Après la déroute des partis de gauche aux élections législatives cet automne en République tchèque, le journaliste et fondateur du magazine A2larm, Jan Bělíček, explore les pistes qui pourraient permettre à la gauche de contrer le populisme en Tchéquie et dans le reste de l’Europe centrale.
Article publié le 30 novembre 2017 dans Political Critique sous le titre « The Left should not be an exclusive club for the elites » réalisé par Michal Chmela. Traduit de l’anglais par Camille Burgess. |
« L’une des raisons pour lesquelles la gauche a perdu, affirme Jan Bělíček dans une interview avec le principal hebdomadaire politique tchèque, Respekt, c’est que l’ère du débat politique rationnel est dépassée. Les solutions rationnelles ont disparues avec la crise économique de 2008. Les partis de gauche, continue-t-il, sont arrivés à comprendre les raisons derrière la crise – le capitalisme mondial et autre – mais ne sont pas parvenus à les utiliser dans le débat politique. Cette critique ne s’est pas traduite dans les programmes, et a crée un vide qui a été comblée, paradoxalement, par la droite, qu’elle soit conservatrice ou radicale. »
Selon Bělíček, Kaczyński est un cas d’école. « Il y a quatre ans, Kaczyński a posté une vidéo de lui dans laquelle il tient un livre, Le Capital au 21ème siècle de Thomas Piketty. Il a déclaré ne pas supporter les néo-marxistes de gauche mais que ce livre avait eu une grande influence sur lui et qu’il en ferait la base de son programme politique. PiS, selon Bělíček, a saisi l’opportunité de mettre en place un nouvel agenda politique, présenté par une critique de gauche de la société contemporaine, et l’a enveloppé d’idées nationalistes et conservatrices. Et Kaczyński n’est pas seul à emprunter cette voix – on peut noter le discours anti-establishment de Trump, Le Pen, du parti autrichien FPÖ et de l’allemand AfD. La gauche a gâché une grande opportunité, conclue-t-il. Et le pire est qu’elle a laissé l’opposition s’emparer de ses propres arguments et sujets. »
« Kaczyński et son parti se sont emparés de l’agenda social et l’ont pétri d’une idéologie nationaliste et haineuse. »
« Kaczyński et son parti se sont emparés de l’agenda social et l’ont pétri d’une idéologie nationaliste et haineuse – et soudainement la gauche n’a plus rien à offrir. Les pulsions de haine et de nationalisme sont bien plus fortes que le simple fait de dire, trouvons une meilleure politique sociale. Mais le vrai problème, c’est que la gauche a laissé les questions sociales être reléguées au second plan. Elle aurait dû adresser la question de l’identité nationale dans le but de se différencier de l’extrême-droite. Elle aurait dû s’emparer de cette question. Il reste à voir si cette tactique va permettre d’arriver à quelque chose de concret, mais certains partis tchèques sont parvenus à concilier l’idée de combattre le terrorisme islamique et dans le même temps, de soutenir la politique des quotas de migrants, en soulignant que les migrants ne représentent pas une menace pour le mode de vie des gens en diminuant encore le coût du travail par exemple. »
Bien sûr, la Tchéquie a sa propre figure qui pourrait devenir autoritaire, en la personne d’Andrej Babiš, qui a réussi à écumer les votes de gauche. « Babiš joue sur une image anti-système, ce qui est plutôt paradoxal après avoir passé quatre ans au gouvernement. Mais il a été poussé en quelque sorte à mener des mesures sociales (dans le sens de socialistes) par la coalition avec les sociaux-démocrates, explique Bělíček. Le revenu minimum a augmenté, les retraite aussi – tout ce qu’un électeur de gauche aime entendre. Et Babiš en a pris conscience et l’a mis en avant pendant sa campagne, volant au passage des électeurs sociaux-démocrates et communistes. »
Que doit faire la gauche tchèque maintenant ? « Cette question n’est pas au programme. Les Verts ont souffert d’un problème différent, ils sont un parti hautement intellectuel et élitiste. Ils n’avaient aucun moyen de parler aux personnes que leur programme concerne. Les gens étaient souvent d’accord avec ce qu’ils disaient mais n’aimaient pas le parti ou sa représentation« . Pour Bělíček, il y a toujours de la place pour un parti avec un programme similaire et une campagne plus ciblée, plus agressive.
Après ça et les 8% des sociaux-démocrates, un score désastreux pour un parti qui a été influent, la gauche tchèque a un besoin urgent de renaissance. « Avoir un leader de gauche semblait être une bonne première étape pour les Verts, qui se concentraient sur un libéralisme culturel et des politiques sociales. Mais c’était un coup à long terme parce que l’électorat des verts va principalement du centre jusqu’à la droite – et le parti ne les a pas convaincu que des politiques sociales soient réellement dans leurs intérêts », déclare Bělíček. Ils ont atteint les classes moyennes et les hautes classes moyennes plutôt que les classes plus populaires de la société. Et ont échoué.
Alors, n’est-ce pas le moment de créer un nouveau parti de gauche ? « Pourquoi pas. Les élections ont beaucoup secoué les Verts et les sociaux-démocrates et cela pourrait pousser les gens vers d’autres partis », prédit-il. La faction de gauche des verts et les sociaux-démocrates pourraient facilement s’unir. « J’espère seulement que si cela arrive, le nouveau parti ne succomberait pas à des impulsions trop abstraites et intellectuelles, incompréhensibles pour toute personne qui ne s’intéresse pas à la politique ou au théories de gauche« , dit Bělíček. « Ce serait la route de l’enfer« . Les résultats impressionnants du Parti Pirate, qui devient le troisième parti de Tchéquie, montrent qu’il y a toujours une place pour une politique progressiste. N’importe quel sujet de gauche avec une bonne campagne, un leader charismatique et un discours anti-système pourrait emporter plus ou moins le même nombre de votes que le Parti Pirate. La situation politique en Tchéquie est encore loin d’être aussi misérable qu’en Hongrie ou en Pologne.
« En Pologne, contrairement à ce que l’on aime penser, les personnes qui ont élu Kaczyński ont voté rationnellement. »
Mais Bělíček n’a pas besoin de chercher très loin pour prouver le contraire : « En Pologne, contrairement à ce que l’on aime penser, les personnes qui ont élu Kaczyński ont voté rationnellement : son parti propose des politiques sociales. Si on regarde les chiffres, PiS a réussi à réduire de 90% la pauvreté infantile. Il a introduit des aides pour les parents de moins de 18 ans, ce qui a amélioré la situation des Polonais les plus pauvres qui ont souvent des familles plus nombreuses« , pointe Bělíček.
Selon Bělíček, un parti de gauche moderne aurait du pain sur la planche. « Il ne peut pas abandonner la question du libéralisme culturel, ou se laisser aller à des tendances nationalistes et xénophobes. Il a aussi besoin de reprendre les anciennes structures construites par les anciens partis de gauche – un état providence fort, des syndicats puissants … – et les adapter à la situation actuelle« , comme l’évolution du marché du travail, ou l’automatisation du travail. « Et bien sûr il y a la question du salaire de base, qui aurait l’avantage de prévenir toute stigmatisation des personnes qui acceptent les aides de l’Etat comme c’est souvent le cas dans le cadre des politiques sociales que l’on connait. L’idéal de la « vieille gauche » était le plein emploi, la « nouvelle gauche » devrait se battre pour libérer les gens du travail. »
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