Otto de Habsbourg, celui qui aurait pu être roi

En ce jour de disparition de l’héritier du dernier empereur d’Autriche-Hongrie et roi de Hongrie, Otto de Habsbourg, permettez-moi de revenir sur notre première rencontre… archivistique.

C’était il y a une dizaine d’années, lors de recherches universitaires. Je travaillais à l’époque sur les années vingt et trente du siècle dernier et Otto de Habsbourg, né en 1912, destiné à prendre la succession de son père Charles 1er d’Autriche-Hongrie, ou si vous préférez Charles IV de Hongrie, restait en lice dans la succession au trône magyar depuis le décès prématuré de son père en 1922, à Madère où il s’était réfugié. Depuis 1918, la Hongrie était un royaume sans roi, dirigé par un amiral, sans mer.

Jusqu’au début des années 30, en Hongrie, la question délicate du trône vacant restait d’une grande acuité, même si celle-ci n’était pas toujours abordée de front. Plus la date de la majorité d’Otto (1930) approchait et plus la question royale inquiétait. De plus et bien qu’héritier direct, Otto n’était pas le seul successeur de la famille des Habsbourg à avoir des prétentions sur le royaume de Hongrie. Le chef du gouvernement hongrois, le comte Bethlen, grand adepte de l’expectative, entrevoyait même une solution nécessaire. Mettre en place le système d’une monarchie élective en proposant la candidature de l’archiduc Albrech, héritier de la branche palatine de l’archiduc Joseph.

A l’époque, la majorité des Hongrois était monarchiste, mais la question était de savoir au bénéfice de qui. De plus, législativement parlant, rien n’avait été prévu en cas de vacance du pouvoir et le comte Bethlen ne voulait pas risquer de se trouver devant un néant légal, au cas où la régence en cours de l’amiral Horthy viendrait à s’achever.

A la fin des années vingt, les rivalités politiques internes à la Hongrie ne permirent pas de traiter sérieusement de la question et surtout, la question monarchique n’était absolument pas à l’ordre du jour auprès des gouvernements vainqueurs de la Première Guerre mondiale, sauf de l’Italie et  du Royaume-Uni. En effet, Mussolini n’y voyait aucun danger pour la paix de l’Europe alors qu’il était acquis que si une restauration monarchique se produisait en Hongrie, le parti social démocrate autrichien aurait aussitôt proclamé son rattachement à l’Allemagne. Le Royaume-Uni quant à lui, croyait encore en 1928 à la restauration des Habsbourg en Hongrie, ne serait-ce que pour contrarier la France républicaine. A l’époque, le président du Conseil hongrois demandait à ce que les partis politiques magyars se mettent d’accord sur la question, ce qui était évidemment impossible, avant de la soumettre à ses homologues européens.

Malgré la loi d’exil votée par le parlement autrichien en avril 1919 et par laquelle les Habsbourg-Lorraine était bannie du pays, Zita, la mère d’Otto garda toujours l’espoir que son fils aîné pu un jour succéder à son père, en vain. Enceinte, n’avait-elle pas soutenu et accompagné son époux lors des deux vaines et rocambolesques tentatives pour reprendre le trône de Hongrie en mars et octobre 1921, entraînant ainsi le vote à Budapest d’une loi destituant les Habsbourg ? Rappelons que ce n’est qu’en janvier 2007 qu’Otto renonce à son titre de «prétendant» au trône pour son fils aîné, l’archiduc Charles de Habsbourg-Lorraine.

Otto n’a que dix ans lorsque son père décède et pendant longtemps, sa mère, ses sept frères et sœurs et lui vivront une vie d’errance. Naître Habsbourg a fait de lui un Européen convaincu – au sens moderne du terme – y voyant là peut-être un ultime moyen de jouer un rôle politique. Issu d’une famille aux nombreuses ramifications européennes, polyglotte averti, Otto de Habsbourg représentait cette Europe d’avant la Première Guerre mondiale, qu’elle soit occidentale ou centrale, où les liens héréditaires souvent aristocratiques mais pas toujours, transcendaient les frontières. Otto de Habsbourg, né pour être empereur et roi, à la longévité plus importante encore que celle de son arrière grand oncle François-Joseph n’aura pas vécu son destin, victime de son temps.

Les précédentes chroniques de Cécile Vrain :

Cécile Vrain

Journaliste et docteur en Histoire des Relations Internationales de l'Université de Paris 1, spécialiste de la Hongrie.

2 Comments
  1. Pour avoir un peu connu et échangé avec Otto de Habsbourg-Lorraine ( les français aiment utiliser son nom patronymique) je crois pouvoir dire que, s’il ne reniait pas sa qualité – voire son statut – de prétendant imperial et royal, il a su éviter le piège de la restauration que lui tendait, un peu naîvement, certains partis ou mouvements politiques. Je crois l’avoir entendu dire, à ce sujet, que la restauration, si il devait y en avoir une, en Autriche ou en Hongrie, ne s’envisagerait que dans le cadre d’un plebiscite, façon « politique » de renvoyer le sujet à ….plus tard, probablement.
    Je me plais aussi à penser qu’il accordait bien plus d’importance à la construction européenne.
    Il n’empêche que, en regardant les difficultés des pays d’Europe Centrale, notamment de la Hongrie, de la République Tchèque et de la Slovaquie, on peut se demander si il ne manque pas une sorte d’arbitre politique dotée d’un statut le rendant capable de surmonter les clivages partisans qui pourrissent la vie politique actuelle de ces pays. A moins que ,l’Europe….c’est ce qu’aurait voulu Otto de Habsbourg.

  2. Il n’est pas trop tard pour que la question royale soit reposée. En effet, si nous tentons d’analyser ce qui se passe en Hongrie, nous pouvons, me semble-t-il, observer une envie, un désir, en tout cas le projet de reprendre pied notamment au travers de l’histoire face à la mondialisation qui présente le risque de faire disparaître les cultures nationales au seul profit d’une culture globale et aseptisée. Pour autant, le projet politique actuel porté par le premier ministre ne correspond nullement à ce que je peux percevoir de la culture hongroise.
    Alors, ne serait-il pas temps de remettre de la mesure dans la vie politique hongroise? Tout pays a besoin de symboles et de représentations. Beaucoup insistent sur le drapeau nationale. La Hongrie bénéficie d’un objet dont la force symbolique est unique en Europe: la sainte Couronne, celle de saint Etienne 1er, roi de Hongrie.
    Mais l’impression qui est la mienne tient à ce que la couronne hongroise est devenue comme figée. Les décisions que prend l’actuel chef de gouvernement, contraires à la culture hongroise, mettent en évidence le fourvoiement qui est celui de la majorité parlementaire, entraînant derrière elle bon nombre de hongrois déboussolés.
    Alors, oui, pourquoi ne pas reposer la question de la restauration de la monarchie et du retour sur le trône de l’héritier légitime? Nous pourrions d’ailleurs réfléchir sur la constitutionnalité de l’abolition de la monarchie. Restaurer la couronne afin que soit coiffée la démocratie et restaurer le roi dans la personne de l’Archiduc Karl, prince royal de Hongrie, donnerait au pays un visage et une famille. La pertinence d’un souverain tient au rôle qui lui incombe: symbole de l’histoire d’un peuple et de son devenir (nécessité de la durée, du temps), arbitre entre les représentants politiques et associatifs, conseiller et « écoutant », chef d’Etat indépendant des forces politiques parce qu’ordonné au bien commun national…

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