La Pologne a tout à perdre avec une victoire de Marine Le Pen à la présidentielle en France, estime le journaliste polonais Jędrzej Bielecki.
Article publié le 19 avril sur le site du quotidien polonais de centre-droit Rzeczpospolita. Son auteur, Jędrzej Bielecki, est diplômé de l’Université Paris IV-Sorbonne et ancien correspondant de « Rzeczpospolita » à Bruxelles et Washington.
Il est difficile de croire que Mateusz Morawiecki a vraiment lu le programme de Marine Le Pen avant de la recevoir en décembre à Varsovie avec les honneurs réservés à un chef d’État et avant d’attaquer son adversaire, Emmanuel Macron, quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles [françaises]. Cela voudrait dire que notre gouvernement est dirigé par un politicien qui ne comprend pas bien où se situent les intérêts fondamentaux de notre pays.
La victoire de Le Pen porterait un coup dur, peut-être décisif, aux institutions occidentales, qui ont assuré la sécurité et la prospérité de la Pologne au cours de la dernière génération.
La cheffe d’extrême droite a prévenu que la France se retirerait des structures militaires de l’Otan et se tiendrait à « égale distance » de l’Amérique et de la Russie. Et cela malgré les crimes de Poutine en Ukraine. Son programme ne comprend plus la sortie de la zone euro et un référendum sur le maintien de la France dans l’UE, mais cela a été remplacé par de nombreux autres points qui vont dans le même sens. L’Union serait progressivement substituée par une obscure « alliance des nations européennes ».
A l’instar de la Pologne, la France reconnaîtrait la supériorité du droit national sur le droit européen et entrerait ainsi en conflit permanent avec Bruxelles. Le Pen entend aussi casser l’accord de Schengen et les règles du marché unique en introduisant le contrôle des personnes et des marchandises aux frontières françaises. Or ce sont deux réalisations de l’intégration européenne grâce auxquelles les Polonais peuvent voyager librement à travers l’Europe.
Mais Le Pen va encore plus loin. Elle veut réduire drastiquement la contribution française au budget commun de l’UE, qui sert à financer les fonds structurels que reçoit notre pays. L’idée d’instaurer une « préférence nationale » par référendum pour l’attribution des emplois publics et des avantages sociaux mettra à mal l’ordre constitutionnel français et l’ordre juridique européen.
L’Union européenne se trouve fragilisée depuis des années par son différend avec la Hongrie et la Pologne. Une faille que Poutine pourrait exploiter pour affaiblir l’Occident après l’invasion de l’Ukraine. Mais que la France s’engage dans la voie polono-hongroise entraînerait des conséquences bien plus graves. Étant donné que l’Union s’est construite sur la base de la réconciliation franco-allemande, pourrait-elle s’appuyer uniquement sur le leadership de Berlin ? L’expérience historique n’est pas encourageante.