En réaction au meurtre du journaliste d’enquêtes Ján Kuciak et de sa compagne Martina Kušnírová, le journaliste et éditorialiste Michal Havran livre une tribune au vitriol contre les réseaux politico-mafieux slovaques liés à la mafia italienne et soupçonnés d’être derrière l’assassinat du journaliste Ján Kuciak.
Une tribune de Michal Havran, publiciste, journaliste fondateur et éditeur du portail de gauche Jetotak.sk, lié au réseau du Monde Diplomatique. Elle a été publiée le 27 février sur le site Sme.sk. Traduit du slovaque par André Kapsas. |
Bien sûr que non, vous ne devez pas avoir peur des cartels colombiens, ni des Los Zetas du Mexique, ni des Vory v Zakone, ni des Ukrainiens, des Corses, ou des gangs de trafic d’héroïne de Dublin.
Et bien sûr que vous savez de qui vous devez avoir peur. Des prostituées anti-slovaques dont parlait déjà Fico[1]C’est ainsi que Robert Fico, Premier ministre slovaque, avait qualifié les journalistes avant même que ne soit révélé qu’il a une conseillère d’État liée à la Sicile et à la Calabre, et qu’elle n’y va pas pour y étudier le gothique ou l’histoire de Pompéi.
Et vous avez laissé tuer deux jeunes personnes, des jeunes qui apportaient quelque chose à la Slovaquie, qui voulaient y vivre, s’y étaient acheté une maison, et travaillaient chaque jour pour que nous soyons un pays normal. Pendant que vous, vous travailliez chaque jour à faire de la Slovaquie une république de cartels, […] et maintenant vous devez avoir peur de ceux qui viendront vous chercher.
Sauf que là, c’est vous qui avez foiré, comme on dit. Sur toute la ligne. Irrémédiablement. Mais logiquement, en fait, puisque tout ce que vous avez fait ici ces dernières décennies nous a mené à un tout autre niveau.
« Vous faites ça pour vos Rolex et vos Bentley de merde, c’est ça qui vous branche, de rouler sur les routes slovaques défoncées dans des voitures que même Elon Musk n’a pas »
Quant ils enterrent les morts
À ce niveau, on ne négocie plus, on laisse les cartouches après avoir exécuté les enfants. À ce niveau, il y a les fonds européens pour les fermiers, avec lesquels vous aimez vous faire prendre en photo, qui vont en fait dans les poches de porcs qui, comme l’écrit Saviano [2]Roberto Saviano, journaliste italien auteur de Gomorra, enterrent les morts sur les plages siciliennes ou les font couler dans du béton.
À ce niveau, il y a tous les jours des fusions entre leurs crimes et vos aspirations. Parce que vous ne faites pas ça pour recevoir de l’argent pour les écoles, mais pour vos Rolex et vos Bentley de merde, c’est ça qui vous branche, de rouler sur les routes slovaques défoncées dans des voitures que même Elon Musk n’a pas[3]Milliardaire d’Afrique du Sud.. C’est ce que vous vous êtes inventé comme auto-réalisation, c’est pour ce style de vie que vous êtes prêts à assassiner.
Pas pour la liberté, ni pour d’autres raisons nobles, mais pour des montres, des bateaux, pour des bouteilles d’alcool, pour prendre des lignes sur des yachts, vous, les paysans de familles slovaques, dont les parents ont bossé à l’usine, ou à l’école, et maintenant vous voulez montrer que vous avez réussi : sacs à mains, costumes de marque, excursion à Chelsea des secrétaires d’État, baises dans les avions qui vous emmènent faire les magasins à Milan…
Comme rien d’autre ne vous comble, vous aimez le hockey, la chasse, les safaris, les voyages autour du monde, et vous détestez les journalistes et les enquêteurs, vous préféreriez peut-être les faire tous tuer, mais vous ne pouvez pas, parce que le fric nécessaire à votre vie vide vient d’un monde où les journalistes et les enquêteurs ne se font pas tuer.
Depuis Mečiar il n’a que les modèles des voitures qui ont changé
Pourtant, vous vous taisez toujours quand on les attaque. Pourtant, vous défendez votre république des cartels, dans laquelle seul le modèle des voitures a changé depuis Mečiar. [4]Vladimir Mečiar, Premier ministre slovaque aux tendances autoritaires, au pouvoir entre 1993 et 1998. Pourtant, vous avez atteint un tel niveau de cynisme que vous ne vous contrôlez plus et cela ne vous dérange même pas, parce que votre argent, notre argent, qui manque partout, partout, partout, est là, là où est votre pays, où vous voulez vivre, où vous n’êtes venus que pour voler et tuer, et un de vous a perdu les pédales et vous avez tué des jeunes gens. Eux, ils n’avaient pas des villas au Bélize, juste une petite maison à Veľká Mača, et ils n’ont pas chanté les louanges de Svätopluk[5]Prince de la Grande Moravie à la fin du IXe siècle, présenté par les nationalistes slovaques du XVIIIe comme le Roi slovaque, mais ils ont mené des véritables fouilles, grâce auxquelles nous en savons plus sur nous-mêmes.
Et maintenant vous êtes dans une de ces merdes, une merde brutale, parce que peu importe où vous regardez, ça vient vers vous et vers les gens que vous connaissez. Allez enquêter sur vous-mêmes, et comme c’est Trošková[6]Ancien mannequin qui serait la maîtresse de Robert Fico et aurait des liens avec le crime organisé. qui en sait le plus, et bien envoyez-lui en donc, c’est 1 000 euros par info, comme aux shérifs de l’Alabama, et allez plus loin, dans une famille arriérée de Sicile, puisque vous savez que vous n’avez pas à enquêter et puisque vous ne vous condamnerez pas vous-mêmes, et Kočner[7]Homme d’affaires visé par les enquêtes de Kuciak et ayant menacé le journaliste par le passé., ou n’importe qui d’autre vous convient pour lui faire porter le chapeau…
Sauf que là vous êtes dans une merde d’une taille galactique et c’est notre niveau et notre présidence, car nous présidons maintenant un cartel international, direct depuis notre lit, et nous tuons des gosses, et nous n’habitons pas dans un pays africain avec des enfants soldats, mais entre petits Slovaques, qui se volent et se tuent les uns les autres pour des montres et des appartements. Parce que seul un petit Slovaque est assez hypocrite pour se tordre les mains et se désoler devant la violence et la vulgarité, alors qu’il est en plein dans les appels d’offres et les magouilles de fonds européens. Et vous faites de tout, c’est même parfois amusant, sauf que là vous avez foiré.
Combien de fois est-ce que les porcs ont proféré des menaces, ouais, vous vous désolez de ces « impolitesses ». Combien de fois avez-vous désigné les journalistes comme des ennemis, des traîtres, des corrompus ?
Eh bien il semble que c’est vous les traîtres et les ennemis, vous êtes les ennemis publics de la Slovaquie, avec votre soif insatiable d’argent, dont vous n’aurez jamais assez, avec l’insolence dont vous faites preuve en détruisant les lois protégeant les femmes (la Slovaquie refuse de ratifier la Convention d’Istanbul, i.e. la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) alors que vous ne savez même pas protéger deux jeunes gens.
« Vous pouvez proposer toutes les récompenses du monde, cela ne sera rien par rapport à tout ce que vous vous êtes mis dans les poches sans rien demander à la société. »
Vous n’avez aucun respect pour la vie
Et vous allez mentir sur la criminalité de jeunes qui fument des joints. Vous, putains d’alcoolos avec vos Rolex et vos Bugatti Veyron, vous allez faire la morale sur qui déstabilise et divise la société, vous qui avez manqué de chance et avez deux cadavres sur les bras, deux jeunes exécutés. Et ça vous convient de trouver des mots sur le manque de confiance envers les médias, sur les pressetituées[8]Jeu de mots liant presse et prostituée. et les mercenaires. Sauf que là, il semble que c’est vous qui servez des intérêts étrangers, c’est vous qui savez qui a fait ça. […]
Vous n’avez aucun respect pour la vie. Vous n’avez aucun respect pour le travail des autres. Vous n’avez aucun respect pour la Slovaquie et ses citoyens et citoyennes, et aujourd’hui vous êtes au terminus, c’est la fin, ici, votre conscience vous attend, la société vous attend, les médias et les enquêteurs vous attendent, l’Histoire vous attend, parce que vous n’y entrerez pas comme propriétaires des agences Roko ou Evka[9]Mêlées à des scandales de corruption., mais plutôt comme ceux qui n’ont pas su protéger un jeune journaliste et sa fiancée. Et vous pouvez proposer toutes les récompenses du monde, cela ne sera rien par rapport à tout ce que vous vous êtes mis dans les poches sans rien demander à la société. Vous avez été tellement incapables de sauvegarder l’État que vous l’avez changé, et vous savez bien en quoi, puisque vous avez laissé entrer les cartels dans les palais de l’État. Et vous vivez avec les cartels, et vous finirez avec les cartels. Ce n’est plus de la politique, c’est du terrorisme, vous en êtes les souteneurs, vous l’avez laissé vivre et se préparer, et maintenant il vous a échappé. Mais vous saviez que ça finirait comme ça parce que vous ne savez rien de vous-mêmes, mais vous sentez bien que vous êtes des porcs cyniques et sans scrupules, et que vous venez de tomber de la vitesse cinq à zéro, que la douce croisière en ligne droite est finie et que vous êtes au terminus.
Notes
↑1 | C’est ainsi que Robert Fico, Premier ministre slovaque, avait qualifié les journalistes |
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↑2 | Roberto Saviano, journaliste italien auteur de Gomorra |
↑3 | Milliardaire d’Afrique du Sud. |
↑4 | Vladimir Mečiar, Premier ministre slovaque aux tendances autoritaires, au pouvoir entre 1993 et 1998. |
↑5 | Prince de la Grande Moravie à la fin du IXe siècle, présenté par les nationalistes slovaques du XVIIIe comme le Roi slovaque |
↑6 | Ancien mannequin qui serait la maîtresse de Robert Fico et aurait des liens avec le crime organisé. |
↑7 | Homme d’affaires visé par les enquêtes de Kuciak et ayant menacé le journaliste par le passé. |
↑8 | Jeu de mots liant presse et prostituée. |
↑9 | Mêlées à des scandales de corruption. |