Ukraine : l’histoire mouvementée des vaccins contre la Covid-19

Depuis l’hiver 2020, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a multiplié les initiatives pour fournir le pays en vaccins contre la Covid-19. Or, aujourd’hui, outre l’octroi à l’Ukraine de 16 millions de doses grâce au mécanisme COVAX, seuls deux contrats de fourniture de vaccins ont été signés en janvier et les critiques ont déjà pointé une mobilisation de l’exécutif trop tardive.

Cet article Rémi Pellerin a été publié le 19 avril 2021 sur le site de la revue Regard sur l’Est.

Depuis l’hiver 2020, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a multiplié les initiatives pour fournir le pays en vaccins contre la Covid-19. Or, aujourd’hui, outre l’octroi à l’Ukraine de 16 millions de doses grâce au mécanisme COVAX, seuls deux contrats de fourniture de vaccins ont été signés en janvier et les critiques ont déjà pointé une mobilisation de l’exécutif trop tardive.

L’objectif fixé par les autorités est de vacciner environ la moitié de la population, soit 21 millions de personnes, sur la période 2021-2022. La campagne de vaccination a été lancée le 24 février 2021 seulement et elle suscite des réticences dans un pays pourtant actuellement confronté à une importante troisième vague. Un sondage du groupe Rating publié le 2 décembre 2020 montrait en effet que plus de 40 % des Ukrainiens interrogés n’étaient pas prêts à se faire vacciner, même en cas de gratuité.[1]40 % Oukraïntsiv ne hotovi vaktsynouvatysya vid COVID-19, navit yakchtcho tse boude bezkochtovno – Opytouvannya » (40 % des Ukrainiens ne sont pas prêts à se faire vacciner contre la Covid-19 même en cas de gratuité), Hromadske, 2 décembre 2020.

La gestion des épidémies en Ukraine

Au cours de la pandémie de grippe A (H1N1) fin 2009, la Première ministre Ioulia Tymochenko avait encouragé la population à se confectionner artisanalement des masques après l’apparition de cas inquiétants de « peste pulmonaire » dans l’ouest du pays. À cette époque, alors que les écoles avaient été fermées pour trois semaines, la demande des Ukrainiens s’était plus portée sur l’achat d’antiviraux que sur la vaccination. Lors de l’épidémie de rougeole qui a touché le pays en 2018, la ministre de la Santé par intérim Ouliana Souproun avait dû se faire vacciner en public pour encourager ses concitoyens à faire de même.

Le 22 décembre 2020, l’Ukraine a adopté une stratégie de vaccination déclinée en quatre étapes, en débutant par les personnes prioritaires (personnel soignant, personnes âgées, militaires)[2]« V Oukraïni zatverdyly plan vaktsinatsiï naselennya vid COVID-19 » (Le plan de vaccination contre la Covid-19 en Ukraine a été approuvé), Tsentr Hromadskoho Zdorovya, 22 décembre 2020.et s’étendant jusqu’au printemps 2022 pour le reste de la population, sous réserve de disposer d’un nombre suffisant de doses. Le médecin hygiéniste en chef Viktor Lyachko estimait alors que l’Ukraine aurait besoin de 40 millions de doses jusqu’au premier trimestre 2022.

Les autorités ukrainiennes assurent disposer des ressources financières suffisantes pour acheter les vaccins : le Premier ministre a ainsi affirmé fin décembre que le pays serait en capacité de s’approvisionner, avec 3 milliards de hryvnias (87 M€) affectés au budget 2021. En outre, la Banque mondiale devrait verser l’équivalent de 84 M€ à l’Ukraine dans le cadre du programme Réponse d’urgence à la Covid-19 et vaccination en Ukraine.

Ci-dessous, Volodymyr Zelenskiy se faisant vacciner le 2 mars 2021, lors d’une visite dans le Donbass (source : compte Twitter personnel.

Un accès complexe aux vaccins

Il n’en reste pas moins que, comme dans de nombreux pays, la stratégie vaccinale ukrainienne est contrainte par les difficultés d’accès aux vaccins. Le ministre de la Santé a annoncé début décembre 2020 avoir signé les documents de COVAX, l’initiative mondiale visant à assurer un accès rapide et équitable aux vaccins, qui prévoyait d’attribuer 8 millions de doses (principalement AstraZeneca et Pfizer) à l’Ukraine d’ici le printemps 2021. Au même moment, V. Lyachko affirmait que l’Ukraine pourrait bénéficier de 8 millions de doses supplémentaires de COVAX, permettant de vacciner environ 40 % de la population. Simultanément, V. Zelensky multipliait les demandes d’aide auprès de certains de ses homologues, notamment allemand et français. De son côté, la Pologne a assuré en février que l’Ukraine se verrait attribuer 1,2 million de doses du vaccin AstraZeneca par l’Union européenne en mars 2021.[3]« Pidsoumky perehovoriv Zelenskoho i Doudy: Oukraïna v berezni moje otrymaty 1,2 mln doz Covid-vaktsyny vid Polchtchi » (Bilan des discussions de Zelensky et Duda : l’Ukraine pourrait recevoir 1,2 million de doses de vaccins contre la Covid de la Pologne en mars), Novoe Vremya, 24 février 2021.

Le débat a également porté sur la mise sur le marché du vaccin russe Spoutnik V, hypothèse particulièrement clivante portée par plusieurs responsables politiques du courant pro-russe. Une entreprise pharmaceutique de Kharkiv (est du pays), appuyée par Viktor Medvetchouk, a ainsi demandé au ministère de la Santé l’homologation du vaccin russe en Ukraine[4]« Medvedtchouk zayavyv, chtcho odna z kharkivskykh kompaniy nibyto khotche zareietrouvaty rosiyskou vaktsynou vid koronavirousou. Ou Rady ne piddaiout soumnivou » (Medvedtchouk a déclaré qu’une société de Kharkiv prétendait vouloir enregistrer un vaccin russe contre le coronavirus. Ceci est remis en question à la Rada), Novoe Vremya, 2 janvier 2021., ce qui lui a valu une réponse sans appel des autorités : Spoutnik V n’a pas finalisé la phase 3 de recherche clinique. Le directeur de l’entreprise publique d’achats médicaux d’Ukraine Medzakoupivli, Arsen Joumadilov, a précisé qu’il n’y avait « pas de base rationnelle » pour l’achat de ce vaccin, également décrit comme plus cher et moins efficace que ses concurrents. La loi adoptée le 29 janvier 2021 par la Rada semble mettre un point final à cette polémique : elle autorise la mise sur le marché de vaccins en urgence mais précise qu’un vaccin « développé dans un État dûment reconnu comme agresseur » (entendez « produit par la Russie ») ne peut être mis sur le marché ukrainien. Enfonçant le clou, le ministre de la Santé, Maxime Stepanov, a affirmé que « personne n’enregistrerait de vaccin russe dans le pays ».

Le débat a également porté sur la mise sur le marché du vaccin russe Spoutnik V, hypothèse particulièrement clivante portée par plusieurs responsables politiques du courant pro-russe.

Un contrat portant sur 2 millions de doses a en revanche été conclu avec l’entreprise chinoise Sinovac Biotech le 30 décembre 2020. Le Président ukrainien a justifié ce choix en estimant que « le développement [de ce vaccin] n’a pas été une entreprise politisée. Il n’est pas utilisé pour promouvoir les ambitions géopolitiques de quelqu’un… » V. Zelensky a toutefois reconnu que « tous les États se battent très durement et exclusivement pour eux-mêmes et leurs propres intérêts »[5]« Zelenskiy poyasniv, tchomou Oukraïna pidpysala dohovir pro postatchannya kytaïskoï COVID-vaktsyn do iï ofitsiïnoï reiestratsiï » (Zelensky a expliqué pourquoi l’Ukraine a signé un contrat de livraison de vaccins chinois contre la Covid avant son enregistrement officiel), Novoe Vremya, 31 décembre 2020.. Les premières livraisons du vaccin ont été effectuées le 25 mars, via l’entreprise privée Lekkhim qui serait liée à l’ancienne ministre de la Santé du gouvernement Ianoukovitch. L’actuel ministre, lui, a justifié ce choix par le fait que Lekkhim a pour habitude de travailler avec l’entreprise chinoise, affirmation qui n’a pas empêché une nouvelle polémique d’enfler, certains – dont A. Joumadilov – remettant en cause cette intermédiation qui laisse de côté Medzakouplivi, pourtant officiellement en charge des achats de vaccins. Le rôle assez obscur de Lekkhim n’a pas été explicité mais il semblerait que la société envisage la production du vaccin chinois sur le sol ukrainien d’ici 2022.

Ajoutant à la confusion, le Président ukrainien a déclaré début février que la société internationale Crown Agents se verrait désormais confier la responsabilité d’achat des vaccins par l’Ukraine, choix immédiatement justifié, via la vice-ministre de la Santé Svitlana Chatalova, par les compétences de Crown Agents et « sa politique de confidentialité ». Dans la foulée, le fondateur du Centre de lutte contre la corruption Vitaliï Chabounine a dénoncé la procédure de renvoi par la Rada du directeur du Bureau national anti-corruption (NABU), chargé d’enquêter sur l’achat des vaccins. Or, selon V. Chabounine, cette procédure aurait été initiée par V. Zelenski en personne.

Critique de la gestion

La députée du parti Holos et ancienne vice-ministre de la Santé, Olha Stefanychyna, accuse le ministre de la Santé d’être « personnellement responsable de l’échec du programme de vaccination des Ukrainiens contre le coronavirus ». Elle s’inquiète également d’un recul dans la lutte anti-corruption dans le domaine des marchés publics médicaux. Sur sa page Facebook, l’ancien président Petro Porochenko, quant à lui, blâme l’exécutif ukrainien et assure que la vaccination devrait être « le principal projet national et la priorité pour 2021 ». Pour lui, les autorités ukrainiennes ont accumulé les retards et la non-vaccination est un « acte criminel ».

Diagnostic visiblement partagé par le chef de l’État actuel, dont le Bureau présidentiel aurait exprimé le mécontentement concernant la conduite des négociations vaccinales par le ministre de la Santé. L’avenir de M. Stepanov au gouvernement serait bien incertain.

Pendant ce temps, chacun tente de s’organiser et d’avancer : V. Lyachko a annoncé qu’une base électronique de vaccination serait bientôt mise en place, qui pourrait servir aux Ukrainiens en cas d’introduction d’un passeport vaccinal. Le maire de Kyïv, Vitali Klitchko, a de son côté annoncé en janvier son intention d’acheter un million de doses qui seraient exclusivement destinées aux Kiéviens. Quant à la population, si 63 % des Ukrainiens interrogés disent considérer la vaccination comme nécessaire, seuls 6 % accorderaient leur confiance au vaccin de Sinovac, scepticisme particulièrement prégnant parmi les personnes âgées de 30 à 50 ans et qui semble se renforcer. Cette réticence pourrait prolonger l’épidémie de plusieurs années en Ukraine alors que, dernière ombre au tableau, une récente étude montre que la pandémie a contribué à une augmentation, qualifiée « d’irréfléchie », de l’automédication.[6]« Samolikouvantsi. Pandemiya koronavirousou sprovokouvala spelsk bezdoumnoho samolikouvannya v Oukraïni – Tchym tse zahrojouie ? » (Automédication. La pandémie de coronavirus a provoqué une vague d’automédication irréfléchie en Ukraine – quelle est la menace ?), Novoe Vremya, 23 février 2021.

Image d’illustration : Volodymyr Zelenskiy s’est fait vacciner le 2 mars 2021, lors d’une visite dans le Donbass (source : compte Twitter ZelenskyyUa).

Notes

Notes
1 40 % Oukraïntsiv ne hotovi vaktsynouvatysya vid COVID-19, navit yakchtcho tse boude bezkochtovno – Opytouvannya » (40 % des Ukrainiens ne sont pas prêts à se faire vacciner contre la Covid-19 même en cas de gratuité), Hromadske, 2 décembre 2020.
2 « V Oukraïni zatverdyly plan vaktsinatsiï naselennya vid COVID-19 » (Le plan de vaccination contre la Covid-19 en Ukraine a été approuvé), Tsentr Hromadskoho Zdorovya, 22 décembre 2020.
3 « Pidsoumky perehovoriv Zelenskoho i Doudy: Oukraïna v berezni moje otrymaty 1,2 mln doz Covid-vaktsyny vid Polchtchi » (Bilan des discussions de Zelensky et Duda : l’Ukraine pourrait recevoir 1,2 million de doses de vaccins contre la Covid de la Pologne en mars), Novoe Vremya, 24 février 2021.
4 « Medvedtchouk zayavyv, chtcho odna z kharkivskykh kompaniy nibyto khotche zareietrouvaty rosiyskou vaktsynou vid koronavirousou. Ou Rady ne piddaiout soumnivou » (Medvedtchouk a déclaré qu’une société de Kharkiv prétendait vouloir enregistrer un vaccin russe contre le coronavirus. Ceci est remis en question à la Rada), Novoe Vremya, 2 janvier 2021.
5 « Zelenskiy poyasniv, tchomou Oukraïna pidpysala dohovir pro postatchannya kytaïskoï COVID-vaktsyn do iï ofitsiïnoï reiestratsiï » (Zelensky a expliqué pourquoi l’Ukraine a signé un contrat de livraison de vaccins chinois contre la Covid avant son enregistrement officiel), Novoe Vremya, 31 décembre 2020.
6 « Samolikouvantsi. Pandemiya koronavirousou sprovokouvala spelsk bezdoumnoho samolikouvannya v Oukraïni – Tchym tse zahrojouie ? » (Automédication. La pandémie de coronavirus a provoqué une vague d’automédication irréfléchie en Ukraine – quelle est la menace ?), Novoe Vremya, 23 février 2021.
Rémi Pellerin

Rémi Pellerin est doctorant en géopolitique sur l'Ukraine à l'Institut français de Géopolitique (IFG).