Le 12 octobre 2022 à Bratislava, un jeune terroriste d’extrême-droite a abattu deux personnes devant un bar fréquenté par la communauté LGBT+. Que s’est-il passé ce soir-là ? Qui étaient le tueur et ses victimes ? Où en est la lutte contre l’homophobie en Slovaquie ? Entretien avec Marek Hudec.
Le 12 octobre 2022 à Bratislava, un homme a ouvert le feu devant le Tepláreň, un établissement de Bratislava fréquenté par la communauté LGBT, tuant froidement deux personnes, Matúš et Juraj, et blessant une troisième. Après d’intenses recherches, le meurtrier s’est donné la mort et a été retrouvé le lendemain. Deux ans après l’attentat visant la communauté LGBT+ dans la capitale de la Slovaquie, nous avons interrogé Marek Hudec, auteur d’une enquête sur l’attentat qui paraît sous forme d’ouvrage à la rentrée.
Lire Un attentat néonazi perpétré contre des LGBT à Bratislava secoue la Slovaquie
Le Courrier d’Europe centrale – Cela fera bientôt deux ans que, le 12 octobre 2022 à Bratislava, un attentat homophobe a coûté la vie à deux personnes. Pouvez-vous revenir sur le déroulé des faits de cette soirée noire ?
Marek Hudec – Le jeune terroriste Juraj Krajčik avait planifié cet attentat depuis longtemps. Au départ, il voulait abattre notre Premier ministre de l’époque, Eduard Heger. Ce soir-là, il s’est posté en face de sa maison pour la surveiller et guetter l’arrivée du premier ministre et/ou de sa famille. Il pensait que M. Heger arriverait à une heure précise, vers 17 heures, mais il n’est pas venu. Alors, après un moment, il a décidé de changer d’objectif et d’aller dans un bar qu’il trouvait bizarre, le Teplareň, qui se trouve sur la rue Zámocká, où il arrive un peu après 19 heures. Il était là depuis un moment à observer le bar de près, quand Radka Trokšiarová et ses deux amis, Matúš Horváth et Juraj Vankulič, étaient dans le bar et attendaient d’autres amis. Ils se sont assis à l’extérieur, pour boire des limonades et parler. Ils se sont rendu compte que quelqu’un les observait. Radka se souvient d’un bruit très fort, comme la détonation d’une bombe, qui était en réalité des coups de feu. Le meurtrier venait de tirer et de tuer Juraj et Matúš. Sa jambe avait été touchée, mais Radka a réussi à ramper à l’intérieur du bar et à se cacher sous un banc. Le meurtrier s’est enfui en direction du château. Quelques minutes plus tard, la police est arrivée et l’enquête a commencé.
Qui étaient les deux victimes, Matúš et Juraj ?
Matúš et Juraj avaient tous les deux la vingtaine et faisaient partie du même groupe d’amis qui passait leurs soirées d’été au Tepláreň. On surnommait Matúš « Tiger King » parce qu’il s’habillait comme le héros de la série Netflix du même nom. Il était barmaid au Tepláreň un mois avant l’attaque. Il racontait beaucoup de blagues, était très aimé de ses amis et étudiait la sinologie. Cet été-là, il essayait de se remettre d’une mauvaise rupture et se cherchait lui-même. Tout le monde voulait être ami avec Juraj. Il était très gentil, il faisait du drag et travaillait dans des boutiques de mode. Il aimait la mode, par laquelle il découvrait davantage son identité de genre. Il était un régulier du Tepláreň, il pouvait y dépenser beaucoup de ses revenus. Il était amical à l’extérieur, mais il était difficile de mieux le connaître. Il s’occupait de son frère depuis le décès du conjoint de sa mère.
Que sait-on de la personnalité du tueur, Juraj Krajčik, de ses motivations et son idéologie ?
Nous savons qu’il avait déjà des tendances extrémistes et violentes et qu’il avait probablement subi des brimades à l’école, dont il avait dû changer. Ses camarades de classe ont raconté qu’il faisait souvent des remarques très violentes et avait un humour très noir. Il était fan de films d’horreur et de jeux très violents. Et il passait souvent du temps sur les forums extrémistes sur Internet, où il a probablement été contacté par d’autres personnes de ce groupe terroriste appelé les « Accéléracionistes » dont l’objectif est de créer le chaos dans la société. Il s’agit en fait d’un réseau de loups solitaires opérant dans le monde entier et qui essaient de contacter des jeunes garçons, principalement issus de la culture Incel [ces « célibataires involontaires » qui en veulent aux femmes – Ndlr.]. Et du point de vue des analystes de l’extrémisme, il s’est radicalisé sur ces sites Web.
Il croyait aux théories du complot antisémite selon lesquelles les juifs contrôlent le monde et essaient d’imposer l’homosexualité. D’une certaine manière, il a également été influencé par son père, un politicien d’un petit parti ultra-nationaliste appelé « Vlast », également adepte des théories du complot pendant le COVID.
Le meurtrier a-t-il selon vous été encouragé par des déclarations politiques et l’atmosphère homophobe ?
Bien sûr. Le parti politique de son père avait des opinions très ouvertement homophobes et transphobes. De plus, lorsque vous consultez les tweets du meurtrier, il y avait souvent des remarques homophobes et transphobes. D’après ce que j’ai lu dans son manifeste et dans ses tweets, il était clairement très transphobe. Il ne considérait pas les autres identités de genre et il était très opposé à l’idée même qu’une personne ait une autre identité de genre.
La tragédie a-t-elle permis une prise de conscience de la société ou une quelconque avancée pour les droits des LGBT+ ?
Au début, la société est apparue très touchée par cette tragédie. Lors de la première manifestation que nous avons organisée deux jours après l’attaque terroriste, nous avons ressenti beaucoup de soutien. 15 000 personnes sont venues et de nombreuses personnalités publiques et politiques ont déclaré que ce qui s’était passé était inacceptable, à l’instar de la présidente de la République et de la maire de Bratislava. Mais d’un autre côté, à l’époque, nous avions un gouvernement formé en grande partie par un parti qui comptait de nombreux militants religieux et qui bloquait toute initiative visant à modifier les lois pour les personnes LGBT+. Certains d’entre eux essayaient même de modifier la loi pour rendre la transition des personnes transgenres encore plus difficile.
Avec les nationaux-populistes de Robert Fico au pouvoir depuis un an, quel est le climat pour les personnes LGBT+ ?
Si gouvernement précédent avait une mauvaise opinion des personnes queer, l’actuel gouvernement de Robert Fico est encore pire, malgré son étiquette sociale-démocrate. Ils sont ouvertement queerphobes et xénophobes. Ils gouvernent en coalition avec le parti ultra-nationaliste SNS, dont est issue notre ministre de la Culture qui tente de couper les fonds publics aux œuvres d’art queer et de censurer toute la culture queer.
Est-ce que certains quittent ou envisagent de quitter le pays ?
Bien sûr. Beaucoup d’entre eux ont déjà quitté le pays, aussi parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité après l’attaque terroriste. J’aimerais beaucoup avoir des statistiques…
Vous publiez cette rentrée un ouvrage d’enquête sur l’attentat du Tepláreň, Spúšť (Gâchette). A-t-il été facile de trouver un éditeur ?
Ce livre était mon idée et j’ai la chance d’avoir un éditeur très conscient des questions sociales. Nous avons eu la chance d’obtenir un financement du Fonds d’art public quelques jours seulement avant que la loi sur ce fonds d’art public ne soit modifiée par le ministère de la Culture. Le livre a été cofinancé par l’ambassade des Pays-Bas.
Comment s’organise le mouvement LGBT+ en Slovaquie ?
Il existe plusieurs associations pro-LGBT en Slovaquie qui, comme dans de nombreux pays, ont des différences sur la façon d’aborder le militantisme queer. Certaines veulent un militantisme plus protestataire, plus bruyant, et d’autres prônent le dialogue avec le pouvoir pour tenter d’améliorer la situation. Les jeunes activistes homosexuels en Slovaquie sont très bruyants, très en colère, ce qui est tout à fait compréhensible. Et j’espère qu’ils seront écoutés. Mais je pense que la situation actuelle est assez désespérée à cause du gouvernement actuel.