Quand on veut, on peut. L’Europe centrale est-elle l’espoir de la politique migratoire européenne ?

Après s’être opposés durant des années à une politique européenne d’accueil des réfugiés, les pays d’Europe centrale se retrouvent maintenant en première ligne face à l’arrivée de réfugiés ukrainiens – et font montre d’une exemplaire solidarité.

Le 3 mars 2022 à la gare de l’Ouest à Budapest. @Corentin Léotard / CdEC

De notre correspondant à Varsovie – Quand on veut, on peut. C’est ce qui ressort de l’extraordinaire mobilisation du gouvernement polonais face à l’arrivée massive sur son sol de réfugiés ukrainiens – plus de 600 000 depuis le début de l’invasion russe sur le million de réfugiés comptabilisés au 3 mars 2022.

Dès avant le début des hostilités, l’État affirmait, par la voix de son vice-ministre de la Défense Marcin Ociepa, que la Pologne « accueillera autant de réfugiés que nécessaire ». Et force est de constater qu’il a tenu parole.

Neufs centres de premier accueil ont été immédiatement mis en place à proximité immédiate des points de passage frontalier (dans des écoles, des gymnases, etc. –  ainsi que dans la gare ferroviaire de Przemyśl), avec pour tâche de fournir vivres, aide médicale et information juridique de base aux nouveaux arrivants. Des structures similaires seront bientôt créées dans toutes les voïvodies du pays (qui en compte seize).

En outre, les conditions d’entrées sur le territoire polonais ont été considérablement allégées pour les personnes quittant l’Ukraine dès les premiers jours du conflit. Les restrictions liées au covid ont été levées, ainsi que l’exigence d’une assurance en cours de validité. Plus significatif les documents d’identité ne seront pas exigés par les gardes-frontières, afin de permettre aux individus et familles fuyant les combats dans la précipitation de trouver refuge. La compagnie nationale ferroviaire a également annoncé dispenser de billets les citoyens ukrainiens afin de faciliter leurs déplacements en Pologne. Ces mesures exceptionnelles ont été accompagnées d’une vaste campagne d’information, avec des messages traduits dans plusieurs langues afin d’assurer leur plus large diffusion.

Face à l’immense élan de solidarité de la population polonaise, les autorités ont également pris sur elle de (tenter de) coordonner l’aide affluant des quatre coins du pays en créant une page internet dédiée. « La Pologne sera une seconde maison pour tous les réfugiés d’Ukraine » déclarait dimanche 27 févier le ministre de l’Intérieur Mariusz Kaminski.

Chacun garde à l’esprit les scènes dantesques du poste-frontière de Kuźnica, où la Pologne avait déployé son armée et sa police pour appuyer les gardes-frontières faisant face à… 4000 réfugiés.

Contraste saisissant

Une attitude d’autant plus exemplaire qu’elle contraste fortement avec le traitement essentiellement sécuritaire de l’arrivée de réfugiés à la frontière bélarusse à partir de l’automne dernier – et est donc, dans une certaine mesure, inattendue.

Chacun garde à l’esprit les scènes dantesques du poste-frontière de Kuźnica, où la Pologne avait déployé son armée et sa police pour appuyer les gardes-frontières faisant face à… 4000 réfugiés, principalement originaires du Moyen-Orient (un flux plus de cent fois inférieur à ce que connaît actuellement le pays). L’État avait en outre adopté une loi rendant plus difficile l’accès à la procédure d’asile (et que de nombreux experts jugent contraire aux engagements internationaux du pays), et décidé de la construction d’un mur sur une partie de la frontière la séparant du Bélarus – et dont la construction a débuté début janvier.

Notre dossier spécial « Les Ukrainiens face à la guerre »

Le « Groupe frontière » (Grupa Granica), galaxie d’organisations qui se sont illustrées pour leur dévouement à la frontière bélarusse, s’est appliqué à comparer le discours des gardes-frontières sur leur travail sur ces différents tronçons de la frontière. Tandis qu’ils se félicitaient de l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers d’Ukrainiens sur le territoire, ils annonçaient avoir intercepté… une vingtaine d’individus d’Iran, de Syrie et du Yémen ayant tenté « illégalement » de franchir la frontière plus au Nord, en Podlachie.

De même, alors que le vice-ministre de l’Intérieur annonçait dimanche dernier que tous les détenteurs d’une carte sim ukrainienne entrés en Pologne avaient reçu une alerte leur indiquant que l’Etat peut leur fournir gratuitement hébergement et assistance médicale, comme oublier les sms agressifs (« La frontière polonaise est fermée ! Retournez à Minsk ! ») envoyés aux personnes près de la frontière bélarusse au plus fort de la crise ?

Par un tweet honteux, mais ayant le mérite de la clarté, l’armée de la défense territoriale (WOT – une composante des forces armées formée en partie d’enrôlés volontaires) assumait ouvertement cette différence de traitement, en la fondant sur la distinction douteuse entre « migrants » et « réfugiés » illustrée par deux photos mises en parallèles. Sur l’une, portant la légende « migrants », des hommes jeunes du Moyen-Orient s’en prenant aux fils barbelés les empêchant de quitter le territoire bélarusse ; sur l’autre, deux femmes ukrainiennes âgées prises en charge par un jeune militaire.

« Ce sont des Européens, ils sont intelligents – certains sont même programmeurs […] ».

Kiril Petkov, premier ministre bulgare.
Nouveau standard ?

La crainte est grande que de nombreux pays européens s’approprient cette division entre exilés, selon que la guerre qu’ils fuient soit à nos portes ou à l’autre bout du monde. Le Premier ministre bulgare Kiril Petkov, disant peut-être tout haut ce que certains n’osent dire tout bas, déclarait jeudi 24 février dernier : « ce sont des Européens, ils sont intelligents – certains sont même programmeurs […]. Ce n’est pas le type habituel de vagues de réfugiés au passé trouble. Aucun pays européen n’est inquiet [à l’idée de les accueillir] ».

Si sa politique demeure inchangée à sa frontière avec le Bélarus (où il ne voit les réfugiés que comme des munitions dans une « guerre hybride » l’opposant à Minsk), il faut reconnaître à l’Etat polonais qu’il agit à la hauteur de ses responsabilités sur le tronçon sud de sa frontière orientale, accueillant toute personne fuyant l’Ukraine, y compris les milliers de non-Ukrainiens qui y vivaient jusqu’alors (ces derniers sont toutefois soumis à procédure différente, plus longue, avant de pouvoir entrer en Pologne, a récemment indiqué le vice-ministre de l’Intérieur). Ceci au risque de s’attirer les critiques des partis et mouvements d’extrême-droite, qui dénoncent cette politique accueil et répandent des rumeurs scandaleuses (immédiatement démenties par les autorités) de violences commises par ces derniers.

Quels enseignements tirer de cette situation, dans laquelle la Pologne, après des années de réticence à l’accueil de réfugiés sur son sol s’applique désormais à répondre au besoin de protection de centaines de milliers de personnes arrivées en moins d’une semaine ? S’il serait naïf d’y voir un précédent à même d’informer la politique migratoire (ou tout du mois la politique d’accueil) européenne à long terme, il reste qu’elle démontre (si c’était encore nécessaire) que ce qui a déterminé les précédentes « crises » migratoires était une absence de volonté politique plus qu’un déficit de moyen.

Béranger Dominici

Journaliste indépendant à Varsovie.