L’Ukraine en mouvement : un siècle de migrations

La crise actuelle des réfugiés ukrainiens est le dernier chapitre en date d’une histoire de déplacements de populations qui englobe deux guerres mondiales et leurs conséquences. Texte traduit par Gwendal Piégais.

Article publié pour la première fois en langue anglaise sur le site Engelsberg Ideas.

« Des larmes ont coulé en écoutant les récits des gens sur la terrible destruction de leurs maisons, sur les départs forcés, la séparation des maris et des femmes, des parents et des enfants ». Il n’est pas question ici de l’Ukraine de 2022, mais de celle de 1916. Le déplacement d’environ un million de civils sur le territoire ukrainien pendant la Première Guerre mondiale rappelle que le pays a été exposé à des bouleversements politiques, sociaux et économiques dramatiques pendant plus d’un siècle.

La guerre, la révolution et la guerre civile entre 1914 et 1921 ont été suivies par la catastrophe de la collectivisation forcée et de la famine au début des années 1930, et par des conflits récurrents entre l’Ukraine soviétique, son voisin polonais et les nationalistes ukrainiens avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Après l’invasion de l’Union soviétique par les nazis en juin 1941, des hommes et des femmes ukrainiens ont été arrachés à leurs foyers pour travailler dans l’économie de guerre nazie. Beaucoup de ces personnes déplacées sont retournées chez elles à la fin de la guerre, mais d’autres ont refusé de le faire, avant de trouver refuge dans des régions lointaines, hors de portée des Soviétiques. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 et le conflit actuel doivent être replacés dans le contexte de ces événements.

Examinons de plus près la migration forcée et ce qu’elle signifiait pour les personnes les plus directement touchées. Entre 1914 et 1921, le territoire de l’Ukraine, dominé par les Ukrainiens de souche mais abritant une importante population russe et juive (environ 12 % et 8 % de la population totale selon le recensement de 1897), a été ravagé par l’invasion des forces allemandes et austro-hongroises. Pendant la « grande retraite » de 1915, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont fui vers l’Est pour échapper à l’ennemi. Outre les récits de brutalité de la part des troupes ennemies, il y a eu des histoires de meurtres et de viols d’Ukrainiennes et d’autres civils par des soldats russes, notamment par les cosaques, qui considéraient les Ukrainiens, les Polonais, les Juifs et les Biélorusses comme une cinquième colonne potentielle, susceptible de saper l’effort de guerre russe. En bref, l’exode massif d’Ukraine n’était pas seulement motivé par la peur de l’ennemi mais par les actions de l’État tsariste envers ses propres sujets. En mettant en lumière les piètres performances de l’armée et du gouvernement russes, la crise a contribué à déstabiliser l’ancien régime et a finalement constitué un terreau fertile pour les Bolcheviks, qui ont pris le pouvoir en octobre 1917.

« En 1915, l’exode massif d’Ukraine n’était pas seulement motivé par la peur de l’ennemi mais par les actions de l’État tsariste envers ses propres sujets. »

Cette première crise des réfugiés en Ukraine était, dans le langage d’aujourd’hui, une crise de déplacement interne dans la mesure où les réfugiés se déplaçaient à l’intérieur de l’Empire russe. La responsabilité de leur gestion et de leur soutien incombait donc aux fonctionnaires locaux et à des organisations bénévoles, y compris celles créées et dirigées par les réfugiés eux-mêmes.

Au début de 1918, l’Ukraine a déclaré son indépendance d’un État russe affaibli, espérant, avec le soutien de l’Allemagne, tenir le bolchevisme à distance. Cependant, l’effondrement de l’Empire allemand a rapidement conduit à l’imposition du régime soviétique en Ukraine et à la formation de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Au cœur de cette tourmente, des millions de réfugiés qui avaient fui vers l’Est pendant la guerre sont rentrés chez eux, y compris des réfugiés d’origine non ukrainienne qui ont traversé la région pour se rendre en Pologne et échapper au communisme. La Pologne a imposé des contrôles à l’entrée pour s’assurer que les réfugiés n’étaient pas des vecteurs de maladies infectieuses ou du bolchevisme. D’autres sont restés ou ont été piégés sur le territoire soviétique, ce qui nous rappelle qu’à côté des déplacements massifs, il y a toujours des personnes immobilisées par une infirmité ou qui ont d’autres raisons de rester sur place.

L’ensemble de la région est alors à nouveau plongé dans un conflit violent sous la forme d’une guerre civile entre les Rouges (bolcheviks) et leurs opposants blancs, avec la complication supplémentaire des armées de paysans (Verts) qui luttent pour maintenir les deux camps à distance et contrôler leur propre vie. Les pénuries alimentaires et les maladies infectieuses ont contribué à la dévastation causée par les combats.

Réfugiés orphelins dans un foyer pour enfants à Kiev. Source : Library of Congress.

Avec la victoire finale des forces soviétiques en 1921, l’Ukraine a entamé une période de stabilité économique et sociale. De nombreux villageois se sont installés dans les villes, soit de façon permanente, soit pour un travail saisonnier, et leur migration a contribué à améliorer la vie de tous. Les commerçants juifs appauvris, qui avaient été victimes de pogroms avant et après 1917, ont eu la possibilité de s’installer dans des fermes du sud de l’Ukraine, où l’on pensait qu’ils risquaient moins d’être accusés « d’exploiter » le prolétariat ukrainien. Mais cette stabilité a été de courte durée. Bien que certains Ukrainiens aient profité des nouvelles possibilités offertes par les investissements soviétiques dans l’industrie et les infrastructures, un tournant s’est produit en 1928 avec la décision de Staline de se lancer dans la collectivisation massive, bouleversant les traditions de siècles d’agriculture paysanne. La rapidité et la coercition mise en œuvre ont eu pour conséquence que certains paysans ont fui vers la relative sécurité des villes. Par ailleurs, la saisie des céréales a contribué, avec les mauvaises conditions climatiques, à une famine dévastatrice en 1932. Une autre punition s’est ensuivi lorsque Staline a déporté les Ukrainiens « déloyaux » en Asie centrale.

La Seconde Guerre mondiale a infligé d’énormes dégâts à l’Ukraine et à ses habitants. Outre les pertes en vies humaines, les civils ont été déracinés à grande échelle. Comme lors de la Première Guerre mondiale, les minorités ont été exposées à la violence, non seulement de l’ennemi, qui visait l’extermination de l’ensemble de la population juive, mais aussi de l’intérieur, ce qui a conduit à des expulsions massives et à la réinstallation des Tatars de Crimée en Asie centrale en mai 1944, au motif de leur « trahison ».

Avec la marche ininterrompue de l’Armée rouge vers l’ouest à partir de 1943, l’Union soviétique a placé sous son contrôle de grandes étendues du territoire polonais d’avant-guerre. Avant le conflit, le Sud-Est de la Pologne avait déjà été le théâtre d’une confrontation entre Polonais et Ukrainiens. Pendant la guerre, les nationalistes ukrainiens de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN, Orhanizatsiia Ukrains’kykh Natsionalistiv) et de l’UPA (Ukrainska Povstanska Armiia, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne), ont activement fait campagne pour un État ukrainien indépendant, avec le soutien des nazis ; d’innombrables Juifs, Polonais et autres ont été victimes de cette lutte pour la maîtrise de l’Ukraine. La guerre a intensifié cette rivalité et causé de nouvelles pertes en vies humaines lorsque les loyalistes soviétiques en Ukraine ont contre-attaqué l’OUN-UPA. Poutine s’est inspiré des souvenirs de ce conflit lorsqu’il a affirmé, en février 2022, que son « opération militaire spéciale » était destinée à « dé-nazifier » l’Ukraine.

À la fin de l’année 1944, les autorités polonaises se sont mises d’accord avec leurs homologues d’Ukraine et de Biélorussie pour organiser un échange de population supposé « volontaire » entre la Pologne et l’Union soviétique. Les Ukrainiens de Pologne ont été réinstallés dans l’ouest de l’Ukraine sur des fermes laissées vacantes par des Polonais qui ont été, à leur tour, contraints de se déplacer en Pologne. Les deux groupes sont chargés de reconstruire les économies brisées de la Pologne et de l’Ukraine respectives. Le processus fut loin d’être simple : les nouveaux arrivants ukrainiens furent accueillis de manière hostile par la population locale. L’UPA ne cessa pas non plus de tenter de renverser l’administration soviétique en Ukraine. Pendant ce temps, l’État polonais prenait pour cible la minorité ukrainienne restante et, en 1947, l’expulsa vers l’ouest de la Pologne. En bref, un autre cycle de migration forcée conçu pour contrer le nationalisme ukrainien a causé d’énormes dommages aux Ukrainiens ordinaires.

« En plus de contribuer à la reprise économique des pays d’accueil, dont la Grande-Bretagne, cette nouvelle vague constitua un apport supplémentaire à la diaspora ukrainienne, qui cultive une position farouchement nationaliste et anticommuniste. »

La défaite de l’Allemagne a laissé des millions de personnes déplacées (un terme qui est entré dans l’usage officiel en 1945 et qui a ensuite été adopté dans le langage courant) bloquées dans des camps en Allemagne et en Autriche. Les Alliés victorieux – les puissances occidentales et l’Union soviétique – ont convenu que les personnes déplacées devaient être autorisées à rentrer chez elles. Un nombre important d’Ukrainiens résistèrent au rapatriement, soit parce qu’ils gardaient un souvenir vivace de la vie sous le régime soviétique et ont pris les armes contre l’Armée rouge, soit parce que (comme ceux de Galicie en Volhynie) ils n’ont jamais vécu dans les frontières de l’Union soviétique et ne souhaitent pas plus le faire à l’avenir. Certains d’entre eux se sont fait passer pour des citoyens polonais afin d’éviter d’être rapatriés. Face à l’opposition soviétique, les Alliés occidentaux ont soutenu des programmes visant à les réinstaller en Amérique du Nord, en Australie et en Europe occidentale.

En plus de contribuer à la reprise économique et à la croissance des pays d’accueil, dont la Grande-Bretagne, où ils travaillaient dans l’agriculture, la sylviculture et en tant qu’auxiliaires hospitaliers au sein du nouveau National Health Service, cette nouvelle vague constitua un apport supplémentaire à la diaspora ukrainienne, qui cultive une position farouchement nationaliste et anticommuniste, que ce soit à Bradford, Melbourne ou Edmonton, en Alberta. Les Ukrainiens ne furent pas nécessairement bien accueillis par la population locale : une publication britannique exigeait une sélection rigoureuse des Ukrainiens, afin « d’exclure les analphabètes, les déficients mentaux, les malades, les personnes âgées, les personnes politiquement suspectes et celles dont le comportement est perturbé ».

Comme dans les années 1920, il y a une histoire parallèle à raconter sur la migration en temps de paix. Les Ukrainiens quittaient en grand nombre les villages pour les villes à l’époque de la reconstruction et de l’expansion soviétiques, trouvant du travail sur les chantiers et dans les usines à partir des années 1950. Cette migration s’inscrit dans le cadre d’un exode rural plus large en Union soviétique. Sur le plan politique, la mort de Staline en 1953 a finalement ouvert la voie au retour en Ukraine de quelques 250 000 Tatars de Crimée et à leurs descendants. Mais le rapatriement posa des difficultés juridiques et matérielles. Ils tentèrent sans succès de créer une république autonome ou de faire reconnaître officiellement une assemblée nationale (Mejlis). Pris, pour ainsi dire, au milieu d’une rivalité russo-ukrainienne intense et toujours non résolue, les Tatars de Crimée ont insisté sur le droit d’être reconnus comme des habitants autochtones de la Crimée. Ils se sont installé sauvagement sur des terrains vacants ou mené des négociations frustrantes et souvent pénibles avec des demandeurs concurrents (non-tatars) et des autorités municipales. Dans certaines familles, des membres ont choisi de rester en Asie centrale, où les conditions de logement étaient plus accueillantes. D’autres affirmaient qu’ils ne se sentaient « chez eux » dans aucun des deux endroits.

Une calamité bien connue de la fin de l’ère soviétique est venue s’ajouter à la litanie des déplacements en Ukraine, à savoir l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986, la contamination de vastes étendues de terre qui en a résulté et l’organisation d’une évacuation massive dans toute la région : « Cela ne ressemble pas à une guerre, mais nous devons fuir comme des réfugiés », a déclaré une personne âgée évacuée à l’auteur bélarusse Svetlana Alexievitch.

La fin de la guerre froide a permis aux Ukrainiens de voyager beaucoup plus librement et d’explorer les possibilités d’emploi à l’étranger, notamment lorsque l’économie ukrainienne s’est effondrée dans les années 1990. Toutefois, cela n’a pas été simple. Certains Ukrainiens ont suggéré que le rideau de fer avait été remplacé par un « rideau de velours » (firanka) entre l’Est et l’Ouest, protégeant en fait l’Union européenne de l’extérieur. L’adhésion de la Pologne à l’UE en 2004 a imposé des restrictions en matière de visas aux migrants en provenance d’Ukraine. Néanmoins, les barrières n’étaient pas imperméables et pas moins d’un demi-million d’Ukrainiens ont travaillé dans l’économie polonaise au cours du nouveau millénaire. D’autres ont trouvé du travail plus loin. Cela a eu des conséquences importantes. Non seulement les migrations post-soviétiques vers l’Europe occidentale ont renforcé la diaspora ukrainienne mondiale, mais elles ont également permis à l’Ukraine de recevoir les transferts de fonds des travailleurs migrants. Elle s’est également avérée très importante dans la crise actuelle, car les réfugiés ukrainiens connaissaient les possibilités de voyage et peuvent tirer parti de contacts personnels en Pologne et ailleurs dans leur recherche d’un lieu sûr.

« Certains Ukrainiens ont suggéré que le rideau de fer avait été remplacé par un « rideau de velours » (firanka) entre l’Est et l’Ouest, protégeant en fait l’Union européenne de l’extérieur. L’adhésion de la Pologne à l’UE en 2004 a imposé des restrictions en matière de visas aux migrants en provenance d’Ukraine. »

Parallèlement à cette histoire de la migration ukrainienne, nous devons souligner que l’Ukraine est aussi, et depuis longtemps, une destination pour les migrants en provenance des États post-soviétiques – pas seulement depuis la Russie, mais aussi d’Arménie, et pour les étudiants et les travailleurs du Sud, notamment d’Ouganda, du Ghana, d’Inde, de Chine et du Vietnam. Leur présence en Ukraine, notamment à Donetsk, Dnipro et Kharkiv, a été mise en évidence au niveau international à la suite de l’invasion russe de 2022, laissant nombre d’entre eux bloqués et exposés à la discrimination et à la brutalité.

L’occupation par la Russie du territoire de l’Est de l’Ukraine en 2014 a déplacé pas moins de 1,2 million de civils, pour la plupart d’origine russe, qui ont cherché la sécurité en Russie. Des dizaines de milliers de civils ukrainiens se sont déplacés vers l’ouest du pays, au grand dam du gouvernement à Kiev, qui cherchait à minimiser la charge pesant sur les conseils locaux durement éprouvés ailleurs dans le pays. Face à ces restrictions, de nombreux Ukrainiens se sont sentis pris au piège : « Personne ne veut de nous », était un refrain courant dans l’est de l’Ukraine, où les habitants ont opposé leur situation à la réaction plus favorable aux réfugiés de Crimée, qui ont fui après l’annexion russe.

La crise résultant de l’invasion russe de l’Ukraine en février a entraîné la destruction brutale de vies humaines, de biens personnels et de foyers. Des millions d’Ukrainiens ont fui vers les États voisins ou ont cherché refuge dans les régions non occupées du pays. D’autres ont été contraints de quitter le Donbass (y compris la ville assiégée de Mariupol) pour rejoindre la Russie et sont détenus dans des « camps de filtration » où ils sont interrogés. Il faudra au moins une génération pour réparer ces conséquences néfastes. Les déplacements liés à la guerre ont également suscité une réaction mitigée de la part de la communauté internationale. Si de nombreux États et hommes politiques ont condamné l’agression russe, d’autres ont fait profil bas et, par leur silence, ont apporté un soutien tacite à Poutine. En ce qui concerne les réfugiés ukrainiens, certains gouvernements occidentaux ont été lents à réagir. Les États du Sud se sont plaints du fait que les réfugiés dans d’autres parties du monde ont attiré beaucoup moins d’attention et de soutien. À vrai dire, il y a toujours eu une hiérarchie mondiale des réfugiés, dans laquelle les Européens se sont régulièrement vu accorder des possibilités de réinstallation, tandis que les non-Européens ont été dissuadés de demander l’asile en Europe. Dans le cadre du conflit ukrainien, les réfugiés d’origine ethnique non ukrainienne ont été mal traités lorsqu’ils ont cherché refuge dans les États adjacents.

L’ampleur de la migration forcée à ces différentes époques a soulevé d’importantes questions quant à savoir vers qui les réfugiés pouvaient se tourner pour obtenir aide et protection. Outre les mesures de secours externes, telles que celles fournies par la Croix-Rouge et une multitude d’organisations non gouvernementales, d’organisations de la diaspora et de bénévoles locaux, les réfugiés ont réussi à former leurs propres associations, notamment des écoles et des orphelinats pendant la Première Guerre mondiale. Les personnes déplacées ukrainiennes se sont engagées dans une vaste activité culturelle et éducative dans les camps de réfugiés après 1945. Aujourd’hui, les réfugiés ukrainiens conçoivent de nombreuses initiatives d’entraide pour soutenir les plus jeunes et les plus âgés d’entre eux. Comme les réfugiés d’autres époques et d’autres régions du monde, ils ne sont pas des victimes passives.

« Il y a toujours eu une hiérarchie mondiale des réfugiés, dans laquelle les Européens se sont régulièrement vu accorder des possibilités de réinstallation, tandis que les non-Européens ont été dissuadés de demander l’asile en Europe. »

Le moment venu, des questions se poseront inévitablement concernant le relèvement après-guerre. Cela pourrait impliquer la réinstallation des réfugiés dans un pays tiers, ce qui contribuerait une fois de plus à la croissance de la diaspora ukrainienne. Le rapatriement est une autre voie vers le rétablissement, mais ce mot simple cache la complexité du processus. Il offre aux réfugiés la possibilité de rentrer chez eux et de reconstruire leur vie, et certains l’ont déjà fait. Si l’on met de côté les questions fondamentales de l’emploi et du logement, il y a d’autres dimensions à prendre en considération : qu’est-ce que cela signifie de retourner chez soi après des mois ou des années et de rétablir des relations avec des personnes qui n’ont pas fui ? Ceux qui ont fui et ceux qui sont restés s’entendront-ils bien ou se méfieront-ils les uns des autres ?

L’ex-Yougoslavie a fourni des preuves irréfutables de la difficulté des rencontres entre les rapatriés musulmans bosniaques (les Bosniaques) et leurs voisins serbes, qui n’apprécient pas leur présence et comptent parmi eux les auteurs du génocide. Dans le cas de l’Ukraine, il n’est pas du tout certain que la paix – lorsqu’elle viendra – apportera une véritable sécurité. Toutefois, si des mesures suffisantes peuvent être mises en place pour garantir des perspectives d’emploi, une éducation et une protection sociale décentes, ainsi qu’une bonne gouvernance aux niveaux national et local, alors peut-être l’Ukraine prospérera-t-elle à nouveau.

Omer Bartov : « En Galicie, la Shoah était à la fois publique et intime. »

Peter Gatrell

Historien, professeur émérite à l'Université de Manchester.