Diaporama : Przemyśl, porte de secours pour ceux qui fuient l’Ukraine

Przemyśl, à la frontière polono-ukrainienne, est la principale porte de secours pour les Ukrainiens qui fuient la guerre qui fait rage en Ukraine. Un reportage photos de notre reporter Hélène Bienvenu.

Le jeudi 24 février au soir, les premiers trains remplis d’Ukrainiens fuyant la guerre sont arrivés à Przemyśl, une ville de 60 000 habitants située à une dizaine de kilomètres de la frontière ukrainienne. Ce soir-là, à 21h, la gare est encore loin d’être bondée et des familles ukrainiennes peuvent encore se reposer sur des chaises longues déployées dans une salle d’attente.

Ielisaveta, 4 ans et demi, colle fièrement des autocollants dans un album acheté par sa mère Halina au matin de leur arrivée en Pologne, vendredi 25 février. Halina, qui travaille en Pologne, à Bygdoszcz, est venue retrouver sa fille et sa mère au passage frontalier de Medyka dans la nuit du 24. « Je pensais faire venir ma fille l’an prochain en Pologne mais Vladimir Poutine en a décidé autrement. Je n’aurais jamais cru qu’il bombarderait l’Ouest de l’Ukraine. Nous allons devoir tout recommencer à zéro, en Pologne », témoigne Halina Litvin Orestivna, qui confie : « Je n’ai rien dit à ma fille à propos de la guerre, je lui ai juste raconté qu’il était temps qu’on se retrouve elle et moi car on ne s’était pas vu depuis décembre ! »

Alina et Marc, 27 ans, vivaient à Kyiv, ville qu’ils ont quittée le 24 février. Ils n’ont presque rien pris avec eux : un sac à l’épaule contenant un ordinateur et un sac à dos ainsi que leur chatte Nala. Marc est espagnol et c’est donc à Barcelone que mari et femme envisagent de refaire leur vie. « Ma sœur et ma cousine sont encore en Ukraine, pas loin de la région de Donetsk. Et maintenant, ils ne peuvent aller nulle part. Bien sûr je suis inquiète pour eux, mais je ne peux absolument rien faire », s’inquiétait sur le quai de gare Alina.

La gare de Przemyśl, remodelée en 1895 dans un style néo-baroque époustouflant, et rénovée récemment, est rapidement devenue un mini-centre d’accueil pour réfugiés. Son restaurant accueille aussi bien les exilés d’Ukraine que les équipes de journalistes ou de secouristes. Les liaisons ferroviaires passant par Przemyśl témoignent de l’ancrage autro-hongroise de cette ancienne ville de Galicie : les trains pour Varsovie sont quasiment inexistants, à la différence de ceux pour Cracovie, Lviv ou encore Graz…

Ryszard Chmura, habite près de Tarnów, dans le sud de la Pologne. Ce retraité, profondément ému par la tragédie que vivent aujourd’hui les Ukrainiens, attend dans le restaurant de la gare de Przemyśl un train en provenance de Kyiv où se trouvent des connaissances en route pour la France. « J’ai vécu la loi martiale en Pologne. Qui aurait cru qu’on vivrait un jour les conséquences d’une guerre en Ukraine ? C’est bientôt le printemps et j’aurais de quoi m’occuper au jardin mais les Ukrainiens se battent pour l’Europe et j’ai décidé de mettre à profit le temps que j’ai. J’ai déjà aidé plusieurs Ukrainiens à partir aux États-Unis, d’autres ont pu être logés à Katowice ».

Sebastian est un citoyen américain qui se trouvait être en vacances en Pologne quand la guerre a éclaté en Ukraine. Basé provisoirement à Rzeszów, il fait les allers-retours jusque Przemyśl presque tous les jours. « Dès que j’ai su que la guerre était là, je me suis mis à réserver pour environ 250$ de logements dans les alentours de Przemyśl. Je les mets à disposition gratuitement à celles et ceux qui ont fui leur pays de résidence ». Sebastian a hébergé jusque-là beaucoup de ressortissants non-européens qui ont dû quitter l’Ukraine.

Après le début de la guerre, des citoyens de toute l’Europe ont commencé à se rendre à Przemyśl pour apporter vivres, soutien matériel et transport jusque dans leur pays à celles et ceux qui ont quitté l’Ukraine. La diaspora ukrainienne est elle aussi venue chercher leurs familles en voiture aux passages frontaliers.

Un groupe de chrétiens venu d’Allemagne a déployé un petit stand où ils distribuent quelques snacks, boissons, et des câlins – sans oublier la bonne parole – en face de la gare de Przemyśl.

Une boutique de chaussures du centre-ville de Przemyśl affiche opportunément « nous sommes avec vous, -20% sur tous les articles ».

Małgorzata et Gracjan sont respectivement tenancière et serveur dans une pizzeria de Przemyśl et apportent leur soutien aux réfugiés fuyant la guerre en Ukraine. « C’est terrible. J’espère de tout cœur que cela se finira vite… Tous les jours on se rend au passage frontalier de Medyka, on se passe des coups de fil entre résidents de Przemyśl et propriétaires d’établissements : on apporte du café chaud, des pizzas, tout ce que l’on peut… La dernière fois, j’ai aussi apporté des couches à la gare de Przemyśl », raconte Małgorzata, qui éprouve de la peine « pour ces jeunes Russes de vingt ans qu’on envoie au front ».

Dans le centre-ville de Przemyśl, des citoyens ont érigé un petit stand affirmant leur soutien à l’Ukraine et le refus d’une guerre initiée par Vladimir Poutine. On y voit le portrait du président russe, et de son allié, Alexander Loukachenko – son homologue bélarusse – recherchés « morts ou vifs ».

Face à l’afflux des réfugiés arrivant à Przemyśl en voiture, à pied ou en train, la municipalité a rapidement mis en place des centres d’accueil provisoires dans les écoles élémentaires de la ville, en l’occurrence ici dans le gymnase de l’école numéro 5 à proximité de la gare.

Christabel Elenya, une Nigériane de 19 ans, est arrivée fin janvier à Kyiv pour y suivre des cours d’aéronautique en anglais. Elle a du quitter la ville deux mois plus tard, au début de la guerre pour se réfugier à Lviv, puis en Pologne. Elle affirme que l’attente était plus longue au passage frontalier entre l’Ukraine et la Pologne, côté ukrainien pour les étrangers non-européens. « J’ai fini par me prétendre enceinte car je n’en pouvais plus d’attendre », sourit la jeune fille assise sur son lit de fortune installé dans la salle de sport d’une école de Przemyśl. « Ce n’était pas facile pour personne au poste frontière. Les tensions sont montées, j’ai vu des hommes étrangers qui étaient à deux doigts de se battre. Cela dit, je comprends que les Ukrainiens soient débordées… ».

La maison ukrainienne de Przemyśl, un centre communautaire dédié à la communauté ukrainienne locale, se dévoue corps et âme pour aider les réfugiés fuyant l’Ukraine depuis le 24 février. Sa salle de théâtre a été convertie provisoirement en dortoir. Przemyśl, à la jonction entre la Pologne et l’Ukraine, compte une minorité ukrainienne historique significative.

Nombreux sont les Polonaises et Polonais à faire preuve d’une solidarité à toute épreuve face au drame que vivent leurs voisins Ukrainiens. Ici, sur le parking d’un centre commercial, à quelques kilomètres de la frontière et servant de carrefour logistique pour ceux qui fuient ou rejoignent l’Ukraine, un homme offre un transport gratuit jusqu’à Wrocław.

Le 25 février le gouvernement polonais ouvre l’ensemble des huit postes frontaliers avec l’Ukraine aux piétons. Pour éviter des embouteillages monstres à la frontière, les réfugiés affluent à pied devant parfois cheminer plus de 40 km dans le froid côté ukrainien. Ils sont alors nombreux à transiter par le passage frontalier de Medyka, où une aide humanitaire spontanée s’organise grâce à des bénévoles. Ici, des tas de vêtements à disposition des nouveaux arrivants.  

Ruslan Shkola vient de Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine. Des roquettes et des bombes sont tombées à quelques kilomètres de sa maison. À l’inverse des centaines de milliers d’Ukrainiens et d’étrangers qui ont fui leur pays de résidence à la suite de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine, lui a décidé de quitter la Pologne où il était employé, pour rentrer en Ukraine. « Je ne peux pas rester en Pologne les bras croisés à regarder YouTube et à attendre que ma maison se fasse bombarder. Il faut aller à la guerre ! », explique ce trentenaire bien disposé à confectionner des cocktails Molotov ou à rejoindre la défense territoriale une fois sur place. « J’ai pris ma décision sans hésitation. C’était plus difficile d’être au travail et d’observer ce qui se passait en Ukraine ».

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris.

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.