Noémi Kiss est une auteure budapestoise et viscéralement européenne. Elle s’est engagée aux côtés de nombreux écrivains pour la défense de l’Université d’Europe centrale (CEU) menacée par Viktor Orbán. Dans ses romans, sa cible n’est pas la politique, mais la société hongroise et ses tabous.
Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017. |
Lors du 24e Festival International du Livre de Budapest, le 20 avri 2017, vous avez co-signé une déclaration en soutien à l’Université d’Europe centrale. Pourquoi est-ce important pour vous de défendre cette université ?
Quand j’ai appris que l’université risquait d’être fermée, j’ai été choquée. Mon mari a étudié l’Histoire dans cette université et je veux que mes enfants puissent étudier là-bas. Que ce soit en Économie, en Gender Studies (études de genre), en littérature, en Histoire, on rencontre de très bons chercheurs dans chaque matière. Les enseignants sont australiens, allemands, canadiens ou encore africains. C’est une université très multiculturelle. Et l’Histoire de la Hongrie est tellement marquée par le multiculturalisme. C’est une chance d’avoir cette université. C’est un symbole très positif, une métaphore des pays d’Europe centrale. En Europe de l’Est nous avons besoin de cette pensée multiculturelle car nous ne sommes pas seulement hongrois, roumains, polonais ou ukrainiens, mais issus d’états post-soviétiques. La transition a été très difficile en Europe de l’Est et nous avons besoin d’une université pour éclaircir cette période et étudier son histoire.
Le 29 avril à Bruxelles, Viktor Orbán a déclaré qu’il respecterait le droit européen. Croyez-vous que la mobilisation des dernières semaines a réussi à changer sa position ?
J’espère qu’il a changé d’avis. Le 1er mai nous étions encore 70 000 à défiler dans les rues de Budapest contre la politique de Viktor Orbán, c’est beaucoup. Malheureusement on sait bien qu’il mène une politique anti-européenne et qu’il se rapproche de Poutine. Quand il dit « Nous devons arrêter Bruxelles », pour moi c’est inacceptable. Il a fait placarder des affiches anti-européenne. Je suis très en colère que cela puisse arriver en Hongrie. Être dans l’Union Européenne aujourd’hui est nécessaire. Après la chute de l’URSS j’ai étudié en Allemagne. J’ai vécu là-bas pendant 3 ou 4 ans et je peux aujourd’hui publier mes livres dans ce pays. Les gens d’Europe de l’Est qui viennent en Hongrie ont souvent étudié en Allemagne, la philosophie allemande et la littérature française. Je ne suis pas hongroise, mais européenne. En tant qu’écrivaine, la culture européenne est très importante pour moi.
Il y a 3 ans vous étiez mobilisée contre la surveillance de masse. Vous aviez alors co-signé une pétition avec 561 auteurs. Vous considérez-vous comme une écrivaine engagée ?
Je suis une écrivaine indépendante dans mes choix et mes idées, mais j’appartiens à un mouvement d’écrivains. On peut avoir plus d’influence en menant des actions groupées. On peut ensemble faire apparaître une opinion dans les journaux. C’est une manifestation différente de celle qui défile dans les rues. S’allier à de nombreux autres écrivains est toujours mieux pour agir. L’union fait la force.
Aujourd’hui, êtes-vous libre d’écrire ce que vous voulez ?
Oui, je peux écrire tout ce que je veux. Mais je n’aurais pas de soutiens si j’émettais des critiques politiques. Nous n’avons rien en Hongrie pour nous protéger. Si vous êtes un critique politique en Hongrie, vous n’avez pas de soutien. Mes livres sont très critiques mais seulement sur des questions de société. Je prends le risque d’être critique parce que le système en Hongrie est très patriarcal et que mes livres sont des manifestes pour le droit des femmes dans cette société-là. Pas ici à Budapest, ni dans ce bistrot qui est très européen, mais si vous allez dans la campagne, vous vous rendrez compte que la société hongroise est très patriarcale.
En 2015 vous avez publié Thin Angels, un roman dans lequel vous brisez de nombreux tabous tels que l’infertilité, les violences conjugales ou les abus sexuels. Quel est le tabou que les écrivains hongrois devraient faire tomber actuellement ?
Dans une interview pour le Goethe Institut, vous avez déclaré que vous pourriez devenir une réfugiée politique. Avez-vous déjà été directement menacée ?
Non, je n’ai jamais été directement menacée. Je n’écris pas sur Viktor Orbán. Je suis une écrivaine et non un journaliste politique. J’écris parfois pour des journaux ou des magazines. La semaine dernière, j’ai écrit dans un magazine à propos de ma mère, de la littérature, de la société hongroise. Il n’est jamais question directement de la politique, mais pour moi c’est important de mettre des sujets sur la table, à propos de la famille, du système éducatif et de la société.
Pourriez-vous quitter la Hongrie ?
Quitter la Hongrie pour des raisons politiques serait très difficile. Je suis allée en Allemagne et en Suisse à Zurich et les gens me demandent toujours pourquoi je reste en Hongrie. Ma langue maternelle est le hongrois, j’écris en hongrois, je ne peux pas changer cela. Cette langue est très spéciale. J’écris sur les gens, sur la culture et je ne peux pas imaginer ma vie hors de la Hongrie. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde mais mes critiques de la société hongroise n’auraient pas de sens si je ne vivais pas en Hongrie. Si vous partez, vous perdez votre capacité à analyser votre propre société. Mais j’ai toujours à l’esprit cette question de partir à l’étranger.