Le symposium international « Homosexualité communiste 1945-1989 » aura lieu à Paris du 30 janvier au 3 février prochain. Entretien avec Mathieu Lericq, chercheur en études cinématographique à l’université d’Aix-Marseille, initiateur de cet événement.
Cet article fait l’objet d’une publication commune avec l’association Kino Visegrad, site d’information et de diffusion du cinéma centre-européen dans l’espace francophone. |
Pouvez-vous nous présenter le symposium en quelques mots ?
Co-organisé avec l’historien Jérôme Bazin et le sociologue Arthur Clech, le projet « Homosexualité communiste 1945-1989 » a pour vocation d’étudier les différentes formes sociales, politiques, légales et artistiques dont l’homosexualité a été la cible pendant la période communiste. Nous avons décidé, afin de réévaluer les clichés qui peuvent courir en Europe occidentale sur cette période, de comprendre la place et le rôle historiques des populations gaies et lesbiennes en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Union Soviétique, etc.
L’événement central du projet est une conférence internationale, qui se tiendra à Créteil et à Paris les 2 et 3 février 2017. Nous avons invité plus d’une trentaine de chercheurs-ses venu-e-s du monde entier à venir interagir autour des enjeux liés à l’histoire des homosexualités dans les régimes socialistes, et ainsi écrire un pan méconnu de notre histoire européenne.
Mais il était aussi important pour nous d’ouvrir ces débats auprès de publics plus divers, en organisant des projections et des rencontres dans différentes lieux de la capitale. En ce sens, le public parisien pourra découvrir l’œuvre magnifique de Károly Makk, Un autre regard (1982), qui a été le premier film réalisé en Hongrie communiste à parler franchement de l’amour entre femmes. De plus, nous avons invité deux artistes, l’estonien Jaanus Samma et les polonais Karol Radziszewski, pour parler de leurs démarches à l’égard de la mémoire « queer » dans leurs pays respectifs. La rencontre avec Karol Radziszewski, à la galerie 22,48m2 le 3 février à 20h, viendra d’ailleurs clôturer le projet.
Pourquoi avoir choisi la période communiste et s’être focalisé sur les pays d’Europe centrale et orientale ?
Trois éléments principaux nous ont poussés à choisir cette sphère géographique. D’une part, nous avions envie de contrevenir à une certaine ignorance qui fait souvent de l’Europe centrale et orientale la proie de clichés en France; il s’agissait donc d’inviter des chercheurs de tous horizons à se poser la question : comment vivait-on en tant qu’homosexuel, c’est-à-dire de marginalisé, de l’autre côté du Rideau de fer ? D’autre part, nous avons souhaité nous intéresser à une histoire qui reste à écrire, une histoire dont les sources et les archives peinent encore à être rendues disponibles, une histoire que nous soupçonnons pourtant riche. Penser l’homosexualité demeure encore problématique dans les contextes est-européens, et nous espérons que l’organisation d’un tel colloque puisse faire évoluer les choses dans le sens d’une réappropriation de cette histoire sociale. Enfin, nous avons décidé de traiter d’un tel large spectre géographique (de Berlin à Moscou, de Gdansk à Bucarest, en passant par Belgrade et Tallinn), pour mieux percevoir les points communs et les différences qui existaient, à partir de l’influence stalinienne (sur le plan politique) jusqu’aux différentes racines mythologiques (sur le plan culturel).
Cette volonté de braquer le regard vers l’Est nous a également décidé à travailler à la publication d’un numéro spécial de DIK Fagazine (n°11, version bilingue anglais-français), qui est publié à l’occasion de la conférence.
Le programme propose-t-il aussi des films hongrois, tchèques, polonais ou slovaques ?
Oui, absolument. En dehors du film Un autre regard, projeté au Brady le 30 janvier à 20h, un film documentaire inédit sera projeté; il s’agit des Années secrètes, un film de Mária Takács réalisé en 2009. Il s’agit d’une enquête sur l’amour lesbien pendant le communisme en Hongrie. Il est composé d’interviews extrêmement utiles et émouvantes pour penser la complexité de la situation des femmes sous Kádár. Il sera projeté le 2 février à 20h au cinéma Luminor. L’artiste polonais Karol Radziszewski a également décidé de montrer des extraits de son documentaire Kisieland au cours du débat qui aura lieu au centre LGBT le 1er février à 17h. D’autres films auraient pu être montrés, comme Le Malentendu de Piotr Majdrowicz (1978) ou Coming-out de Heiner Carow (1989). Je persiste à croire que ces films nous disent quelque chose aujourd’hui, non seulement sur le traitement de l’homosexualité, mais aussi sur les formes diverses d’expression sexuelle et politique que la société civile dans son ensemble avait pu développer pendant la période communiste.
Le site du projet : www.eastqueerconference.wordpress.com
Le programme en ligne