Le disco polo a fait un retour en force ces dernières années, notamment grâce à la télévision publique qui le diffuse abondamment. S’agit-il simplement de répondre à la demande populaire pour cette musique ? Ou est-ce un outil pour servir l’agenda populiste du parti au pouvoir qui fait la guerre aux élites culturelles libérales ?
Cet article est une adaptation d’un article publié le 5 mars 2020 sur le site Notes from Poland sous le titre The return of disco polo: how Poland’s populists are using music to serve their agenda.
Le disco polo est typiquement polonais, composé de chansons électroniques entraînantes avec des paroles simples. Il a émergé au début des années 1990 comme un mélange de musique folklorique conviviale et d’Italo disco, de la pop utilisant des boîtes à rythmes et des synthétiseurs.
À l’origine, le Disco Polo était cantonné aux villages et petites villes de province, avant de gagner en notoriété l’année 1994, lorsque la chaîne de télévision privée Polsat a commencé à diffuser Disco Relax, une émission consacrée au genre. C’est à ce moment-là que des groupes tels que Boys et Bayer Full se sont fait connaitre auprès du grand public des grandes villes.
Les cercles cultivés autoproclamés de Pologne n’ont pas caché leur rejet de cette musique qui se popularisait et devenait le mainstream. Pour les élites urbaines, avec ses sons kitsch et ses paroles insignifiantes, elle était médiocre et gênante.
Mais au-delà la critique, déjà sévère, il y avait plus qu’un simple jugement esthétique : cela sentait le mépris vis-à-vis de la province, véhiculé alors dans le discours public.
Ville contre campagne
On trouve dans la langue polonaise un certain nombre d’expressions péjoratives vis-à-vis de la campagne. Le mot wieśniak (villageois), par exemple, peut désigner un rustre.
Et le Disco Polo dans les années 1990 était fortement associé à l’ambiance rurale, avec des références mélodiques à la musique folk traditionnelle polonaise et un public principalement en dehors des grandes villes. Cet aspect rural a fortement alimenté son rejet par les élites urbaines.
Cette question de la ruralité et de sa connotation péjorative en Pologne est très intéressante et n’a été largement débattue que ces dernières années, alors que la majorité des Polonais sont d’origine paysanne. Le quotidien Dziennik Gazeta Prawna explique ainsi le paradoxe :
La perception négative de venir d’un milieu rural découle directement de l’histoire, ou plutôt de la façon dont elle est enseignée. L’histoire qu’on apprend à l’école évoque la noblesse, même si ce groupe social ne constituait que 8 % de la société, alors que les paysans en étaient environ 90 %. (…) Pendant des siècles, les paysans étaient dépendants de leurs seigneurs, sans instruction, pauvres, liés à la polonité uniquement par la langue et la religion. Qui voudrait s’identifier à un tel groupe social ? La plupart des Polonais s’imaginent être les héritiers des traditions sarmates et nobles, pas paysannes.
La popularité du Disco Polo a finalement commencé à refluer et l’émission Disco Relax a été supprimée des programmes télé en 2002.
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La seconde vague
Mais dans les années 2010, c’est la renaissance. Le tube « Ona tańczy dla mnie » [« Elle danse pour moi »] devient l’une des chansons polonaises les plus populaires sur YouTube, et Polo TV, une chaîne du câble entièrement dédiée au disco polo est lancée dans la foulée. Depuis, le genre n’a fait que progresser.
Un sondage de l’année dernière a révélé que 63 % des Polonais déclaraient aimer écouter du Disco Polo. Les résultats, cependant, ont mis en évidence une forte fracture démographique et culturelle.
Seuls 6 % des diplômés de l’enseignement supérieur et 8 % des habitants des grandes villes déclarent « vraiment aimer » le disco-polo ; parmi les moins instruits et les habitants des villages, les chiffres étaient respectivement de 39 % et 33 %.
Ces dernières années, le disco-polo s’est également imposé dans un domaine où il était largement absent auparavant : la télévision publique. Alors que le parti national-conservateur Droit et Justice (PiS) – qui tire une grande partie de son soutien des zones rurales – a mis sous sa coupe la chaîne de télévision publique TVP, le disco polo a joué un rôle important.
La diffusion du disco polo par les médias publics a suscité un tollé qui n’est pas sans rappeler les réactions des années 1990.
TVP a diffusé une émission spéciale consacrée à Zenek Martyniuk, une star du genre, avec son patron Jacek Kurski bien en évidence dans le public. Martyniuk était également la tête d’affiche de l’émission du réveillon du Nouvel An 2020 de la TVP. Puis, en février de la même année, la chaine publique a cofinancé un biopic intitulé Zenek.
La diffusion du disco polo par les médias publics a suscité un tollé qui n’est pas sans rappeler les réactions des années 1990. Les critiques soutiennent que TVP, en tant que radiodiffuseur public, devrait promouvoir le bon goût et éduquer le public avec des contenus de qualité. Pourquoi gaspiller ainsi l’argent des contribuables ?
Les responsables de TVP ne le voient pas ainsi : ils répondent simplement à une demande populaire, au service de leur mission de divertissement pour les masses. Par ailleurs, le disco polo fait de l’audimat.
La ruralité n’a pas à rougir
Mais la promotion du disco polo par TVP sert aussi un autre objectif. Voici ce que Monika Borys, spécialiste des études culturelles et auteur d’un livre sur le disco polo dans les années 1990, dit à ce sujet dans une interview pour OKO.press :
TVP et [son patron] Jacek Kurski évoquent les émotions et les complexes qui ont surgi dans les années 1990 lorsque les élites ont unanimement considéré le disco polo comme quelque chose de honteux et méprisable. Aujourd’hui, TVP exploite ce complexe. Cela montre que les élites polonaises méprisent non seulement le genre musical, mais aussi le peuple – ses choix politiques, son mode de vie et ses passe-temps. Or, dans la rhétorique du PiS, le peuple équivaut à la nation. Ce motif identitaire est extrêmement important dans la politique culturelle du PiS.
Le disco polo est ainsi utilisé pour servir l’agenda populiste plus large du PiS, dans lequel il prétend purger la Pologne des anciennes élites – dans la politique, la justice, les médias et aussi la culture – pour les remplacer par des personnalités censées mieux servir et représenter les vrais gens. TVP montre que le gouvernement actuel accepte le mode de vie des masses polonaises, contrairement aux élites snob et méprisantes ancrées dans les années 1990, qui continuent de critiquer le genre même en 2020.
Après que le réveillon du Nouvel An de la TVP, marqué par les rythmes du disco-polo, ait provoqué les railleries de personnalités du monde de la culture et des médias, le JT de la chaîne – un porte-voix du parti au pouvoir – a titré un reportage : « Les pseudo-élites envient le Nouvel An des Polonais » proclamant que « les soi-disant élites » montrent « du mépris pour les Polonais normaux ».
Le disco polo est donc désormais assigné à un rôle politique et sert à diviser les élites urbaines et les masses rurales.
Avec le disco-polo, le radiodiffuseur public affirme que, non seulement la ruralité n’a rien de honteux, mais qu’elle fait désormais partie du courant dominant publiquement approuvé.
Cela peut soulager ceux qui viennent de la campagne ou des petites villes et doivent supporter le ton condescendant dans le discours polonais.
Le disco polo est donc désormais assigné à un rôle politique et sert à diviser les élites urbaines et les masses rurales […]. Il est dans l’intérêt du PiS d’attiser ce conflit et de mobiliser son électorat, traditionnellement plus rural et moins éduqué que les électeurs du principal parti d’opposition, la Plateforme civique (PO).
Bien sûr, cette exploitation politique du disco polo n’a rien de nouveau. Des politiciens de différents partis, comme l’ancien président de gauche Aleksander Kwaśniewski, ont utilisé des chansons de disco polo dans leurs campagnes pour se donner une image plus populaire. Ce qui est nouveau, c’est ce rôle de la TVP.
La prédication à la chorale
Mais ce débat médiatique assez houleux sur la question du rôle de la télévision publique laisse froids la plupart des gens. Il y a deux raisons principales à cela. Tout d’abord, le disco polo n’est plus sulfureux comme dans les années 1990, il fait partie du paysage. Chanter des « culottes à pois » sur fond de synthétiseur ne fait plus sourciller.
De plus, le disco polo a gagné en popularité ces dernières années dans les grandes villes comme Varsovie et Katowice. Beaucoup des anciens critiques d’hier le considèrent aujourd’hui comme un divertissement inoffensif, voir quelque chose avec une valeur unique, spécifiquement polonaise. Dans l’ensemble, même si les milieux cultivés ne sont toujours pas fans du genre, ils ne lui sont plus aussi ouvertement hostiles qu’autrefois.
Deuxièmement, les Polonais ont aujourd’hui accès à un très large éventail de chaines de télévision. Contrairement à l’ère communiste, lorsque l’État détenait le monopole de la télévision, aujourd’hui il, s’ils n’aiment pas, il leur suffit de zapper.
Crédit image principale : Agencja Gazeta/Tomasz Stańczak