Frontières, identités, amour et colère se côtoient dans le nouveau récit de l’autrice et cinéaste slovaque Andrea Salajová.
Par Lenka Horňáková-Civade, peintre et écrivaine franco-tchèque.
Le sous-titre de ce livre, comme un fil rouge, nous dévoile d’emblée les deux grands sujets non seulement de la Slovaquie, mais de toute l’Europe centrale, les pluriels sont de mise : les frontières et les identités, ici toujours multiples, perpétuellement instables.
Humenné, Bardejov, Michalovce, Poprad, Zvolen, Nitra, Malacky, Komárno… qui saura placer ces villes de tailles diverses correctement sur la carte formée des frontières de la Hongrie, de l’Autriche, de la République tchèque, de la Pologne et de l’Ukraine ?
Ces frontières recousent la Slovaquie avec le reste du monde, l’incluent comme un motif indispensable sur la grande carte européenne et dans son histoire lointaine comme très actuelle.
« Bienvenu à la frontière entre l’Union européenne et… le reste du monde. La ville ukrainienne de Oujgorod s’étale presque immédiatement après la frontière. » nous dit Andrea Salajová, l’auteure, slovaque de naissance, française d’expression écrite qui commence par l’est le parcours géographique, géopolitique et historique de la Slovaquie mais aussi un voyage intérieur. Elle nous prête ses yeux, nous laisse entendre battre son cœur.
Alors, la colère et l’amour, oui, ils sont présents dans ce livre. On y trouve de la vitalité et de l’envie de vivre maintenant dans une Europe moderne comme des réflexes de repli et de préservation d’un monde déjà révolu mais toujours espéré.
Le regard personnel est ici le gage de la lucidité, de la franchise. Critiquer, aimer et partager sincèrement, n’est-ce pas le plus beaux des cadeaux que l’on peut faire au lecteur ?
Lire Andrea Salajová : « L’Ukraine est meurtrie, mais elle ne doit pas perdre » et Lenka Horňáková-Civade : « En réalité, la guerre n’était jamais vraiment loin »
Allez-y, Andrea Salajová, elle ouvre les portes par lesquelles la Slovaquie entrera en vous. On y croise les personnages mythiques ou réels, des brigands, des aristocrates, des lettrés, des industriels et des artistes, des Tziganes et des Ruthènes, des Hongrois et mêmes des Slovaques dans une farandoles des langues, des coutumes et façons de vivre à vous tourner la tête. Et puisqu’Il y a vraiment des gens étranges qui habitent ici, comme l’indique le titre du premier chapitre, ils sont tous hauts en couleurs et plus que vrais que nature.
La nature – parlons-en ! La Montagne comme emblème national, nous annonce un autre chapitre, est omniprésente, mais doit cohabiter avec vaste et fertile plaine de la Pannonie. La nature se dévoile dans textes d’une tendresse et d’une crudité toute slave : « … Tout ça dans un paysage de moyenne montagne d’une beauté mélancolique, parfaite pour les envolées lyriques et une nostalgie douloureuse difficile à expliquer. … » et plus loin « …Ainsi, on peut admirer le panorama des sommets des Tatras depuis le château, et lorsque leurs cimes sont couvertes de neige, le tableau est envoûtant de beauté. Les montagnes donnent l’impression de percer au-dessus de l’horizon et comme flotter entre ciel et terre… »
Que disent les autres titres de chapitres ? Histoires communes, Peuple de colombes, Nœuds de l’Europe centrale, Rêverie et Un nouveau monde – tout un programme et quel programme ! Fondamentalement européen quoi qu’il arrive.
Le livre invite, guide, permet de découvrir et combler les manques, en douceur et avec élégance, la carte se complète, et d’ailleurs, le recours à celle-ci est conseillé.
Dans une langue à la fois simple, accessible, précise et poétique, rien n’est omis. Le fait côtoie le lyrique, une anecdote souligne et relie le documentaire.
Si on accepte le dicton que le diable se cache dans le détail, on peut dire que c’est dans la révélation de ce qu’on a habitude de nommer les petits pays que la carte d’Europe et celle de nos connaissances générales de notre continent prennent le relief et la maturité.
Frontières, identités, amour et colère, le magnifique et l’insoluble de ces questions est confirmé par ce beau texte d’Andrea Salajová.