Le livre de Robert Capa, le célèbre photographe d’origine hongroise, publié pour la première fois en 1938, vient de paraître dans une édition hongroise. L’occasion de revenir sur le destin exceptionnel de ces pionniers du photojournalisme, pour beaucoup originaires d’Europe centrale.
« Enfin ! », pourrait-on dire. Début juin, les éditions Park Publishing de Budapest ont publié la version hongroise de « Death in the making », le livre de Robert Capa paru pour la première fois en anglais aux États-Unis en 1938. Ce livre – devenu rare – retrace en photos et textes la première année de la guerre civile espagnole qui dura de 1936 à 1939. Lâchés par les États-Unis, l’URSS et les pays européens qui décidèrent de ne pas intervenir dans ce conflit, les Républicains furent vaincus en 1939 par le général Franco à la tête de son armée rebelle qui installa une féroce dictature en Espagne jusqu’à sa mort le 20 novembre 1975.
Ce conflit fut un préambule à la Seconde Guerre mondiale. Il eut un retentissement mondial grâce aux reportages des nombreux journalistes et écrivains qui se sont rendus sur place comme Ernest Hemingway et George Orwell. Mais, surtout, grâce aux photographes, les premiers photojournalistes, qui ont montré les horreurs de cette guerre civile en s’engageant au plus près de la population. Parmi eux, trois photographes immigrés de l’Europe centrale au début des années 30: le hongrois Robert Capa de son vrai nom Endre Ernő Friedmann, l’Allemande Gerda Taro née Gerda Pohorylle à Berlin, et le polonais David Seymour dit « Chim » né Dawid Szymin à Varsovie.
Des photographes exilés de passage à Paris
Ayant fui leurs pays respectifs en raison de leur engagement politique, mais aussi les persécutions contre les Juifs dans cette partie d’Europe qui s’assombrissait, ils s’étaient rencontrés tous les trois à Paris, leur ville d’accueil, dans le quartier Montparnasse. Sans le sou et avec comme seule arme leurs appareils photo, ils s’étaient engagés auprès des Républicains pour témoigner et alarmer le monde du danger fasciste. Leurs photos furent publiées dans les plus grands journaux de l’époque (Life, Regards, Vu, Ce Soir, The Illustrated London News, …). Elles montraient de manière réaliste la vie quotidienne des Républicains sous les bombes, leurs combats et leurs sacrifices. La photo la plus célèbre reste « La mort d’un soldat républicain » attribuée à Robert Capa, montrant la mort d’un soldat fauché par les balles franquistes, fusil à la main.
Les trois photographes connurent une fin tragique. Capa quitta l’Espagne en 1937 laissant « la compagne de sa vie » Gerda Taro sur le terrain. Elle continua de photographier au plus près les combattant(e)s, mais ses photos ne furent pas toujours créditées de son nom pendant de longues années. Gerda Taro fut tuée par un char lors de la bataille de Brunete, près de Madrid, le 27 juillet 1937. Elle n’avait que 27 ans. De son côté, Chim continua son travail sur la guerre d’Espagne en suivant la retraite dramatique des Républicains vers la France. Après de nombreux reportages à travers l’Europe d’après-guerre, il mourut le 10 novembre 1956 fauché par une rafale de mitraillette juste après le cessez-le-feu dans la crise de Suez. Capa qui ne s’était pas remis de la mort de Gerda Taro, fut le seul photographe à débarquer en 1944 avec les Alliés sur les plages de Normandie. Il mourut lors d’un reportage en Indochine le 25 mai 1954 en sautant sur une mine.
Le livre « Death in the making » est dédié à Gerda Taro « qui a passé un an sur le front et qui y est restée » écrit Capa. La mise en page très sobre a été réalisée par André Kertész, photographe hongrois exilé lui aussi à Paris, et préfacé par le journaliste américain du Chicago Tribune Jay Allen qui a souvent accompagné Gerda Taro sur le terrain en Espagne. « L’idée de ce livre est née lors du premier voyage de Robert Capa à New York pour y revoir son frère et sa mère, mais aussi pour renégocier sa relation avec les agences photo new-yorkaises », explique Cynthia Young, conservatrice du fonds Capa à New York, dans la postface du livre. « Il a été publié avec un succès modeste, et probablement en quantité limitée, mais est devenu au fil des ans une sorte de livre culte underground ».
Ainsi, le livre fut réédité en anglais et en français (Éditions Delpire, Paris 2020) dans sa version d’origine. Une polémique éclata quant au crédit des photos toutes signées de Robert Capa. Ce dernier expliqua plus tard que « le travail était un projet collectif » réhabilitant ainsi le travail de Gerda Taro dont les photos « sont intercalées et non attribuées ».
La version hongroise est l’exacte copie de la version originale de 1938. Les éditeurs ont toutefois utilisé des images et des négatifs des papiers originaux et de nouvelles copies ont été faites et complétées par un essai historique. La paternité des photos a également été identifiée avec précision pour celles de Chim et Gerda Taro. « Les préparatifs pour ce livre ont duré onze ans, mais cette longue période a permis à l’International Capa Center à New York [dirigé par Cornell Capa, le frère cadet de Robert décédé le 23 mai 2008] d’identifier les auteurs de chaque photographie. Ainsi, 24 des 148 images contenues dans le livre ont été réalisées par Gerda Taro et 11 par David Seymour », dit András Rochlitz, fondateur des éditions Park Publishing.
La version hongroise, très soignée, de ce livre culte réalisé par les pionniers du photojournalisme est à ne pas manquer. Death in the making, Traduit par Laura Lukács, 112 pages, 8500 forint. Park Publishing
Photo d’illustration : photo de la couverture de l’édition hongroise. (Crédit : Daniel Psenny, CdEC)