Après l’arrestation de Roman Protassevitch, une grève de la faim s’organise dans la communauté bélarusse en Pologne

Depuis l’arrestation spectaculaire du journaliste Roman Protassevitch, l’émotion est vive chez les opposants bélarusses, nombreux à s’être retranchés en Pologne. Stanislava Glinnik, petite-fille du dirigeant du Bélarus de 1991 à 1994, se prépare à une grève de la faim pour alerter la communauté internationale. « Seul un arrêt des sources de financement du régime nous aidera à nous débarrasser de Loukachenko », dit-t-elle au Courrier d’Europe centrale

Article publié en coopération avec la Heinrich-Böll-Stiftung Paris, France.

(Varsovie, correspondance) « Ils peuvent venir me chercher. Leur tâche, dans un premier temps, est de traquer les principales figures de l’opposition, puis ce sera mon tour. » La menace pressentie est lourde de sens, d’autant qu’elle émane de la petite-fille de Stanislav Shushkevich, ancien dirigeant du Bélarus de 1991 à 1994 et artisan de la dissolution de l’URSS. Car même à plus de 500 kilomètres de Minsk, Stanislava Glinnik se sait potentiellement en danger. Contrainte à l’exil il y a huit ans, c’est depuis Varsovie que cette Bélarusse de 26 ans mène sa lutte pour la démocratie, raffermie par l’élection frauduleuse ayant reconduit Alexandre Loukachenko au pouvoir, en août 2020.

L’objectif de Stanislava est simple, et résonne encore auprès de ces manifestants qui, malgré la répression, ont battu le pavé dans la capitale bélarusse par centaines de milliers, ces derniers mois : revendiquer la tenue de nouvelles élections libres, et mettre fin au règne sans partage du « dernier dictateur d’Europe », qui subsiste depuis plus d’un quart de siècle.

Stanislava Glinnik (à droite), lors d’une manifestation à Varsovie au mois de mai 2021. Photo : Białoruski Młodzieżowy Hub (courtoisie)

Mais à quel prix ? La réponse, les autorités bélarusses viennent d’en esquisser les contours : c’est à un calvaire qu’aura droit, tôt ou tard, la dissidence bélarusse. Dimanche 23 mai, en plein après-midi, l’ex-rédacteur en chef du média d’opposition Nexta, Roman Protassevitch, a été interpellé sur le tarmac de l’aéroport de Minsk, à l’issue d’une opération des plus scabreuses : son vol Ryanair, reliant Athènes à Vilnius, deux capitales de l’Union européenne, a été détourné puis arraisonné sur le sol bélarusse afin de procéder à son arrestation. Accusé d’avoir fomenté des « émeutes de masse » au plus fort de la contestation durant l’été dernier, le journaliste, qui a trouvé refuge tour à tour en Pologne et Lituanie depuis 2019, risque a minima une peine allant jusqu’à 15 ans de prison.

Cinq autres passagers, dont la compagne de l’opposant, n’auront jamais gagné la destination d’origine. Eux aussi victimes — ou acteurs ? — d’un stratagème qui semble avoir été monté de toute pièce : d’abord, une alerte à la bombe, par la suite révélée infondée, déclenchée par les autorités bélarusses, alors que le vol commercial s’approche de la frontière lituanienne. Puis, l’envoi, sur décision de Loukachenko lui-même, d’un chasseur aux trousses de l’avion de ligne pour forcer l’engin à dévier de sa trajectoire. Et au même moment, dans l’appareil, sont aux premières loges de l’intervention de présumés agents du KBG bélarusse.

L’affront que s’est permis Minsk est double : une énième attaque contre la liberté de la presse couplée d’un mépris flagrant du droit international.

Lundi 24 mai, le bureau du procureur national polonais a annoncé l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur ce tour de force bélarusse — jusque-là impensable, malgré la brutalité notoire du régime — que le premier ministre Mateusz Morawiecki a qualifié de « terrorisme d’État ». C’est que le Boeing 737 transportant Roman Protassevitch était enregistré en Pologne.

« Je connais Roman, c’est un gars simple et bien, qui aime son pays et qui se bat pour la démocratie et la liberté d’expression. Loukachenko a peur de gens comme lui, qui ne peuvent pas être corrompus ou intimidés. »

« Des gens disparaissent chaque jour »

Sur terre comme dans les airs, donc, rien ne semble plus entraver l’obsession de Loukachenko à museler ses détracteurs. Effrayée ? Stanislava Glinnik se le refuse pour autant. « Tant qu’il y aura des prisonniers politiques, tant que les auteurs des répressions ne seront pas imputables de leurs actions, je n’ai pas le droit moral d’abandonner mon combat ou de céder à la peur », affirme celle à l’origine du Centre de la jeunesse bélarusse, une organisation venant en aide à des confrères ayant traversé la frontière pour s’installer en Pologne. « Je connais Roman, c’est un gars simple et bien, qui aime son pays et qui se bat pour la démocratie et la liberté d’expression. Loukachenko a peur de gens comme lui, qui ne peuvent pas être corrompus ou intimidés. »

Plutôt, c’est une « colère sans cesse grandissante » qui habite Stanislava Glinnik. Non sans pointe de désespoir. « Le Bélarus a besoin d’aide. Nous n’avons pas besoin de déclarations vides exprimant la simple ‘‘préoccupation’’ des leaders internationaux. Seul un arrêt des sources de financement du régime nous aidera à nous débarrasser de Loukachenko et de ses hommes de main armés. Ne vous attendez pas à des manifestations d’ampleur au sein du Bélarus : le pays a été transformé en camp de concentration, les canaux d’information sont bloqués, des gens disparaissent chaque jour, des prisonniers politiques [406 au total] meurent dans les prisons », poursuit-elle.

Ce mercredi 26 mai, c’est un pas de plus que franchira la Bélarusse dans sa résistance au régime, en se lançant dans une grève de la faim. Un coup d’éclat qu’elle entamera de concert avec Bazhena Shamovich, une activiste issue communauté bélarusse de Varsovie. Et pas n’importe où : au pied de l’édifice du centre d’information de l’UE à Varsovie. Leur requête : que les décideurs politiques européens accélèrent l’imposition de sanctions économiques contre le Bélarus et que « cesse de toute coopération avec le dictateur ».

Réunis en sommet à Bruxelles, lundi 24 mai en soirée, les dirigeants des Vingt-Sept ont convenu d’infliger une nouvelle salve de sanctions, ciblant notamment oligarques et entreprises proches d’Alexandre Loukachenko, en plus d’exiger la libération immédiate de Roman Protassevitch. Fini, aussi, les avions de Belavia dans l’espace aérien de l’UE : la compagnie d’État bélarusse y est dorénavant prohibée. Les chancelleries européennes ont par ailleurs appelé les compagnies aériennes à contourner le ciel bélarusse.

À Minsk, l’ambiance était toute autre. Aux alentours de 21 heures lundi, la télévision publique bélarusse a diffusé un extrait montrant Roman Protassevitch qui, sans doute sous la contrainte, reconnaît « être passé aux aveux concernant l’organisation de troubles massifs ». « Le personnel se comporte avec moi de façon tout à fait adéquate et en respectant la loi, je continue de collaborer avec les enquêteurs », semble-t-il réciter. Et les problèmes cardiaques qu’il connaîtrait, évoqués par sa mère dans la presse indépendante bélarusse un peu plus tôt ? L’intéressé, dans la foulée, assure n’avoir « aucun problème de santé ». Pull noir sur le dos, il y apparaît le visage tuméfié.

Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.