Brigitte Bouchard : « C’est important que Budapest puisse s’exprimer à Paris »

Du 21 au 26 Novembre, à Paris, se tiendra la troisième édition du festival « Un Week-End à l’Est », laquelle aura cette année pour thème « Budapest ». A une semaine de ce voyage au cœur de la vie culturelle budapestoise, entretien avec Brigitte Bouchard, l’une des fondatrices du festival.

Pouvez-vous nous raconter comment est née l’idée de ce festival ?

Cela fait quelques années que mon bureau se trouve au sein de la librairie polonaise. Cette librairie a un historique très intéressant. Elle a toujours été un lieu de résistance affiché depuis sa création et elle a été beaucoup fréquentée par les intellectuels. Depuis, cette tradition s’est perdue. Je me disais que cela pourrait être intéressant de remettre au cœur de cette librairie ce qui l’animait au départ, et de faire en sorte que ça devienne un lieu d’échange, de passerelle, de résistance, pour voir ce qui se fait à l’Est, et saisir l’effervescence culturelle d’une ville le temps d’un week-end. J’étais déçue de voir que l’essence même de ce lieu était en train de se perdre. Avec Vera Michalski[1]Propriétaire de la librairie polonaise de Paris., je me suis dit pourquoi ne pas partir sur un week-end allongé à l’Est, un peu comme on le fait aujourd’hui où l’on part avec des low-cost découvrir une ville, sans vraiment y arriver.

Comment avez-vous concrètement crée le festival ?

Pour pouvoir faire un week-end allongé, on a pensé faire tout dans le même quartier, dans le sixième arrondissement de Paris. Il fallait que ce soit non seulement convivial, mais que les gens puissent se déplacer ; en pouvant se rendre à une conférence aux Beaux-Arts puis très facilement à l’Odéon afin d’y assister à un spectacle ou à une rencontre, ou encore à l’auditorium Saint-Germain. Nous sommes allés voir tous les lieux culturels un à un, avec la volonté d’avoir une programmation complètement indépendante des pouvoirs en place.

« Cette année en choisissant comme parrain d’honneur, Árpád Schilling, on a placé le festival définitivement à gauche. »

Pour Budapest, cette année en choisissant comme parrain d’honneur, Árpád Schilling, on a placé le festival définitivement à gauche. L’idée aussi est de toujours choisir un parrain ou une marraine d’honneur pour donner le ton du festival.

Budapest est justement le thème principal de cette édition. Comment s’est fait ce choix ?

Il y a eu plusieurs raisons. On savait que les artistes étaient un peu en apné avec le pouvoir en place. Quand il y a un pouvoir en place comme ça, de droite, on sait très bien que souvent les artistes en souffrent, et donc c’était le moment de mettre le focus sur eux, et de montrer un peu plus que cette vitalité elle est présente, malgré tout ce qu’ils peuvent subir. On n’arrivera pas à taire Árpád Schilling qui joue un peu partout dans l’Est, ou Ágnes Heller qui se promène, ou Adrienn Hód. Tous ces gens-là, malgré les difficultés qu’on leur impose, continuent à créer, et ils plantent leur graine un peu partout. Dans cette optique là, c’était important que Budapest puisse s’exprimer à Paris.

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Comment s’est fait le choix du parrain ?

J’avais repéré Árpád Schilling parce qu’au théâtre il a déjà été joué à Paris il y a quelques années, et puis car il y a eu des documentaires sur Budapest, entre autres sur Arte, auxquels il a participé. Et puis sur les réseaux sociaux, il a publié de nombreuses vidéos où il se mettait en scène dans des situations qu’impose le gouvernement. Je trouvais son théâtre engagé. Ensuite, à partir du moment où nous l’avons choisi, cela donnait le ton du festival, et nous avons pu faire la programmation car beaucoup d’artistes, comme Béla Tarr, sachant qu’Árpád Schilling était le parrain, acceptaient plus facilement de nous rejoindre. Les artistes en général sont assez méfiants de participer et de se retrouver dans un festival noyés par les exigences d’un gouvernement en place.

A quoi peut s’attendre le public cette année ?

Évidemment dire un festival de découverte, c’est bateau, mais moi j’espère que les gens découvriront cette source très forte créative au travers des différentes œuvres, comme le spectacle de danse d’Adrienn Hód, et c’est une première pour le festival, d’avoir de la danse mais aussi le théâtre d’Árpád Schilling, ou la photographie de Péter Puklus. Le travail de Péter Puklus est formidable, c’est un artiste vraiment rigoureux et plein d’énergie. L’idée est vraiment de faire découvrir, et de montrer les problèmes que peuvent rencontrer ces artistes ou ces gens en vivant à Budapest.

« L’idée pour nous est créer des passerelles. »

Il y aura par exemple un débat avec la documentariste Katalin Bársony sur « être femme et rom ». On a aussi souhaité mettre en avant des figures connues pour rassembler le plus de monde possible, avec une rencontre aux Beaux-Arts autour de l’œuvre de László Moholy-Nagy qui s’est beaucoup inspiré de Budapest, et une autre avec Levente Polyak, un urbaniste engagé sur la régénération urbaine à Budapest C’est important pour nous de montrer tous les volets de l’art, autant justement l’architecture, le théâtre, les arts visuels, que le cinéma et la littérature pour se faire une idée de la ville en très peu de temps.

Ils recréent un bout de Hongrie à Paris

Est-ce que vous sentez un regain d’intérêt pour les pays d’Europe centrale ?

Dès la première édition, avec Varsovie, c’était un beau succès, mais on a remarqué que l’année dernière avec Kiev, on avait augmenté d’un cran, et il y avait beaucoup plus d’intérêt. L’idée pour nous est créer des passerelles pour susciter cet intérêt, et de trouver des thèmes communs, avec des rencontres croisées. Par exemple, dans nos rencontres littéraires, on va marier un auteur hongrois avec un auteur français. Chaque année, on essaye aussi de faire le portrait d’une figure tutélaire de la littérature, ce qui sera la cas avec la présentation de l’œuvre de Sándor Márai par Sylvie Germain.

Quels sont vos points d’accroches avec la région ?

Nous essayons de garder le contact avec les artistes que nous invitons chaque année. Je reçois beaucoup d’informations de la part des artistes ukrainiens invités lors de la précédente édition. Il faut dire que nous avons porté une cause toute l’année pour sauver le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, qui a été emprisonné pour vingt ans et avait amorcé une grève de la faim. Mais avant même le début de cette grève, nous avons organisé une soirée hommage à l’Odéon avec plusieurs personnalités, au cours de laquelle nous avons montré une partie de son documentaire pour sensibiliser les gens à sa cause. Ensuite, on s’est mobilisés après le festival pendant la grève de la faim, avec France Culture notamment, pour faire en sorte que tout au long de l’année on parle de lui, et beaucoup d’Ukrainiens nous ont alors contactés pour nous donner des informations.

A l’approche d’élections européennes, les pays d’Europe centrale ont assez mauvaise presse, c’est d’autant plus vrai de la Hongrie, fer de lance d’un mouvement nationaliste. Quel rôle et quels objectifs pour votre festival dans un tel contexte ?

Non non, on ne se donne pas du tout un rôle politique. Pour nous, ce qui reste important, c’est de mettre la culture au centre, car il s’agit d’un festival culturel pluridisciplinaire. Cela ne nous empêche pas d’organiser chaque année un débat de clôture. Cette année le débat aura pour thème : « Les indésirables, derniers remparts contre la dictature ». Il y aura sur scène Árpád Schilling, Béla Tarr, Ágnes Heller et Jacques Rancière, et Mathieu Almaric viendra lire Imre Kertész, donc oui dans un sens on est engagés.

« On n’invite pas Ágnes Heller parce qu’elle a pris position contre Orbán. »

Quand je suis allée à Budapest rencontrer tous ces artistes, évidemment la question politique revenait, même si on les invite en tant qu’artiste et non pour leur engagement politique. On n’invite pas Ágnes Heller parce qu’elle a pris position contre Orbán. Cela dit on se questionnerait beaucoup si l’on avait tout d’un coup un artiste qui prendrait position pour Orbán. Ce serait difficile de créer une réelle harmonie entre cette personne là et les autres artistes, comme le jeune illustrateur Kristóf Szabó, qui a fait l’affiche du festival, et est très engagé contre les injustices, puisqu’il travaille pour Amnesty International.

Pour le cinéma, évidemment on a donné une carte blanche à Béla Tarr, qui est un personnage hors-norme. Le cinéma hongrois est d’ailleurs absolument formidable, même si on ne pourra pas tout montrer. Ce qui me fascine beaucoup – et ce que j’ai ressenti quand je suis allée à Budapest – c’est que dans la culture hongroise, l’on va de rencontre en rencontre, et très vite l’on a envie de tout découvrir.

Comment pourriez-vous résumer le festival en quelques mots ?

Je trouve que autant au début lorsque l’on crée un festival comme cela, on est dans l’angoisse de savoir si les gens suivront. Aujourd’hui avec le succès du festival, on voit qu’il y a une curiosité réelle pour mieux comprendre, grâce à ce voyage le temps d’un week-end dans une des villes cosmopolites d’Europe Centrale.

Notes

Notes
1 Propriétaire de la librairie polonaise de Paris.
Léo Quester

Membre de la rédaction

Stagiaire chargé de mission, étudiant à Sciences po Paris, campus Dijon.