La révolution bélarusse souffle sa première bougie. Un an après le simulacre d’élection présidentielle remporté par Alexandre Loukachenko, « Le Courrier d’Europe centrale » s’est entretenu avec Svetlana Tsikhanovskaïa, figure de proue en exil de l’opposition. « J’ai fait tout ce que j’ai pu », nous dit-elle.
Article publié en coopération avec la Heinrich-Böll-Stiftung Paris, France.
Svetlana Tsikhanovskaïa aura 39 ans le 11 septembre prochain. Elle était prof d’anglais, avant de se lancer en politique pour reprendre le flambeau de son mari, le youtubeur Sergueï Tikhanovski, emprisonné au printemps 2020, quelques semaines avant l’élection présidentielle.
« Ce fut une année de défis, pour les Biélorusses, mais pour moi aussi, qui n’avais jamais fait de politique, et qui ai dû apprendre sur le tas », confie-t-elle dans une interview qu’elle nous a accordé, dans laquelle elle tire le bilan d’une année de soulèvement durement maté par le régime d’Alexandre Loukachenko. Alors que de plus en plus questionnent sa stratégie de non-violence, Tsikhanovskaïa continue de penser que « seul le dialogue peut conduire à une solution pacifique ».
Ania Nowak / Le Courrier d’Europe centrale : Il y a un an, vous avez refusé de reconnaître la victoire d’Alexandre Loukachenko à l’élection présidentielle. Quand vous regardez en arrière, quelles sont vos impressions ?
Svetlana Tsikhanovskaïa : Je sais que la majorité des Biélorusses ont voté contre Alexandre Loukachenko, et qu’il a perdu l’élection. La Biélorussie s’est lassée de lui, de sa politique, de son manque de respect pour le peuple. Je me souviens parfaitement de cette journée, je suis allée voter, puis nous sommes allés au quartier général pour attendre les résultats. Je me souviens encore de l’espoir, de l’énergie, et du soutien des gens ordinaires, qui ont été nombreux ce jour-là à se rendre pour la première fois à un bureau de vote, juste pour dire : « Assez ! ». Quand les manifestations ont commencé, dans la soirée, nous ne savions pas très bien ce qui était en train de se passer, Internet avait été coupé, et très peu d’informations nous parvenait. Mais les manifestations étaient non seulement prévisibles, mais inévitables. Les gens sont descendus dans la rue pour protéger leur choix. Je ne sais pas si je pourrais avoir fait les choses différemment, j’ai fait tout ce que j’ai pu.
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La propagande étatique est particulièrement dure envers vous et l’opposition. Qu’en pensez-vous ? Estimez-vous qu’un dialogue constructif avec le régime soit encore possible ?
Il n’y a pas d’alternative au dialogue, seul le dialogue peut conduire à une solution pacifique. Nous sommes prêts à dialoguer, mais le régime ne l’est pas. Il doit pourtant admettre que c’est terminé, que les choses doivent aller de l’avant. Et pour cela, la seule solution, c’est d’organiser une élection anticipée. Mais avant cela, il faut que tous les innocents soient libérés de prison. Les autorités sont très dures dans leur propagande contre l’opposition, parce que c’est la seule chose qu’elles peuvent faire. Ils ont perdu l’élection, ils se sentent faibles et ont perdu leur assurance.
« C’est une catastrophe nationale, quand des milliers d’artistes, d’intellectuels, d’écrivains, de médecins, d’enseignants, d’économistes, de sportifs sont forcés de quitter le pays ».
En Biélorussie, la société civile a essuyé de violentes attaques de la part du régime, notamment les journalistes, les activistes, les artistes ont dû quitter le pays, ou ont fini en prison. Qu’est-ce qui peut être fait pour les aider ?
Malheureusement, beaucoup de gens brillants ont dû fuir le pays. C’est une catastrophe nationale, quand des milliers d’artistes, d’intellectuels, d’écrivains, de médecins, d’enseignants, d’économistes, de sportifs sont forcés de quitter le pays. Ils sont nombreux à avoir été condamnés à de la prison, à de lourdes amendes, à avoir été persécutés ou intimidés. Le régime ne veut pas qu’ils restent, et s’est préventivement débarrassé de toutes les personnalités publiques. C’est très difficile de l’éviter, mais nous devons faire tout notre possible pour que ceux qui sont sur le terrain puissent avoir accès à une aide légale, à des avocats, à des ressources pour assurer leur sécurité et leur travail en Biélorussie. Quant à ceux qui ont décidé de partir, nous devons les aider à s’installer en dehors du pays. Les États étrangers doivent comprendre notre cause, les accepter et les soutenir, faciliter les procédures de visa.
« Ce fut une année pleine de douleur, mais aussi d’émerveillement ».
La répression contre l’opposition biélorusse s’est étendue à l’étranger. Vous sentez-vous en sécurité ? Comment la diaspora peut-elle être protégée ?
Nous sommes en contact avec les autorités lituaniennes, polonaises et ukrainiennes pour discuter de ce qui peut être fait pour protéger les diasporas biélorusses. C’est difficile, et nous savons que le KGB n’hésite pas à employer des méthodes cruelles et à opérer en dehors du territoire biélorusse. C’est impossible de protéger tout le monde, mais il est possible de mettre en place des mesures préventives simples pour se protéger, pour assurer sa sécurité personnelle. Nous ne devons pas céder à la paranoïa. C’est exactement ce que veulent les terroristes : faire peur.
Quel bilan dressez-vous de cette année ?
Ce fut une année pleine de douleur, mais aussi d’émerveillement. D’un côté, nous avons vu la brutalité du régime anéantir la société civile, réprimer les médias et les défenseurs des droits de l’Homme. Nous avons vu la souffrance endurée par des innocents, les lois bafouées, et l’injustice. Mais de l’autre côté, nous avons créé une société biélorusse meilleure, qui, malgré les répressions et la peur, continue de se battre. Je suis impressionnée de voir à quel point les gens se sont organisés, en particulier dans les premiers mois de contestation. Des volontaires ont spontanément aidé les victimes de torture, ont apporté les premiers colis d’urgence aux prisonniers politiques. Des enseignants ont défendu leurs élèves et les ont cachés de la police. Des sportifs se sont organisés en syndicat et ont été en première ligne dans les manifestations. Ce fut une année de défis, pour les Biélorusses, mais pour moi aussi, qui n’avais jamais fait de politique, et qui ai dû apprendre sur le tas. J’ai appris auprès de leaders mondiaux, de présidents et de parlementaires. Une chose essentielle que je retiens, c’est que quand on se lance dans une révolution, il est impossible de prévoir quoi que ce soit ! Mais nous pouvons créer des conditions favorables et augmenter nos chances de réussite.
Quelle est votre stratégie pour l’année à venir ?
Nous allons continuer à créer de multiples points de pression. Depuis l’étranger, et depuis l’intérieur du pays. Nous allons priver le régime de ses ressources financières afin qu’il ne puisse plus payer pour la violence. Nous travaillons avec les ouvriers à une grève nationale. Avec les anciens membres des forces de l’ordre qui nous ont rejoints, nous avons créé le plan « Peramoha » (Victoire), pour mobiliser les manifestants, avec une meilleure organisation. Nous continuons notre campagne d’isolement du régime, nous distribuons des samizdat, créons des alliances avec des gens qui travaillent encore pour le régime. Tout cela doit non seulement nous aider à remobiliser la société, mais aussi à diviser les élites de l’État. Les fondations du régime tremblent, et nous voulons montrer que la voie de sortie, c’est le dialogue et une nouvelle élection.
Photo d’illustration : QG de Svetlana Tsikhanovskaïa