Le centre commercial « Árkád » de Pécs, manifestation urbaine de la transition hongroise

À quelques encablures seulement du centre historique de la ville de Pécs, la principale agglomération du Sud-Ouest de la Hongrie, le badaud ne peut manquer l’imposant centre commercial qui se dresse au croisement de deux axes particulièrement empruntés, les rues Nagy Lajos Király et Bajcsy-Zsilinszky.

Baptisé « Árkád », ce pôle devenu essentiel pour les habitants de la cinquième ville du pays est également un lieu de rendez-vous plébiscité, notamment des jeunes adolescents et étudiants en quête des principales enseignes de restauration rapide. Le bâtiment, banal dans sa conception architecturale comme dans sa destination, en dit pourtant long sur les mutations économiques et sociales traversées par la Hongrie au cours siècle écoulé.

Un site témoin de l’histoire industrielle hongroise et de son déclin

Le destin successif des établissements installés sur le site occupé aujourd’hui par « Árkád » est en effet symptomatique de l’aventure industrielle et de son déclin dans la Hongrie du XXe siècle. En 1924, l’industriel József Hamerli y fait d’abord construire une usine de production de machines-outils, essentiellement destinés à l’agriculture : la Sopiana Gépgyár és Vasöntöde Rt., c’est-à-dire l’« Usine de machines et fonderies Sopianæ », l’ancien nom romain de Pécs.

L’entreprise, nationalisée en 1948, est reconvertie dans les années 1950 pour produire du matériel agro-alimentaire. Elle dispose alors de trois sites dans toute la ville de Pécs et emploie jusqu’à 500 salariés.

L’usine Sopiana de Pécs en 1972. Source : Fortepan.

Les années 1980 sont néanmoins celles de la réorientation des fabrications traditionnelles et d’une relative diversification au profit de nouveaux matériels destinés à la médecine, la chimie ou encore l’industrie minière. L’usine ne résiste pas, toutefois, à la transition du début des années 1990. Elle est rapidement privatisée avant de disparaître.

Une éphémère salle de musique alternative

En novembre 1991, le bâtiment est transformé en centre indépendant de musique rock et d’art alternatif, sur le modèle de la fameuse « Andy Warhol Factory ». De légendaires groupes hongrois s’y produisent, tels Balaton, Sziámi, Barbaro, Auróra, Waszlavik ou encore Sexepil

Mais la salle de concert underground phare de la ville est aussi un lieu d’expérimentation pour les jeunes musiciens qui émergent à Pécs et qui vont bientôt lui permettre d’acquérir le statut de « Liverpool hongrois ». Parmi eux, et en tout premier lieu, le fameux Kispál és a Borz, appelé à devenir l’un des groupes hongrois les plus marquants et les plus connus de sa génération. L’aventure est quoi qu’il en soit de courte durée et s’achève avec le siècle.

En 2002 débute en effet la construction du nouveau centre commercial. La découverte de 78 tombes antiques sur ce site qui voisine avec l’emplacement de l’ancien forum romain n’entrave pas longtemps la poursuite des travaux. Sur neuf kilomètres de fondations, le gros œuvre est achevé en seulement neuf mois, dès l’été 2003.

L’usine Sopiana de Pécs à l’abandon, en 2002. Source : Collection Csorba Győző. MaNDA CC-BY-NC.
Un complexe commercial imposant, en mains allemandes

L’imposant complexe, localisé non loin de la gare routière, est comme il se doit constitué de plusieurs galeries commerçantes articulées autour d’une grande surface alimentaire.

Avec plus de 35 000 mètres carrés de surface locative, près de 500 mètres carrés de bureaux, environ 130 magasins et 850 places de stationnement, « Árkád » accueillait avant la crise sanitaire du coronavirus plus de 35 000 visiteurs par jour (12,7 millions au total en 2019). Son rayonnement dépasse donc largement la seule agglomération pécsoise – qui ne compte que 142 000 habitants – pour attirer des clients depuis les localités de moindre importance et relativement éloignées, positionnées à une quarantaine de kilomètres, dans un périmètre allant de Szigetvár, à l’Ouest, Dombóvár, au Nord, ou encore Mohács, au Sud-Est. Soit près de 700 000 habitants dans la zone de chalandise.

Le centre commercial « Árkád » en 2004. Source : Collection Csorba Győző. MaNDA CC BY-NC.

Construit grâce à un investissement de 100 millions d’euros apportés par les groupes allemands Deutsche EuroShop AG et HGA Capital Grundbesitz, ainsi que par une filiale de la banque allemande NSH Nord Bank (Anlage GmbH), le centre commercial « Árkád » est de surcroît géré par un autre groupe allemand de centres commerciaux : ECE.

Premier investisseur étranger en Hongrie, très présente dans l’industrie manufacturière et notamment l’automobile, l’Allemagne est en outre particulièrement impliquée dans le secteur des services. Cette forte implantation, qui s’explique pour des raisons géographiques évidentes, s’est naturellement renforcée lors de la transition politique et économique des années 1990 puis sensiblement approfondie après l’adhésion de Budapest à l’Union européenne le 1er mai 2004, un mois seulement après l’inauguration du centre commercial, intervenue le 31 mars.

Dans un pays où le réseau commerçant est encore largement constitué de petites échoppes et de divers magasins de proximité, « Árkád » constitue, en somme, l’incarnation urbaine des années de rattrapage économique de la Hongrie et de sa course effrénée vers la convergence avec les standards et canons d’Europe occidentale.

Pécs, capitale et joyau de la Transdanubie méridionale

Matthieu Boisdron

Rédacteur-en-chef adjoint du Courrier d'Europe centrale

Docteur en histoire (Sorbonne Université)