Videoton en finale de la Coupe de l’UEFA, fin du communisme et arrivée de la IIIe République, création du Sziget puis du Balaton Sound, ascension du Fidesz dans les urnes, Puskás s’en va, sept titres pour Ferencváros et autant pour Debrecen, fondation du Szimpla Kert, les lignes 3 et 4 du métro de Budapest, ouverture puis fermeture puis ré-ouverture puis re-fermeture puis ré-réouverture de l’Aéroport Hévíz-Balaton, naissance de Roland Juhász, et plus encore. Il s’est passé tellement de choses depuis la dernière qualification de la Hongrie au championnat d’Europe des Nations qu’il est compliqué de toutes les énoncer. 44 ans, c’est long, très long, encore plus long que les Rhapsodies de Liszt. Alors comment expliquer cette qualification à l’Euro 2016, qui plus est plutôt poussive ?
Article publié le 7 juin 2016 dans Footballski |
Un Euro à 24 et des barrages enfin atteints
La première réponse est sans doute l’élargissement de l’Euro à 24 équipes. Pour ou contre, chacun à son avis, mais le fait est que cet article n’existerait sans doute pas sans cet élargissement. Bien qu’un Euro à 32 ou 48 équipes seraient souhaitables pour permettre à l’équipe nationale moldave de participer à la grande fête du football européen, convenons-en, la Hongrie profite donc pleinement de cette nouvelle mouture, tout en rappelant qu’elle a gagné sa place sur le terrain comme les 22 des 23 autres équipes. Dans un groupe homogène où la Grèce s’est pissée dessus et l’Irlande du Nord a, non sans surprise, dominé les débats, la Hongrie a même failli ne pas passer par la case barrages puisque sans la victoire du Kazakhstan en Lettonie lors du dernier match, elle aurait chipé la place de meilleure troisième à la Turquie.
Mais pas que. Alors que depuis 1991, la Hongrie n’a pas vraiment eu voix au chapitre lorsqu’il s’agissait de se qualifier pour une compétition internationale (hormis un barrage en 1997, où elle fut corrigée par la Yougoslavie, 1-7 à domicile puis 5-0 à Belgrade), on peut remarquer une lente mais réelle progression depuis une dizaine d’années. Ainsi, après le fiasco des qualifications pour l’Euro 2008, la Hongrie s’était bien défendue dans un groupe difficile (Suède, Portugal, Danemark) en vue de la Coupe du Monde 2010.
Lors des deux campagnes suivantes, la Hongrie se rapproche d’une place de barragiste qui lui file d’ailleurs sous le nez à l’automne 2013, avec une défaite face à la Roumanie puis une débâcle chez des Néerlandais déjà qualifiés (8-1) qui permet au voisin honni d’accéder aux playoffs, qu’ils perdront face à la Grèce.
Vient alors la campagne victorieuse, avec un petit coup de pouce du destin : un groupe pas franchement folichon, surtout lorsque la tête de série grecque se plante dans les grandes largeurs. La Hongrie débute mal avec une défaite en Irlande du Nord, qui scelle le sort d’Attila Pinter à la tête de la sélection et l’arrivée de Pál Dárdai pour redresser la barre. La Hongrie parvient à arracher le nul en Roumanie grâce à un coup-franc splendide de Dzsudzsák, puis à remporter trois de ses quatre matchs suivants, en partageant les points contre la Grèce.
Dardai, entre-temps, prend également les commandes du Hertha sur base intérimaire en février 2015 pour signer un contrat définitif à la fin de la saison, pour la suite heureuse que l’on connaît. Le voyant est alors à l’orange pour le sprint final de ces qualifications. C’est à Bernd Storck, alors directeur sportif à la Fédération, qu’il convient de poursuivre la mission qualification lorsqu’il est nommé sélectionneur en juillet 2015. Il nomme par la suite Andreas Möller en tant qu’assistant et la Hongrie parvient à sécuriser une troisième place qualificative pour les barrages.
La Norvège, dépassée sur le fil par la Croatie dans son groupe, se dresse face aux Hongrois, qui ont l’avantage de recevoir au retour, pour un barrage à priori équilibré. Mais un but rapide de Kleinheisler à Oslo va pousser la Norvège à bafouiller son football en tentant de revenir au score, malgré une domination assez équivoque. Une victoire très précieuse que les Magyars vont confirmer au retour. Dès la 14e minute. Tamás Kádár balance un long ballon vers Tamás Priskin, qui est alors touché par la grâce : passement de jambes, crochet, et cachou dans la lucarne opposée. La Norvège aura beau pousser, le grand Király sauvera tous les ballons et la Hongrie aggravera même le score en fin de match, par un but contre son camp d’Henriksen – le même qui réduira l’écart à quelques minutes du terme pour la Norvège.
Storck aura réussi son pari et ses joueurs de fêter dignement une qualification pour un tournoi majeur. 44 ans depuis le dernier Euro, 30 depuis la dernière Coupe du Monde, le football hongrois retrouve l’exposition qu’il mérite cet été !
Investissements massifs en amont
Mais cette qualification, qui semble tombée du ciel au bout d’une campagne poussive où trois sélectionneurs se sont succédé sur le banc de touche de l’équipe nationale, montrent les racines d’un renouveau, ou plutôt d’un prémisse de renouveau.
Le football comme arme de propagande politique, ce n’est pas une nouveauté. La qualification de la Hongrie est une aubaine pour le Premier Ministre Orbán, lui permettant de justifier ses efforts colossaux pour redresser le football hongrois. Fan du ballon rond devant l’éternel, certains lui reprocheront d’avoir profité de son statut pour faire bénéficier les copains à coup de rénovations ou constructions de nouveaux stades et d’amitiés dans pas mal de clubs de l’élite. Le projet le plus célèbre du Premier Ministre reste la construction de la Pancho Arena, une arène flambant neuve de plus de 3.000 places pour un village de 2.000 habitants : à Felcsút, situé à une trentaine de kilomètres de la capitale, la Puskás Academy avait même été propulsée dans l’élite, jusqu’à sa relégation au second échelon cette année.
Pour autant, même cette Puskás Academy, surnommé le « club du Premier Ministre » et probablement le meilleur centre de formation du pays, commence à avoir des résultats puisqu’en provient le jeune László Kleinheisler, héros du match aller des barrages en Norvège lors duquel il marque l’unique but pour sa première sélection. Transféré cet hiver au Werder et devenu titulaire dans l’équipe de Storck, il sera l’un des joueurs à suivre cet été chez les Magyars. De la Puskás Academy, notons également qu’Attila Fiola fait partie du voyage en France et devrait débuter au poste de latéral droit, tandis que Gergő Kocsis et Roland Sallai faisaient partie de la présélection.
Cependant, ces investissements font grincer des dents. Car si cela permet d’avoir une Groupama Arena bouillante lors des matchs de l’équipe nationale, l’affluence moyenne des matchs de championnat hongrois reste famélique (moins de 3.000 personnes) et une bonne partie de la population aimerait que l’argent public soit redirigé vers d’autres domaines que des stades de football. Toujours est-il que l’UEFA entretient la machine en attribuant quatre matchs de l’Euro 2020 à Budapest, dans une nouvelle Ferenc Puskás Arena qui devrait voir le jour d’ici 2019 – la démolition ayant débuté cette année.
Un engouement et une jeunesse intéressante
Malgré la situation assez difficile dans laquelle se trouve le football de clubs en Hongrie, c’est bien tout un pays qui supportera les siens en France. Depuis la victoire à Oslo, trop inattendue pour être vraie, un élan d’optimisme s’est emparé du public, qui a d’abord fêté la qualification comme il se doit lors du match retour à Budapest (vidéo), aidée par la grâce de l’avant-centre du Slovan Bratislava, Tamás Priskin, et qui espère désormais que la Hongrie puisse faire un coup.
«Près de 45 000 Hongrois feront le voyage pour encourager les leurs»
Conscients des limites et de l’inexpérience du groupe hongrois, d’un match pas comme les autres face au voisin autrichien, d’une Islande aussi inexpérimentée et d’un Portugal que la Hongrie joue en troisième match, une qualification pour les huitièmes de finale ravirait tout un peuple, si par bonheur les astres s’alignaient et la chance tombait du coté magyar. D’après les administrateurs de l’excellent TrollFoci, « près de 45 000 Hongrois feront le voyage pour encourager les leurs, les Hongrois sont dans la fièvre de l’Euro pour l’instant ».
Quand bien même la Hongrie n’y arriverait pas, le groupe profiterait là d’une expérience unique au plus haut niveau pour se perfectionner en vue des campagnes futures. Au tournant d’une génération où les Gera, Király et Juhász sont proches de la retraite et où Dzsudzsák doit encore retrouver son meilleur football, les remplaçants sont déjà tout désignés : Dénes Dibusz dans les cages, Ádám Lang en défense et Ádám Nagy au milieu, ainsi que le susnommé László Kleinheisler derrière l’attaque. Sans oublier les Máté Vida, Roland Sallai, Krizstián Tamás ou encore Bence Mervo qui faisaient partie de l’aventure néo-zélandaise de la Coupe du Monde U20.
Un pilotage allemand
Si Bernd Storck et Andreas Möller forment le tandem aux commandes de la sélection hongroise, c’est bien parce que les liens footballistiques entre le pays de Ferenc Puskás et celui de Fritz Walter ne se limitent pas à cette – malheureuse, heureuse, c’est selon – finale de 1954, et c’est aussi un peu dû à la chance. Ainsi, aux débuts de la Bundesliga, pas moins de cinq entraîneurs hongrois avaient officié dans les clubs allemands. Gyula Lóránt a débarqué en Allemagne dès 1965, à Kaiserslautern, pour y rester une quinzaine d’années – si on excepte sa pige victorieuse au PAOK Salonique en 1976. Pál Csernai prit sa relève au Bayern Munich en 1978, devenant champion d’Allemagne et atteignant la finale de la C1 perdue face à Aston Villa.
Ces temps-ci, outre les succès de Thomas Doll avec Ferencváros, Pál Dárdai fait les beaux jours du championnat allemand et sert de liant entre les deux pays. C’est un certain Bernd Storck qui l’a scouté et amené au Hertha Berlin il y a une vingtaine d’années. Dárdai, sélectionneur de la Hongrie pendant un temps, recommanda à son tour Storck en tant que coordinateur des jeunes, pour la suite que l’on connaît.
La Fédération avait déjà fait du pied à Storck pour ses compétences de formation, en lui commanditant une stratégie pour améliorer le football hongrois. « La décennie du renouveau », du nom de sa publication, planche sur le développement des académies dans chaque région, avec pour objectif but la qualification pour l’Euro 2020.
Dans cette mission de professionnalisation et de formation de la nouvelle génération du football hongrois, Bernd Storck a donc pris un peu d’avance avec cette qualification pour l’Euro 2016, qui a convaincu la fédération de prolonger son contrat jusqu’en 2018. Prudent mais confiant, il était en tout cas satisfait du dernier match de préparation de son équipe, joué face à… l’Allemagne, bien sûr : « Je ne suis pas insatisfait par notre performance. Nous avons bien défendu et nous avons évité que notre adversaire ne se crée beaucoup d’occasions. Nous avons aussi essayé d’attaquer ; nous avions des opportunités et nous aurions dû en profiter. Nous avons jouer avec courage et c’est quelque chose qui sera important face à l’Autriche ». Rendez-vous le 14 juin.