JO : la télé hongroise préfère ignorer l’équipe des réfugiés

L’équipe olympique des réfugiés ? Connaît pas. La télévision publique hongroise a-t-elle reçu des instructions d’en haut ou se contente-t-elle une d’appliquer même pendant les Jeux Olympiques la doctrine de son gouvernement qui consiste à ignorer ou dénigrer systématiquement les réfugiés ?

Compréhension mutuelle, esprit d’amitié, solidarité, fair-play… Il reste peu de choses des valeurs de l’Olympisme (lire la charte). Ce constat, on le tire et le déplore à chaque nouvelle édition de la grand messe du sport mondial. Cette année pourtant, le Comité International Olympique (CIO) a redonné un tout petit peu de substance à ces valeurs en accueillant dans la compétition à Rio une équipe constituée de réfugiés. Dix athlètes au total ont ainsi été sélectionnés pour constituer une équipe représentant les quelques 65 millions de personnes déplacées dans le monde en 2015. Six hommes et quatre femmes, deux nageurs, un marathonien, cinq coureurs de demi-fond et deux judokas, issus de Syrie, d’Éthiopie, de République démocratique du Congo (RDC) et du Soudan du Sud.

«Avec cette équipe des athlètes olympiques réfugiés, nous pouvons montrer que le sport a des valeurs»

« En ramenant ces athlètes aux Jeux, au sport, à la vie (…), nous retournons à nos racines et prouvons réellement que le sport peut servir la société, a expliqué le directeur général adjoint du CIO. Avec cette équipe des athlètes olympiques réfugiés, nous pouvons montrer que le sport a des valeurs […]. »

Ce geste éminemment politique a été salué dans le monde entier et l’équipe des réfugiés a été ovationnée lors de la cérémonie d’ouverture, vendredi soir à Maracana. Le Monde voit par exemple dans cette équipe «le dernier étendard de l’idéal olympique». L’histoire extraordinaire de la jeune nageuse syrienne Yusra Mardini, qui à l’automne dernier s’était débattue pendant trois heures dans les eaux de la mer Égée pour tirer un rafiot sur lequel vingt personnes espéraient poser le pied en Grèce depuis la Turquie, a particulièrement émue et retenue l’attention. France Télévision ne s’est pas privée pour la relayer. (Consultable uniquement avec une adresse internet IP en France).


Jeux Olympiques : Yusra Mardini, de la Syrie aux bassins olympiques

M4, la chaîne de sport de la télévision publique hongroise, a été considérablement moins émue. Au moment de la série de qualification du 100 mètres papillon, son commentateur, Jenő Knézy, n’a même pas daigné mentionné ni la présence de l’équipe des réfugiés, ni le nom de la gagnante de la série, une certaine… Yusra Mardini.

Traitez-les comme les animaux qu’ils sont ! (sic)

Il ne faut pas s’en étonner. Depuis le printemps 2015 et le début de ce que l’on appelle la «crise des réfugiés», les médias publics hongrois, centralisés sous la coupe de la MTVA, ont devoir de présenter les migrants sous un jour défavorable : interdiction de montrer des personnes vulnérables (blessées, handicapées, femmes et enfants), privilégier au contraire les images de jeunes hommes en groupe, les visages inquiétants, faire des zoom sur des détritus laissés le long de la route, ne jamais approcher leur micro pour leur donner la parole mais au contraire les filmer de loin façon documentaire animalier… Bref, les traiter comme des animaux.

Ces consignes explicitement données aux journalistes ont été rapportées à Hulala par diverses sources au sein de la MTVA et un bref coup d’œil au journal d’information de la Magyar TV suffit de toute façon à comprendre qu’elles sont appliquées à la lettre et sans relâche depuis de très longs mois. Si le commentateur, M. Knézy, s’est si mal défendu contre les critiques, s’est donc sans doute car il ne peut pas avouer avoir reçu lui-même ces consignes. D’ailleurs, comment s’y prendrait-il donc pour partager avec ses téléspectateurs avides l’histoire ô combien admirable de la jeune Yusra, alors que les spots gouvernementaux pour promouvoir le référendum contre l’accueil de réfugiés le 2 octobre tournent en boucle sur la télévision publique, y compris entre les épreuves olympiques ?

Heureusement, de nombreux sites d’actualités, blogueurs et simples internautes ont fait part de leur colère face à cette attitude de la chaîne publique. Nous en avons relevé trois parmi de nombreux autres sur le site comment.blog.hu :

arabella_bishop – «J’ai été tellement choquée pas la mauvaise qualité de la diffusion. C’est pathétique ce que fait M. Knézy, mais aussi celui qui pose ses questions à côté de la piste. Ils sont cons, ils ne sons pas préparés, ils racontent n’importe quoi. Les pubs de propagandes sont pathétiques, ces 2 semaines vont êtres très longues».

VadMacs – «On s’assoie pour regarder les JO. Mais ça fait gerber, parce qu’à chaque minute c’est interrompu par les nouvelles perles choisies pas les propagandistes du gouvernement. Je me demande « ki a faszt érdekel« , et pourquoi c’est diffusé sur une chaîne de sport ? Il n’y a que pour moi que c’est nouveau, car mis à part les JO je ne regarde pas les chaînes du Fidesz ?»

oldalas – «Knézy, Knézy, il ne la voit pas… En plus je crois qu’on a lui interdit de dire un mot sur les migrants, ça ferait peut-être bizarre avec dans la même minute les pubs « üzenjünk Brusszelnek » (envoyons un message à Bruxelles) et les actualités».

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).