En déclarant la méthode électorale actuelle inconstitutionnelle, les juges brouillent les cartes pour les élections législatives d’octobre, au grand dam du Premier ministre actuel Andrej Babiš. Si sa défaite semble se profiler, ce changement compliquera cependant la mise sur pied d’une nouvelle coalition.
« Assurer un droit de vote égalitaire est une injonction constitutionnelle indéniable », a proclamé mercredi le président de la cour Pavel Rychetský, quand il a annoncé avoir jugé, avec ses pairs, que le système électoral tchèque est inconstitutionnel. Non seulement les juges rejettent la méthode d’Hondt qui favorise les partis les plus forts, mais ils suppriment aussi la répartition des voix par région, qui favorise les partis disposant d’un électorat bien réparti géographiquement. Dans les deux cas, le grand perdant est le parti au pouvoir ANO, qui aurait obtenu 15 sièges de moins en 2017 sans ces mécanismes (passant de 78 à 63 députés).
L’autre surprise tient au fait que cette décision prend effet immédiatement et qu’elle vient donc bouleverser les règles du jeu pour les élections législatives à venir cette année, programmées les 8 et 9 octobre. Selon la Cour, « l’ajournement de cette décision de la Cour constitutionnelle à une période postérieure aux élections diminuerait la légitimité de la nouvelle Chambre des députés, susciterait un manque de confiance en la nouvelle représentation politique et pourrait exposer au risque d’une remise en question rétrospective des résultats des élections devant les tribunaux. » Le Parlement tchèque a donc sept mois pour corriger la loi électorale et la rendre conforme au jugement.
Babiš et Zeman fulminent
Le Premier ministre n’a pas tardé à attaquer la Cour, déclarant après le jugement que « la Cour constitutionnelle a définitivement perdu toute retenue et s’efforce d’influencer la situation politique du pays, ce qui n’est absolument pas son rôle. » Fidèle à lui-même, Babiš a attaqué son président, alors même que la décision a été prise par 11 de ses 15 juges. Il a accusé Pavel Rychetský de ne pas être impartial et a rappelé que celui-ci avait été au cœur de l’introduction du système actuel comme vice-premier ministre du gouvernement de Miloš Zeman entre 1998 et 2002. À l’époque, les deux partis principaux – de gauche (ČSSD) et de droite (ODS) – avaient passé le tristement célèbre « contrat d’opposition », un pacte pour se partager le pays, entre autres grâce à ce nouveau système électoral. Aujourd’hui président, M. Zeman a envoyé une lettre à la Cour avant le jugement pour la prévenir qu’elle risquait de mener à une « déstabilisation du système constitutionnel ».
Le Président dispose de plusieurs atouts dans sa manche pour déstabiliser le système. Comme le souligne l’hebdomadaire Respekt, c’est bien en déclenchant la campagne électorale avec près de huit mois d’avance que Zeman voulait mettre de la pression sur la Cour constitutionnelle. En effet, dans sa lettre, il affirme qu’il ne faut pas changer les règles du jeu « en pleine campagne », un argument répété par Andrej Babiš et son camp. De plus, la lettre mentionne les difficultés de trouver un consensus parmi les partis politiques pour effectuer les changements législatifs à temps… alors même que le blocage est à attendre du côté du Château présidentiel et du siège d’ANO. Parlant du système électoral introduit jadis par Zeman, Respekt conclut : « Miloš Zeman ne lâchera pas son enfant si facilement. »
Belles perspectives pour l’opposition
La décision de la Cour a au contraire été très bien accueillie par les oppositions. Dès l’annonce du jugement, le président du Sénat contrôlé par la droite, Miloš Vystrčil (ODS), a fait savoir que son institution est « prête à initier des négociations immédiates ». Même son de cloche du côté du ministre de l’Intérieur, Jan Hamaček (ČSSD), qui a dit vouloir présenter un projet de loi dès mardi. Même si ANO et ses 39% des députés venaient à faire obstruction et à rallier au moins trois députés pour empêcher une modification de la constitution (qui requiert 60% des voix dans les deux chambres), les autres partis pourraient bien trouver une majorité simple pour modifier la loi électorale. Même les partis d’extrême droite (SPD) et d’extrême gauche (KSČM) pourraient se rallier à l’opposition dite démocratique puisqu’ils auraient eux-mêmes plus de députés selon une formule électorale plus proportionnelle.
ANO ne pourra sans doute pas compter sur l’appui de son partenaire de coalition social-démocrate (ČSSD), qui tente de se distancer d’Andrej Babiš à mesure qu’approchent les élections. D’ailleurs, le nouveau système électoral pourrait être une bouée de sauvetage pour le ČSSD, en pleine discussion avec les Verts en vue de former une coalition électorale, car la Cour constitutionnelle a aussi supprimé l’article stipulant que les coalitions relevaient le seuil d’entré au parlement (5% pour un seul parti ; 10% pour deux partis ;15% pour trois, etc). Cela pourrait s’avérer vital pour les sociaux-démocrates, qui se battent pour se maintenir au parlement et pour les Verts, qui n’y sont pas, et qui ne risquent pas de permettre à une éventuelle coalition rouge et verte d’atteindre les 10%. À deux, la barre des 5% deviendrait plus accessible.
Avec neuf partis au parlement, il est déjà peu aisé de former des coalitions gouvernementales, et l’affaiblissement des partis plus forts viendra forcer des coalitions à quatre ou cinq plutôt qu’à deux ou trois, comme c’était le cas jusqu’à présent.
Vers une instabilité politique post-électorale ?
Le nouveau système pose la question de la stabilité politique après les élections d’octobre. En effet, un système partiellement proportionnel renforcera les petits partis et rendra plus compliquée la formation de gouvernements majoritaires. Avec neuf partis au parlement, il est déjà peu aisé de former des coalitions gouvernementales, et l’affaiblissement des partis plus forts viendra forcer des coalitions à quatre ou cinq plutôt qu’à deux ou trois, comme c’était le cas jusqu’à présent. Par exemple, si les élections de 2017 avaient été parfaitement proportionnelles, la coalition actuelle n’aurait pas eu de majorité, et l’opposition dite démocratique n’aurait pas non plus eu les 100 députés nécessaires.
Pour les élections de cette année, leur problème risque d’être moins important, car les deux coalitions électorales récemment formées (Pirates et STAN d’un côté, ODS, TOP09 et KDU-ČSL de l’autre) ne risquent pas de s’effondrer. En effet, il est peu probable que ces partis s’empressent de rejeter ce qu’ils viennent tout juste d’embrasser avec ferveur, puisqu’ils risqueraient d’être perçus comme tout à fait cyniques. Ces deux blocs auront plus de facilité à négocier une éventuelle alliance, mais ils auront sûrement besoin d’un ou des partenaires, et c’est là que les choses se corseront. Bref, la Tchéquie aura un système certes plus représentatif, mais risque de connaître les impasses post-électorales bien connues des Belges et des Israéliens.