La fumée a fini par déserter les cafés pragois

Le 31 mai dernier, la Tchéquie a rejoint les rangs des nations civilisées, interdisant à son tour la cigarette dans les restaurants, les cafés et les bistrots. Pourquoi est-ce que j’introduis mon texte par cette petite envolée lyrique ? Parce que, depuis des décennies, je souffrais comme un Tchèque lors de mes sorties dans les bars pragois.

Cigarette vs. moi-même

Amateur de bière, je ne supporte pas la fumée de cigarette. Elle le savait (je parle de la cigarette) et me prenait pour cible. Quand j’étais assis avec un copain fumeur à une table de café et qu’il en allumait une, sans une once d’hésitation, la fumée prenait la direction de mon nez. Croyant que le vent allait dans ce sens-là, nous échangions nos places ; aussitôt, la fumée se tournait de 180 degrés pour offrir à mon poumon toute la dose de matières toxiques.

Là, je parlais d’un ami fumeur, à priori prêt à faire des concessions. Toute discussion était exclue avec un fumeur étranger. Assis à la table d’à côté, il en allumait une pile au moment où le serveur m’apportait un plat. J’avais beau lui lancer des regards mauvais, il s’en foutait. Selon mon expérience, quand un fumeur allume sa clope, le monde cesse d’exister pour lui et il n’y a plus qu’Elle et Lui.

La loi anti-tabac favorisant le tabac

Vous comprenez donc que j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le débat public sur une possible interdiction de la cigarette dans les cafés tchèques, qui a commencé il y a une bonne vingtaine d’années. L’opinion y étant largement favorable, le parlement se prononçait à répétition sur ce sujet. Manque de bol ! Jamais les partisans du ban n’ont réussi à rassembler une majorité en faveur de ce projet de loi.

C’est le moment de faire une petite digression en précisant que la société Philip Morris a une fabrique près de Prague et que ses hommes fréquentaient les députés pendant ces périodes-là…

Ainsi, la dernière « loi anti-tabac » votée en 2009 a ordonné aux cafetiers de mettre une plaque sur leur mur extérieur, à un endroit visible. Ils avaient le choix entre les deux, l’une correspondant à un « établissement fumeur », l’autre à un « établissement non fumeur ». Curieuse loi ; comme si un client n’obtenait pas cette information à moindres frais, en aspirant l’air depuis l’entrée ou, le cas échéant, en regardant s’il y a des cendriers sur les tables ou pas.

L’Invitation pour Monsieur Sobotka

L’actuelle coalition de centre-gauche avait inscrit une authentique loi anti-tabac dans son programme mais, au bout d’un débat interminable, elle a été rejetée par les députés, une fois de plus. C’est à ce moment-là que le premier ministre social-démocrate Bohuslav Sobotka a mis les pieds dans le plat, rappelant sa majorité à l’ordre.

Les députés ont été tenus à reprendre leur vote et – miracle ! – cette fois-ci, le oui a emporté. Par ailleurs, c’était probablement la dernière loi importante que cette coalition a réussi à faire passer, avant les élections législatives d’octobre.

Merci, Monsieur Sobotka ! Je n’ai jamais fait la cour à un politicien, pourtant : Voulez-vous que je vous invite à boire un pot, lors de mon prochain passage à Prague ?

Martin Daneš

Écrivain et journaliste

Dans les années 1990 et 2000, il a successivement dirigé trois périodiques tchèques : le quotidien Denní Telegraf (Télégraphe journalier), le mensuel Mezinarodni politika (Politique Internationale) et la version tchèque de Hustler, l’illustre magazine pornographique créé par l’Américain Larry Flynt.