La Hongrie ouvre l’Europe centrale à la Chine

Les hasards de l’actualité sont ainsi faits qu’au moment où la Chine vient de subir un revers en Pologne avec l’affaire de l’autoroute A2 qui relie Berlin à Varsovie, la Hongrie, elle, accueille le Premier ministre chinois, la bouche pleine de belles promesses.

Rappelons rapidement les faits. En 2009, un consortium chinois Covec (China Overseas Engineering Group) du BTP obtient deux contrats de constructions d’autoroute à des prix défiant toute concurrence et surtout celles des entrepreneurs polonais. Deux ans plus tard, les espoirs placés dans ce partenariat polono-chinois sont déçus, le géant du BTP chinois est écarté du projet pour non-respect des clauses du contrat. Les responsabilités de cet échec semblent communes aux deux parties : les Chinois ne payent pas assez cher les fournisseurs polonais, qui de toute façon, n’ont mis aucun enthousiasme à les livrer.

Profitant de la crise économique mondiale, les Chinois ont commencé à pénétrer le marché européen, après les continents américain et africain principalement. En octobre dernier, lors d’un premier voyage officiel en Europe, le chef du gouvernement chinois s’était alors rendu en Grèce, autre pays soutenu par le FMI et l’Union européenne, pour proposer ses services financiers symbolisés par le rachat du Pirée. La Grèce est devenue la porte d’entrée de la Chine en Europe du Sud-est, la Hongrie deviendra-t-elle celle de l’Europe centrale ?

C’est certainement ce qu’aimerait le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, qui a accueilli vendredi 24 juin, son homologue chinois pour une visite officielle de deux jours qui l’a mené de Budapest à Berlin en passant par Londres. A priori, c’est un nouveau succès de la politique étrangère de Viktor Orbán qui s’était lui-même rendu en Chine en novembre 2010. C’est du moins ainsi qu’on l’interprétera dans les chancelleries européennes.

Rappelons que les relations entre les deux pays ne datent pas d’hier. Alors que Wen Jiabao a évoqué le fait que la Hongrie a été un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, ce qui ne semble pas une surprise vu le contexte politique de l’époque, il faut préciser que ces mêmes relations ont été réactivées sous le gouvernement de Péter Medgyessy entre 2002 et 2004. Puis en 2007, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány s’était rendu à Pékin pour inaugurer l’année hongroise. En résumé, ces relations ne datent pas d’hier et les autorités hongroises savent déjà que celles-ci sont plus à l’avantage pour l’instant de Pékin que de Budapest et cela même si la Hongrie est présentée comme l’un des plus importants partenaires commerciaux de la Chine en Europe centrale et orientale.

Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus de coopération économique et commerciale, ou pas seulement. Aujourd’hui, il s’agit d’argent sonnant et trébuchant dont la Hongrie a grand besoin, proposé sous forme d’achat d’obligations d’Etat – dont le montant exact n’a pas été précisé mais qui néanmoins a été qualifié «d’aide historique» par Viktor Orbán – et d’un crédit d’un milliard d’euros. Ce milliard d’euros est certainement une bouffée d’air pur pour le gouvernement hongrois qui en a bien besoin et de son côté ; la Chine ne prend pas de gros risques même si la Hongrie ne fait pas encore partie de la zone euro. Après l’achat d’obligations d’Etat espagnole, portugaise, grecque ou irlandaise, c’est donc au tour de la Hongrie. L’ambition de Viktor Orbán est que son pays devienne une «plate-forme logistique» pour la Chine. Une douzaine de projets industriels sont déjà prévus et ils seront certainement supervisés par un Conseil bilatéral d’affaires qui devrait être mis sur pied parallèlement.

La relation entre la Chine et la Hongrie semble sérieuse, il faut juste espérer qu’elle n’achoppe pas sur les mêmes problèmes qu’on rencontrées les amours polono-chinoises, c’est-à-dire une incompréhension culturelle doublée d’un vague sentiment nationaliste et protectionniste. En effet, en Pologne, les ouvriers employés sur les chantiers d’autoroute étaient Chinois, payés comme des Chinois en Chine. En son temps, la «directive Bolkestein» devait protéger le marché occidental de l’invasion du «plombier polonais» mais aujourd’hui, l’Union européenne ne semble guère pressée de réagir face au dumping salarial des ouvriers chinois en Europe. Il y a là pourtant matière à réflexion et le gouvernement hongrois, après avoir résolu pour un temps ses difficultés financières, pourrait être confronté à d’autres, plus sociales celles-ci.

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Cécile Vrain

Journaliste et docteur en Histoire des Relations Internationales de l'Université de Paris 1, spécialiste de la Hongrie.

12 Comments
  1. Devons nous en déduire que la « Grande Hongrie » préfère s’intégrer à la « Grande Chine » ?

    Décidément, des peuples qui ne veulent surtout plus entendre parler d’une grande Hongrie monarchique.

    Après l’association de survie avec l’Autriche au XIXème siècle, avec l’URSS au XXème; le XXI ème siècle verra-t-il la Hongrie s’intégrer à la Chine, après avoir ratée l’U.E. ?

  2. S’intégrer a la Grande Chine? Non, cher Nudiworld, mais plutot intégrer la Chine a la Grande Hongrie orbanienne… Une Chine qui deviendrait en quelque une marche orientale, un limes du Grand empire arpado-viktorien…
    A propos, si vous remontez la filiere lingustique ougrienne vers le rameau ouralien, puis altaique, nous y sommes presque ! Les cousins Turcs – dont la langue, a laquelle je me suis intéressé, présente de fortes similitudes avec le hongrois dans sa structure agglutinante – ont bien des parents (ancetres ) du coté de la Chine avec ces fameux ouigours (d »ailleurs maltraités) et les Mongols. Donc apres tout… Bon, je vais un peu loin, mais quand-meme… La parenté – meme lointaine- est certaine.
    Pour revenir a notre chere Hongrie d’aujoud’hui, il est sur que ce rapprochement sera le bienvenu, au moins au plan économique. Mais je souris (ou plutot pleure) quand je vois une fois de plus ce double langage hypocrite d’Orban. Tres amis des Chinois maintenant qu’il est au pouvoir, il ne s’était pas privé autrefois pour hurler tres fort contre les gouvernants (socialistes) de l’époque qui, déja, opéraient un rapprochement, au nom des Droits de l’Homme, etc. Tiens, aujourd’hui, Monsieur a bien changé !!! Mais bon, il nous a bien habitués a ce genre de revirements…

  3. @Waline:
    « il ne s’était pas privé autrefois pour hurler tres fort  »
    Eh oui, comme quoi on peut être une grandiose spécialiste de la Hongrie, et avoir le « reset memory » intempestif…

    En plus du bon paquet de « dohány » chinois, ce qui rend aussi tout sourire le gars Viktor, c’est la perspective de voir s’implanter en Hongrie un modèle sociétal inspiré du système chinois actuel: un état centralisé autoritaire vivant en symbiose avec un capitalisme sauvage. Avec peut-être la balle dans la nuque en moins…

  4. Tout a fait d’accord. Quant a la balle dans la nuque, je vais etre méchant, ce n’est pas l’envie qui manquerait acertains (lásd a Szebb jövőért és autres magyar gárdákat!)
    S’il y avait un prix Nobel de Tartufferie, Phariséisme, je le décernerais sans conteste a Orbán (et a son servant Szijjártó)…

  5. Un dernier mot… C’est bien de faire ressortir les retombées économiques de cette coopéraition et, bien au-dela, comme le fait remarquer l’auteur, de se féliciter de l’arrivée de gros sousous bienvenus… (Ici, on a moins d’amlour propre que pour le FMI..)
    Mais, mais… Cécile Vrain, spécialiste de la Hongrie, parle et lit forcément couramment le hongrois comme il se doit. Alors, elle connait bien le sens du mot « szövetségesek »… Qui désigne bien un « Alliance » au sens strict. La, ne trouvez-vous pas que c’est aller un peu loin dans le zele, voire dans la flagornerie ? Pour un pays membre de l’Otan et du l’UE, je ne saisis pas le sens d’une telle « alliance ». Or, Orbán a bel et bien dit le mot. Sans compter que la Hongrie est le seul pays « de l’Ouest » a avoir volontairement mis de coté toute remarque, meme polie, sur les Droits de l’homme, voire a avoir interdit l’exibition (pourtant discrete) de drapeaux tibétains sur la voie publique. La, il n’y a vraiment pas de quoi etre fier, Monieur Orbán (vous qui savez pourtant etre fort en gueule quand ca vous arrange). Dommage que cet aspect soit totalement occulté de l’article. Cela me dérange terriblement. Voila qui est dit…

  6. « intégrer la Chine a la grande Hongrie orbanienne » quand je lis ca, je me permets de me poser quelques questions!

    Mais ne vous connaissant pas, ca ne restera que des questionnements, je ne jugerais pas sans connaitre 🙂

  7. En tous les cas, c’est gentil, cher ami,. de prendre des nouvelles de ma santé et je vous en suis mille fois reconnaissant. Bref, je me porte admirablememnt bien (du moins aux dernieres nouvelles) et vous en souhaite tout autant…
    Vous avez compris que je suis un fan inconditionnel de Viktor Orban !!!! (Mieux vaut en faire de l’humour que d’en pleurer car, alors on en perdrait la raison – et il y aurait de quoi… Si vous vivez ici, vous devez bien le voir. Sinon, vous ne pouvez trop juger..)

  8. 1 million de touristes européens dépensant chacun 1000 euros, cela fait le milliard d’euros espéré des chinois. Pas de dettes, ni de risques sociaux ultérieurs.

    Mais il aurait fallu pour cela mettre sur pied une politique touristique ambitieuse, lucide et réaliste. Sans compter qu’avec les évènements de l’autre côté de la méditerranée, il y avait cet été des destinations à proposer.

    On a le sentiment que les hongrois ne se sentent toujours pas européens. Il y en a même qui vont chercher un cousinage jusqu’à Pékin.

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