un hospice de la vieillesse dont la spécialité est d’organiser des parties de chasse pour touristes étrangers. Le « gibier » est alors composé de vieux qui se font descendre par les touristes. Voilà l’idée, et c’est tout. Une  mise en scène insignifiante, des personnages fades, des acteurs peu intéressants. Juste de la politique. La pièce a toutefois la bienséance de se terminer à 21h15…

Ces deux pièces ratées mettent également l’accent  sur les problèmes du théâtre hongrois : même si les compagnies  veulent se montrer très contemporaines, elles risquent de tomber dans le piège de l’actualité sans considérer l’aspect artistique des œuvres. Cela est valable pour les théâtres « officiels » ainsi que pour les troupes « off ». Shakespeare et un certain nombre d’auteurs savaient marier la politique et l’art dans une pièce de théâtre. C’est donc possible. Le scandale ne suffit pas. N’est pas Shakespeare qui veut.

Mihály Rózsa

Crédit photos et infos : Katona József Színház  ;  Vig Színház/Pesti Színház

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2 Comments
  1. Aller dire à des Hongrois que ce qu’ils font n’est pas grandiose c’est risqué !
    Cela dit j’imagine tout à fait le raté de ces pièces; excellent article.

  2. C’est vrai qu’on peut cotoyer le meilleur et le pire dans le théâtre contemporain!!!! Après avoir parlé du pire, il serait judicieux de parler du meilleur à Budapest et d’un théâtre jubilatoire, corrosif . A quand un article sur la compagnie de Pintér Béla???? Il a d’ailleurs reçu dernièrement un prix poru sa pièce KAISERS, TV , UNGARN… Je vous conseille d’aller la voir au théâtre Szkene et je suis curieux de voir un article à ce sujet!!! Je suis déjà allé voir cette pièce trois fois!

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