Nouvel épisode dans le bras de fer entre pro et anti-avortement en Pologne. Quand les premiers s’apprêtent à présenter un projet de loi plus libéral à la Diète, les seconds comptent sur le Conseil Constitutionnel pour faire interdire complètement l’IVG.
Article de Magdalena Chrzczonowicz publié sur OKO.press le 4 janvier 2018. Traduction du polonais de Przemysław Kossakowski. |
En 2016, 96% des avortements pratiqués légalement en Pologne, soit 1042, avaient pour cause une malformation du fœtus. A compter du moment où cette possibilité était jugée non-conforme avec la Constitution, l’avortement en Pologne serait pratiquement interdit. La « Grève des Femmes » appelle les 104 députés qui ont saisit le Conseil Constitutionnel sur la conformité de cette disposition avec la Constitution à retirer leurs signatures.
Le 9 janvier, la Diète polonaise étudiera en première lecture le projet de loi « Sauvons les femmes » (Ratujmy kobiety), libéralisant la législation sur l’avortement. Des activistes du mouvement de la « Grève des Femmes » (Ogólnopolski Strajk Kobiet, OSK) craignent toutefois que la Diète ne retarde le vote en raison d’une motion déposée au Conseil Constitutionnel [par les anti-IVG, ndlr].
Que les juges décident
Bartłomiej Wróblewski, député du Droit et Justice (PiS), a déposé une motion au Conseil Constitutionnel le 27 octobre 2017, dans le but d’examiner si la loi sur l’avortement reste en conformité avec la Constitution polonaise. Elle concerne précisément une formule qui permet de pratiquer un avortement dans des cas de malformation du fœtus. Le député assure que le chef de son parti, Jarosław Kaczyński, s’est dit « favorable à cette idée ».
« Dès le début du mandat, je lutte pour protéger la vie. La grande majorité de mes collègues du Droit et Justice partage, me semble-t-il, cette opinion. […] Jarosław Kaczyński est opposé à l’avortement eugénique. […] Le chef du parti connaissait ma position et mon travail, et je crois qu’il y est favorable », affirme-t-il.
De telles déclarations ont été faites par les personnalités les plus éminentes du Droit et Justice, notamment par l’ancienne première-ministre Beata Szydło. Le Président Duda a lui aussi promis de signer la loi renforçant la législation anti-IVG.
Si le député Wróblewski a raison, et que Jarosław Kaczyński soutient sa motion au Conseil, la modification de la législation peut être considérée comme quasi acquise. En 1997, les possibilités de pratiquer une IVG ont été réduites justement par une décision du Conseil constitutionnel.
Une telle décision serait beaucoup plus confortable pour les politiciens du Droit et Justice : « la protection de la vie » se trouve renforcée, les milieux conservateurs s’en réjouissent, et en même temps, le Droit et Justice n’est théoriquement pas impliqué, puisque le changement ne s’opère pas par la voie parlementaire.
Les politiciens du Droit et Justice se rappellent parfaitement des Czarny Protest (« Manifestations noires ») qui avaient mis un coup d’arrêt à un autre projet d’interdiction de l’IVG à l’automne 2016.
Les Polonaises (et des Polonais) dans la rue pour défendre leurs droits
La Grève des Femmes : « Retirez-vous »
Dans le même temps, le projet de loi « Sauvons les femmes » est déposé à la Diète et sa première lecture est prévue ce mardi 9 janvier. Les membres de la Grève des Femmes craignent que la motion déposée au Conseil Constitutionnel ne serve de prétexte pour entraver leur projet de loi.
« Une décision du Conseil, prévisible dans la situation politique présente, rendra impossible tout travail sur le projet « Sauvons les femmes », puisqu’une partie du texte deviendra non-conforme à la Constitution » – indiquent-elles.
« Les députés devraient débattre et voter le projet de loi à la Diète et prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs électeurs. Nous demandons aux députés et députées énumérés ci-dessous de retirer leurs signatures de la motion et de rendre possible un débat lors des travaux sur le projet de loi mentionné et la vote au Parlement » – appellent les militants de la Grève des Femmes.
« Une action mauvaise au sens moral »
Le juriste Marcin Matczak, dans un texte paru en novembre dans l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny, questionne le fait qu’une majorité parlementaire se décide à déposer une motion au Conseil Constitutionnel au lieu de voter la loi à la Diète. Et de juger cette démarche sans équivoque : « Je trouve leur action mauvaise au sens moral. Le règlement légal de l’avortement fait partie des problèmes sociaux les plus controversés. La seule solution est de voter dans un processus démocratique transparent ».
Matczak cite l’exemple d’un juge de la Cour Suprême des États-Unis, Antonino Scala. Bien que Scala ait été un catholique orthodoxe déclaré, il croyait que si la Constitution ne propose pas une solution claire à une question morale, ce n’est pas aux juges d’en décider : « Peu importe si vous trouvez l’interdiction d’avortement bonne ou mauvaise, peu importe votre opinion là-dessus, la Constitution ne le tranche pas. Elle le laisse à la décision démocratique ».
Pourquoi donc des parlementaires polonais se débarrassent si volontiers de ce problème ? M. Matczak donne trois raisons « moralement condamnables ».
Premièrement, les députés savent que la société ne soutient pas la modification de la loi (ce qui est visible dans les sondages).
Deuxièmement, si les députés laissent le problème au Conseil Constitutionnel, ils doivent être sûrs de sa décision : « Le Conseil, accepté illégalement par la majorité au pouvoir, est toujours à son service, c’est pourquoi cette majorité l’utilise dans la réalisation de ses plans politiques. Des motions si fréquemment déposées au TC par le parti au pouvoir sont une anomalie. Le rôle de ce Conseil consiste à protéger les minorités qui ne sont pas représentées au Parlement, et non pas à réaliser les desseins politiques de la majorité » – écrit-il.
Troisièmement, la décision du TC montrera que le règlement sur l’avortement en Pologne est mauvais, non pas moralement ou politiquement, mais en raison de la non-conformité de la loi à la Constitution : « Dans cette situation, la nécessité de modifier la législation semble inévitable, indépendante de la volonté des députés qui pourront ainsi en faire porter la responsabilité à la Constitution ou même aux juges – discours auquel les autorités en Pologne ont déjà bien habitué les citoyens », ajoute-t-il.
Selon M. Matczak, les députés devraient décider d’avortement dans un processus démocratique normal. S’ils ont pourtant déposé leur motion au Conseil Constitutionnel, que les juges devraient-ils faire ? Sa réponse est univoque mais surprenante : un juge catholique devrait se retirer de l’affaire parce qu’il ne sera pas impartial. « S’il croit cependant qu’il saura rester impartial dans cette situation, alors son attitude à la fonction de juge ou bien à son catholicisme n’est pas sérieuse », estime le professeur.