Sorti en salles début novembre, le documentaire Lombard, fait d’un mont-de-piété une fenêtre d’observation sur un quartier déshérité de Silésie. Entre reportage social et comédie noire, le film réussit le tour de force de sortir de l’oubli les laissés-pour-compte de la transition économique sans sombrer dans le misérabilisme. Compte-rendu.
Lombard, sorti en salles début novembre, est un film documentaire qui, prenant un naufrage pour objet, remplit étrangement d’espoir. On y suit durant un peu moins d’une heure trente les péripéties des cinq personnes gérant un mont-de-piété (« lombard » en polonais) qui file droit vers la faillite. Avec beaucoup d’habileté (et ce qu’il faut d’humour), ce local un brin délabré où s’entassent une multitude d’objets hétéroclites, devient une fenêtre d’observation sur un quartier périphérique de la ville de Bytom, en Silésie, sinistrée par le déclin du secteur minier.
Au fond, que ce lombard (l’étymologie du mot « lombard » renvoie à la Lombardie italienne, où les premiers monts-de-piété ont vu le jour) soit « le plus grand d’Europe », comme l’affirme le matériel promotionnel du film, importe peu. Du continent, il n’est jamais question, de la Pologne non plus, et c’est à peine si le nom de la ville est mentionné : de la première à la dernière minute, on ne quitte pas le magasin et sa tôle jaune délavée – dont on sait en revanche dès le début qu’il est situé, ça ne s’invente pas, « rue des persévérants » (ulica wytrwałych). Et si on assiste à toutes les tâches qu’exige l’entretien du local (réception et test des articles, dépoussiérage des étagères, mise en rayon, traitement des commandes…), on saisit bien vite que cette petite entreprise, qui semble délaisser peu à peu sa logique de profit pour revêtir une mission sociale, n’est que le décor d’une intrigue plus vaste.
Instants d’humanité
De fait, la caisse est vide et les clients sont rares. Outre les salariés de l’institution, les quelques personnages que l’on entrevoit sont de pauvres habitants du quartier, abîmés par la vie, venus troquer une lampe, une bouilloire, un micro-ondes, pour quelques billets qui les sauveront du pire.
Ces passages sont la matière première de scènes précieuses, où les employés du mont-de-piété, par la sollicitude qu’ils témoignent à leurs visiteurs (et parfois le soutien matériel qu’ils leurs offrent), emplissent d’humanité, pour un instant au moins, ce quartier aux murs noircis de suie. Ceci de façon d’autant plus spontanée qu’ils les connaissent intimement, sont leurs voisins, leurs semblables, et n’ignorent rien des calamités qu’ils leur rapportent – de l’alcoolisme chronique aux violences conjugales, et jusqu’à la misère la plus nue, qui pourrait revenir frapper à leur porte si leur commerce en venait à s’effondrer définitivement.
Ces gestes et paroles de solidarités, ces moments de joie quand tout invite au désespoir, sont ce qui permet au jeune réalisateur Łukasz Kowalski de sortir de l’invisibilisation ces naufragés de la transition vers l’économie de marché sans sombrer dans le misérabilisme. Plus audacieux encore, ou plus inattendu, il fait pencher son film, emporté par la musique rythmée de Krzysztof Janczak, du côté de la comédie par quelques scènes à l’humour bien senti, confinant parfois à l’absurde, et qui sont autant de moment de respiration pour le spectateur éprouvé.
Présenté au Festival international du film documentaire de Copenhague (CPH:DOX), couronné du Grand Prix du festival polonais Millennium Docs Against Gravity, apprécié de la critique, on souhaite à Lombard, son réalisateur et son équipe, le succès qu’ils méritent – y compris auprès du public francophone.