En Europe de l’Ouest, ce sont de douces sœurs orthodoxes vendant de l’artisanat pour financer leurs œuvres de charité. Au Bélarus, ce sont de ferventes supportrices de la dictature, de la guerre contre l’Ukraine et de la croisade contre « l’Occident décadent ».
« Sœurs du Monastère Sainte-Élisabeth aident les enfants de l’orphelinat (sic) », affichait l’étal de l’une des sœurs du monastère de Minsk vendant ses produits dans la paroisse Saint-Léon de Paris fin mai 2023. Depuis des années, vous pouvez trouver les produits du Monastère Sainte-Élisabeth dans les églises et marchés de Noël de plusieurs villes d’Europe de l’Ouest. Icônes, enregistrements de chants et de musique religieuse, artisanat, miel, tisanes… Tout cela au profit d’enfants dans le besoin, disent-elles. Pas étonnant que les sœurs bélarussiennes charment les communautés chrétiennes occidentales de France, de Belgique, de Suisse et d’ailleurs.
Au Bélarus, elles troquent les images d’enfants dans le besoin pour celles de soldats russes, et l’argent récolté ne va pas à l’orphelinat, mais bien au front russe en Ukraine. Depuis août 2022, les sœurs du Monastère Sainte-Élisabeth s’affichent en public avec le ‘Z’ des troupes russes et leurs messages militaristes tel que ‘Nous n’abandonnons pas les nôtres’ avec lesquels elles appellent les Bélarussiens à envoyer de l’argent, du matériel et des lettres d’encouragement aux troupes du Kremlin. Une des cartes postales vendues représente un soldat russe devant une église orthodoxe avec le message : « DIEU est avec nous, comprenez cela, païens ! ».
Dès le renouveau de l’invasion russe en février 2022, le monastère a pris fait et cause pour la campagne militaire russe par la voix de son dirigeant, le père Andreï Lemiachonak, qui est très actif dans l’espace public, notamment sur son canal YouTube qui rassemble plus de 300 000 abonnés. Reprenant la propagande russe axée sur la souffrance des habitants du Donbass et mettant en garde contre une attaque imminente contre la Russie, le prêtre a accordé sa bénédiction à la guerre. Il a même déclaré prier non seulement pour Vladimir Poutine, mais aussi pour son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou.
Des liens solides et anciens avec la dictature
Ce soutien à la guerre n’est pas une véritable surprise, étant donné les solides liens qui unissent le monastère à la dictature bélarussienne, résolument du côté du Kremlin. En 2020, le père Lemiachonak était venu à la défense du régime bélarussien ébranlé par un mouvement de protestation sans précédent. Lors de la violente répression des manifestations pro-démocratie au Bélarus, Lemiachonak assurait dans l’une de ses nombreuses vidéos que le mouvement de protestation était organisé de l’étranger pour transformer le pays en « colonie de l’OTAN ». En novembre 2020, il intimait aux parents des jeunes battus dans les rues par la police de se repentir. Encore en mai 2022, il louait Loukachenka sur la télévision d’État comme un choix fiable pour le pays.
En pleine pandémie du coronavirus, au printemps 2020, Lemiachonak avait aussi imité le dictateur, refusant toute mesure sanitaire et appelant les fidèles à participer aux messes de Pâques en masse en affirmant qu’ « il vaut mieux mourir tout en restant avec Dieu ». Plus tard, il avait refusé les vaccins en disant que « notre vaccin, c’est le corps et le sang du Christ ». Auparavant, le monastère s’était aussi fait connaître pour sa collecte de signatures en faveur de l’interdiction de la soi-disant « propagande gaie », sur le modèle de la loi russe de 2013. Sur le site du monastère, le père Lemiachonak avait justifié son soutien à la pétition en décrivant le mouvement LGBT+ comme « une idéologie anti-famille, un combat contre la famille, et la destruction de la famille est l’objectif principal du diable. »
Si l’Église orthodoxe bélarussienne, à laquelle appartient la majorité des croyants, reste un appui inébranlable du régime d’Aleksandr Loukachenka, elle se fait plus discrète sur le sujet de la guerre en Ukraine. Surtout comparée à ses confrères russes, qui ont pris fait et cause pour l’invasion militaire. Ainsi, le Monastère Sainte-Élisabeth n’a pas lancé sa collecte pour les troupes russes de sa propre initiative, mais a plutôt rejoint la campagne « Aide aux frères » du monastère russe Marie Madeleine (région d’Oriol) qui fournit du soutien aux soldats du Kremlin depuis février 2022.
Les dons collectés auprès des fidèles bélarussiens semble passer par l’organisation russe ‘Patriote’ qui assure l’acheminement de l’aide matérielle aux soldats occupant le territoire ukrainien. Sur les réseaux sociaux, ‘Patriote’ louait récemment l’aide envoyée du Bélarus, notant qu’en plus du matériel, l’organisation avait reçu deux enveloppes d’argent : l’équivalent de 3 700 dollars américains pour les soldats et 965 pour la population civile du Donbass. Tel que le remarque le journal bélarussien dissident ‘Nacha Niva‘, qui a diffusé la nouvelle, « les priorités sont évidentes ». Le 7 janvier 2023, à l’occasion de la Noël orthodoxe, le président bélarussien Aleksandr Loukachenka a visité le monastère et loué son aide aux troupes russes, « nos frères russes », comme il a dit.
Un double-jeu mis à jour
Le double jeu des sœurs bélarussiennes est cependant de plus en plus difficile à mener depuis que leurs positions pro-guerre se sont fait connaître en Europe. En novembre 2022, le monastère s’est vu refuser l’accès au plus grand marché de Noël britannique, celui de Winchester. En décembre 2022, des activistes bélarussiens de l’Association Roukh (Mouvement) en exil sont venus perturber l’étal des sœurs installé à l’entrée du cimetière orthodoxe de Varsovie. Puis, en mars 2023, la presse suédoise a révélé la vérité sur les activités du monastère après la venue des sœurs dans une paroisse de Selånger.
Le Courrier d’Europe centrale a contacté une dizaine de paroisses françaises, belges et suisses qui ont accueilli les sœurs du Monastère Sainte-Élisabeth dans les dernières années pour leur demander si ces églises étaient au courant de la réputation sulfureuse des religieuses bélarussiennes. Au moment de la publication de cet article, seule la Basilique Notre-Dame de Genève avait répondu par le biais de son recteur, l’abbé Pascal Desthieux. Celui-ci s’est dit « très surpris » par nos informations et a assuré que son institution n’accepterait plus la présence des sœurs « sans une discussion préalable concernant leur orientation politique, et surtout de solides garanties concernant la destination de la récolte de fonds. »