Iván Harsányi est l’un des 5.200 juifs sauvés en 1944 par Angel Sanz Briz, un diplomate espagnol surnommé « l’Ange de Budapest ». Rencontre.
Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017. |
« Je suis ici au nom de trois qualités: celle d’un survivant, d’un historien, mais avant tout au nom de l’homme à qui je dois la vie. » Enfoncé dans un large fauteuil de velours moutarde, posé au milieu de la bibliothèque abondante de son bureau étroit, Iván Harsányi, 87 ans, historien et survivant de la Shoah relate parfois avec peine les persécutions vécues par la communauté juive hongroise sous l’occupation allemande. A l’époque âgé de 14 ans, il explique comment il a vu sa vie et celle de sa sœur Éva, de quatre ans sa cadette ainsi que de plusieurs membres de sa famille, sauvées.
Après avoir donné son témoignage à l’enseignante et auteure Erzsébet Dobos, pour son ouvrage « Salvados » sur les rescapés de l’Holocauste juif hongrois, il revient sur le coup d’État du 15 octobre 1944, date de prise du pouvoir par le parti fasciste et pro-nazi des Croix Fléchées.
Un changement politique qui marque pour lui le début d’un long combat, où le quotidien des Juifs hongrois est rythmé par de nouvelles restrictions. Iván est alors obligé de porter l’étoile jaune tandis que son père, licencié, est déporté sans raison dans un camp de travail où il finira ses jours, à Zombor Bácskertes, au sud du pays.
Souffrant de l’absence de sa mère, divorcée et expatriée en Argentine avec son nouveau compagnon, Iván et sa petite sœur, Éva, se retrouvent seuls, livrés à eux-mêmes dans la capitale hongroise. Quelques jours après la prise du pouvoir par le parti des Croix Fléchées, les deux enfants sont emmenés à la gare de Budapest, point de départ des juifs déportés. Mais le jour suivant, ils sont mystérieusement reconduits chez eux rue Népszínház, dans le huitième arrondissement.
A peine arrivés au domicile familial, leur belle-mère, pour les protéger, les accompagne dans un foyer pour enfants tenu par la Croix Rouge Internationale. Un lieu dans lequel ils restent peu de temps avant d’être conduits dans un des deux ghettos où à partir de novembre 1944, 85.000 juifs sont confinés. En attendant leur libération, le 18 janvier 1945, plus d’un demi million de juifs, la plupart originaire de la province hongroise, sont déportés et exterminés dans des camps de la mort en Europe ainsi qu’à Auschwitz. A ce moment là, la communauté juive du pays est considérée comme la plus importante d’Europe de l’Est après la Russie.
Sous protection espagnole
Au milieu d’un discours décousu, où dates et lieux s’entremêlent parfois, Iván évoque soudainement le rôle de sa tante Valéria, travaillant à l’époque pour la Croix Rouge Internationale. « Elle n’a jamais porté l’étoile jaune », indique le retraité. Couverte par l’uniforme de l’institution d’aide humanitaire, elle se procure, auprès de l’ambassade d’Espagne, des cartes de protection pour ses deux neveux. Des documents faisant office de papiers d’identité, dont ces derniers ignorent la provenance. Iván et sa sœur quittent alors le ghetto juif pour s’installer dans une des maisons protégées par la délégation espagnole, au cœur de Újlipótváros à Pest, sur la rive orientale de la capitale hongroise. Des logements situés à proximité du Parlement hongrois, rue Raoul Wallenberg, nom d’un ancien diplomate suédois.
Pendant de longues semaines, les deux enfants partagent un logement collectif avec trente quatre autres personnes, entassés dans trois chambres à coucher. « Sortir de cette maison signifiait littéralement risquer de se faire tuer. Beaucoup d’entre nous pensaient qu’il s’agissait de nos derniers instants. Pour ma part, j’ai passé cinq à six semaines là-bas, sans savoir à qui je devais la vie », raconte Iván.
A 87 ans, l’historien se souvient très bien d’un évènement en particulier. « Notre maison était très proche des rives du Danube, et les Croix Fléchées vidèrent à ce moment là plusieurs maisons protégées par d’autres délégations étrangères comme la Suède ou le Portugal, après avoir exécuté leurs occupants. » Chacun d’entre eux était alors emmené au bord du Danube. Les victimes étaient tenues de se déchausser avant d’être exécutées. Leurs corps étaient ensuite jetés dans le fleuve.
« Je me souviens d’une fois où les troupes du parti pro-nazi débarquèrent dans notre maison. J’ai compris que le même sort nous était réservé. » Mais grâce à un coup de fil passé à l’ambassade espagnole par l’un des locataires, une voiture fit irruption à l’entrée du logement collectif. Deux hommes en sortirent. L’un deux, Gorgio Perlasca, homme d’affaires italien attaché à l’ambassade espagnole se fait alors passer pour un diplomate. Accompagné d’un autre homme faisant office de traducteur, il s’entretient longuement avec les troupes des Croix Fléchées. Iván n’a jamais entendu leur conversation mais se souvient qu’à la fin, les soldats rebroussèrent chemin. « Ainsi, ils nous sauvèrent la vie. Et ce moment m’a donné la possibilité aujourd’hui, de vous raconter l’Histoire. »
"Je suis ici au nom de l'homme qui m'a sauvé la vie"
Budapest, 1945, 5000 Juifs voient leur vie sauvée des griffes du nazisme grâce à Angel Sanz Briz, diplomate espagnol ou "l'Ange de Budapest". Ivan Harsanyi, l'un d'entre eux, avait 14 ans.
Posted by BKL 8 – Budapest Kultur Lab on Sunday, May 14, 2017
La découverte de « l’Ange de Budapest »
Ce n’est seulement que des années plus tard qu’Iván, en sa qualité d’historien, découvre le nom de l’homme, Angel Sanz Briz, diplomate espagnol, qui a travers une initiative personnelle, lui a sauvé la vie. Surnommé « l’Ange de Budapest » ou encore le « Schindler espagnol », le diplomate est connu pour avoir évité la mort à 5.200 juifs hongrois, en leur fournissant des passeports et cartes de protection espagnoles. Initialement dédiés aux juifs d’origine séfarade, recensés sous le nombre de 200 à Budapest, ces documents sont par la suite multipliés et étendus à de nombreux juifs persécutés.
Pour ce faire, Angel Sanz Briz rend une visite de courtoisie aux autorités hongroises collaborant avec le régime nazi. Il négocie avec elles, monnayant de sa poche une contrepartie financière conséquente, la reconnaissance et le respect des papiers d’identité fournis aux juifs sous protection espagnole. Muté fin novembre 1944 en Suisse, son action est reprise par Giorgio Perlasca, ancien combattant franquiste lors de la guerre civile espagnole (1936-1939) et homme d’affaires italien. Jusqu’au 16 janvier 1945, date d’entrée des Soviétiques dans Budapest, et début de la Libération, des milliers de Juifs sont encore sauvés.
Une personnalité méconnue du grand public
Sanz Briz ou le Schindler espagnol
Découvrez l'incroyable histoire d'Angel Sanz Briz ou "l'Ange de Budapest". Ce diplomate espagnol a sauvé la vie de milliers de Juifs hongrois à Budapest.
Posted by BKL 8 – Budapest Kultur Lab on Thursday, May 11, 2017
Anciennement chargé d’affaires et chef de la délégation espagnole à Budapest, le nom d’Angel Sanz Briz reste pourtant méconnu du grand public. De son vivant, jamais son dévouement humanitaire ne reçut d’hommage. En 1966, alors en poste en tant qu’ambassadeur d’Espagne à Amsterdam, aux Pays-Bas, il est sollicité par le gouvernement israélien qui souhaite lui attribuer le titre de « Juste parmi les Nations », depuis le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, construit en mémoire des victimes de la Shoah lors de la Seconde Guerre mondiale. Un titre que Sanz Briz est tenu de refuser sur ordre de Franco et dont il ne parla plus jusqu’à sa mort, à Rome, en 1980. Il est alors âgé de 69 ans.
Ce n’est qu’en 1973 qu’il recevra un premier hommage à travers l’ouvrage Los Judios en España en la Segunda Guerra Mundial – les juifs en Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale – publié par Federico Ysart, premier journaliste à investiguer sur ce cas.
En 1991, ses enfants reçoivent enfin le titre de « Juste parmi les Nations », en hommage à leur père. Le nom de Sanz Briz est par la suite inscrit au mémorial de Yad Vashem à côté de ceux de Raoul Wallenberg et Oskar Schindler. Lors des 50 ans de l’Holocauste, une plaque commémorative est installée à Budapest près des anciennes maisons de juifs sous protection espagnole, à quelques pas du mémorial « Chaussures au bord du Danube » consacré en 2005 aux victimes de l’Holocauste, et nombreux Juifs qui logeaient dans les maisons protégées par des délégations étrangères.
Une statue commémorative est également installée ainsi qu’une avenue de la capitale hongroise, rebaptisée en son nom.
Au cours du cinquantième anniversaire de la Shoah, l’artiste de Street Art espagnol, Okscar San Miguel, réalise également un graphe haut de six mètres en mémoire du diplomate. Un projet réalisé au numéro 4 de la rue Dob, au centre du quartier juif de Pest, en collaboration avec la mairie du quartier Erzsébetváros. Une initiative impulsée par les ambassades espagnoles de Budapest, Bucarest en Roumanie et Sophia en Bulgarie ainsi que de l’Agence espagnole pour la coopération internationale et le développement (AECID). Une façon habile, à travers cette fresque murale moderne et colorée d’attirer l’attention des nouvelles générations. Avant l’Holocauste, les juifs représentait 20% de la population à Budapest.