La consigne doit mener au réemploi et couvrir le maximum d’emballages, préconise Anne-Fleur Hug de Zero Waste France, une une association qui défend la démarche zéro déchet, zéro gaspillage. Entretien.
Le gouvernement français a annoncé un projet de loi sur l’économie circulaire qui traite du consignage, comme c’est d’ailleurs le cas en Slovaquie. A l’automne, les parlements dans les deux pays se prononceront. Pour l’instant le projet français reste vague, mais est-ce que vous jugez que c’est une bonne idée de principe ?
Comme vous dites, c’est assez vague. Le gouvernement a lancé un comité de pilotage sur le sujet en juin qui rendra ses conclusions fin septembre. Il manque encore des précisions pour pouvoir vraiment se prononcer. Nous avons plusieurs points de vigilance. Le premier est que le sens de la consigne doit vraiment être le réemploi. Les emballages doivent pouvoir être récupérés, lavés, emplis à nouveau et réutilisés. Il y a beaucoup d’initiatives en France qui se montent pour le réemploi des emballages mais pour l’instant il y a beaucoup de freins techniques et législatifs. Le gouvernement peut entreprendre beaucoup d’actions pour lever ces freins. Si le projet de loi se résume uniquement aux bouteilles en PET et aux canettes et au seul recyclage, il ne sera pas positif pour nous.
Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons. D’abord la loi prévoit une hiérarchie de traitement des déchets : avant le recyclage on doit privilégier la réduction des déchets et la réutilisation. Zero Waste France travaille depuis 20 ans sur la réduction des déchets et des gaspillages, on ne voit pas le déchet une fois qu’il faut le traiter en tant que déchet mais on essaie d‘éviter tout ce qui est en amont, toutes les ressources nécessaires pour fabriquer un objet neuf, par exemple. Dans le cas précis des emballages, on sait que la moitié du plastique fabriqué en France est destiné aux emballages et la moitié est à usage unique. Notre priorité est de limiter la dépendance à l’usage unique.
Quel pourcentage des bouteilles plastiques pourrait être réutilisé ?
A terme nous pourrions viser les 100% et arrêter pratiquement la production des bouteilles plastiques. C’est beaucoup plus développé dans certains pays mais en France il y a déjà une partie de réemploi des bouteilles d’eau ou de soda dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants. Ils savent le faire. Il faut surtout lever les freins, par exemple la concurrence inéquitable avec les produits à usage unique. Les industriels ne paient pas le vrai coût du plastique sur l’environnement. Cela explique que les systèmes de réemploi aient souvent du mal à émerger. Au début, Il faut recréer des infrastructures et investir. Lorsque ces infrastructures existent, c’est une alternative rentable. En Alsace, le réemploi des bouteilles en verre a perduré dans les grandes surfaces, pas seulement dans les restaurants. Il y a notamment une brasserie, Meteor, qui a les deux parcs, celui des bouteilles réutilisées et celui des bouteilles recyclables. Comme ils ont déjà les infrastructures, il leur coûte moins cher de remplir des bouteilles déjà utilisées que d’en créer de nouvelles.
Votre premier point de vigilance est donc le réemploi. Quels sont les autres ?
Le fonctionnement global du système et le partage des responsabilités entre les différents acteurs. Certaines collectivités locales ont investi massivement dans l’extension des consignes et des systèmes de tri, il faut faire attention à ce qu’elles ne perdent pas les matériaux les plus valorisables.
Les bouteilles en plastique PET sont justement les plus valorisables. Comment peut-on éviter que le système soit sous-financé après son retrait ?
C’est justement la mission de ce comité de pilotage qui interroge les différents acteurs. C’est très important que ce soit fait en concertation avec tous les acteurs de la chaîne de valeur.
Croyez-vous qu’il soit possible que deux systèmes parallèles de collecte fonctionnent sans que système de collecte des déchets municipaux soit sous-financé ?
Je pense que c’est possible si c’est bien réfléchi. Il y a des solutions à trouver, surtout si on innove. Certains pays ont un système de consigne permettant des économies même au niveau des collectivités locales, par exemple dans le domaine de la propreté des rues ou de la collecte des déchets qui peut diminuer.
Sur le principe vous êtes donc favorable à ce projet de loi mais vous êtes vigilants sur ces différents points.
Oui, nous sommes pour si le système est dès le début pensé pour favoriser le réemploi. En Allemagne ou en Finlande, souvent cités en exemple dans le domaine du consignage, le taux de collecte des plastiques à usage unique a atteint 90% mais le taux d’emballage réutilisable a baissé et la production des bouteilles plastique a augmenté. Il s’agit d’un effet pervers auquel il faut être très attentif.
Avez-vous une estimation du cout de la mise en place de ce système en France ?
Non, cela doit être fait par le comité de pilotage. Le collectif des vendeurs de boissons a effectué une estimation, mais uniquement en ce qui concerne les bouteilles en plastique. Il a été critiqué pour cela.
A votre avis, quels types d’emballage devraient être soumis à la consigne ?
Il ne faut surtout pas se limiter aux bouteilles plastiques et aux canettes. Cela risquerait de privilégier un transfert vers ces matériaux là, ce qui n’est pas bon pour l’impact environnemental. Il faut que dès le début soient inclus tous les flux de matériaux comme le tetrapack ou le verre à la fois perdu ou réemployable. Si on change tout le système autant en profiter pour être ambitieux.
Comme peut-on éviter que dans les déchets des emballages triés, il ne reste que des matériaux difficilement recyclables et qui terminent dans les incinérateurs ?
Il faut se demander si ça vaut la peine de conserver les emballages jetables difficilement recyclables et s’il ne faudrait pas obliger le marché à éco-concevoir ce genre d’emballage. Ce n’est pas normal que seule la moitié des emballages jetables soit facilement recyclable, qu’un quart soit difficilement recyclable faute de filière existante et que le quart restant soit non recyclable faute de technologie. Il faudrait mettre en place des interdictions ou inciter de manière plus ambitieuse les filières du marché à ne pas les utiliser. Ce n’est pas normal que les producteurs puissent créer des emballages sans se soucier de la manière dont ce sera recyclé ou réutilisé.
Une des solutions est d’arrêter l’usage de ces emballages mais est-ce une solution de faire payer plus le consommateur afin que le recyclage puisse se faire ?
Les efforts doivent être faits à tous les niveaux de la société. Si le citoyen doit privilégier le consignage ou le réemploi, il est évident que les industriels doivent porter une partie de cette responsabilité en réfléchissant à leur façon de produire et à leurs investissements. En France, des industriels ont récemment investi dans des chaines de fabrication d’emballages plastiques à usage unique au lieu de le faire dans un système mieux pensé sur le recyclage final ou le réemploi. Il ne faut pas que le coût soit porté par les seuls citoyens, indirectement ils le portent en tant que contribuables car les déchets difficiles à collecter et à recycler sont pris en charge par les collectivités locales via la taxe sur les ordures ménagères.
En France les municipalités sont responsables du financement du tri ?
Elles sont responsables de la collecte des déchets et du tri mais pas de tout le financement. Elles reçoivent des aides via des éco-organismes, un peu sur le principe pollueur-payeur. Les industriels contribuent à ces éco-organismes qui reversent des aides aux municipalités.
Quand pourrait commencer le consignage en France ?
Le plus rapidement possible j’espère, s’il prend en compte le réemploi. Le gouvernement table sur 2021 ou 2022. Dans tous les cas, il devra respecter la directive européenne, qui fixe l’objectif de collecter 90% des bouteilles plastiques en 2029.
Selon les statistiques d’Eurostat, seulement 26% des emballages plastiques ont été recyclé en France en 2016 alors que la moyenne européenne est de 42%. En Slovaquie, par exemple, il est de 52%. Pourquoi le taux est si bas ?
Cela vient du fait que la moitié des emballages est très difficilement recyclable. Ensuite, les citoyens n’ont qu’un accès limité aux dispositifs de tri, au travail ou dans la rue. Si on prend l’exemple du métro parisien, il n’y a qu’un type de poubelle pour les déchets mixtes. Comme la consommation hors-foyer des emballages s’est beaucoup développée, les gens les jettent dans les poubelles publiques. C’est un gros problème pour beaucoup de municipalités. En Allemagne, ils ont beaucoup de poubelles de tri dans l’espace public.
En général, comme jugez-vous le projet de loi du gouvernement sur l’économie circulaire ?
Il y a de bonnes choses comme la responsabilité élargie des producteurs dans le domaine des articles de sport, des mégots ou du BTP. En revanche, le plastique reste assez absent du débat et il y a beaucoup d’éléments de la loi qui restent à préciser. Beaucoup de choses vont dépendre de la mise en application de la loi.
La France a été touchée par le scandale Amazon concernant le gaspillage de produits neufs, est-ce que la loi est assez stricte sur ce point-là ?
La loi interdit la destruction des stocks et des invendus mais si c’est recyclé ce n’est pas considéré comme détruit alors qu’il faudrait qu’elle favorise le réemploi de ces produits-là. Si les entreprises peuvent envoyer au recyclage des produits non utilisés, cela n’est pas suffisant pour nous. Un produit neuf a nécessité beaucoup d’énergie et de matières premières pour être fabriqué et distribué en France. Encore une fois, le recyclage doit venir après la prévention et le réemploi.
Appelez-vous comme d’autres consommateurs au boycott d’Amazon ?
Nous appelons surtout à privilégier les producteurs locaux ou les petits entrepreneurs responsables et à chercher des alternatives. On a lancé récemment en France la plateforme du défi « rien de neuf » pour inviter les citoyens à s’interroger sur leur manière d’acheter. Avant chaque achat, il faudrait se demander s’il est vraiment nécessaire, si on en a un besoin régulier ou s’il est possible de louer ou d’emprunter. Si l’achat est nécessaire, il faudrait se demander s’il n’est pas possible d’acheter d’occasion. L’achat neuf, si possible de manière éthique, devrait être le dernier recours. Il y a donc beaucoup de questions à se poser avant l’achat sur Amazon et qui sera surement évitable.
L’entretien a été publié au mois d’août en slovaque sur EURACTIV Slovaquie.