Un documentaire diffusé sur « Arte » remue le couteau dans la plaie, peu avant les commémorations du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Des centaines de milliers de juifs hongrois auraient pu échapper à leur sort tragique si les Alliés avaient décidé d’intervenir.
L’Allemagne nazie menait deux guerres en parallèle : une guerre territoriale pour la domination de l’Europe et une guerre raciale pour anéantir les juifs. Les Alliés, c’est à dire essentiellement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi la résistance polonaise, ont fait le choix de se battre sur le premier front, mais pas sur le second, abandonnant les populations juives à leur sort. Voilà ce qu’il ressort d’un documentaire diffusé cette semaine sur la chaîne franco-allemande Arte : « 1944 : il faut bombarder Auschwitz ».
Au printemps 1944, deux évadés slovaques du camp d’Auschwitz-Birkenau, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, arrivent à quitter la Pologne et à rejoindre Žilina en Slovaquie. Là, ils témoignent de façon très précise, auprès du Conseil juif local, de l’extermination systématique des déportés, dans les chambres à gaz. Jusque-là, les alliés disposent d’informations, mais elles sont parcellaires. Leur témoignage fait son chemin, difficilement, jusqu’à Jérusalem, Londres et Washington, par l’intermédiaire du World Refugee Board.
Les Alliés envisagent différentes options : bombarder les installations de mort du camp, au péril de la vie de dizaines de milliers de personnes entassées dans les baraquements ? Même les autorités juives se divisent sur la question. Bombarder de façon systématique les voies ferrées qui convergent vers le sud de la Pologne ?
Finalement, décision est prise…de ne rien faire. L’argument avancé est le suivant : tous les efforts de guerre doivent se porter sur le front militaire contre la Wehrmacht pour obtenir une victoire et une reddition de l’Allemagne aussi rapide que possible. Cela permettrait, par ricochet, de mettre un terme aux meurtres de masse, que l’on ne nomme pas encore « génocide ». Ainsi, l’usine IG Farben, située à quelques kilomètres des chambres à gaz, qui fournit du matériel militaire à l’armée allemande, sera bombardée, mais pas les installations du camp, ni les voies ferrées qui le desservent.
Plus de quatre cent mille juifs hongrois mourront à Auschwitz
Le film remue le couteau dans une plaie béante. La Royal Air Force et l’US Air Force avaient les moyens d’éviter à plusieurs centaines de milliers de juifs hongrois d’être tués à Auschwitz. Car au moment où les deux évadés slovaques transmettent leurs informations, au mois d’avril 1944, leur phase d’extermination n’a pas commencé.
La Hongrie, et ses territoires annexés de Slovaquie, de Roumanie et de Yougoslavie, abrite à ce moment plus de 800 000 juifs. Le régent Horthy refuse de céder aux pressions exercées par son allié Hitler pour leur déportation. Mais les nazis envahissent le pays en mars 1944 et les déportations débutent au mois de mai, reconstitue l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, Yad Vashem. En l’espace de huit semaines seulement, près de 424 000 personnes sont déportés à Auschwitz-Birkenau. Selon Yad Vashem, 565 000 juifs hongrois seront assassinés au total, avec les massacres commis par les Croix-Fléchées pro-nazies arrivées au pouvoir en octobre 1944.
Les deux rescapés slovaques avaient pourtant prévenu : les Allemands préparent l’extermination des juifs hongrois. L’un d’eux déclare : « Ils se préparent pour l’extermination de tous les juifs de Hongrie. C’est pour ça qu’ils ont construit un nouveau crématoire et qu’ils ont agrandi la rampe. Je l’ai entendu à plusieurs reprises [de la bouche de SS] ». Il rapporte aussi : « J’ai entendu un officier dire qu’il n’en pouvait plus du fromage hollandais et qu’il avait hâte de voir arriver le salami hongrois. Il faut avertir le peuple hongrois de ce qu’il va se passer ».
Lire ici des témoignages proposés par Yad Vashem.
Visionner ci-dessous le film documentaire d’Arte : « 1944 : il faut bombarder Auschwitz ».