En Pologne, le bilan du PiS émaillé des scandales environnementaux

Abattage dans la forêt de Białowieża, mur à la frontière, gestion des forêts politisée, scandales écologiques répétés, catastrophe écologique dans le fleuve Oder… Le bilan environnemental du PiS, ces huit dernières années, a été particulièrement épinglé par les défenseurs de la nature. État des lieux, et regard sur ce que la prochaine coalition pro-européenne promet en la matière.

Patrice Senécal et Hélène Bienvenu (correspondance à Varsovie) – Un optimisme prudent. L’arrivée imminente d’un nouveau gouvernement emmené par la coalition pro-européenne de Donald Tusk, nourrit les espoirs des écologistes polonais. Après huit années de national-conservatisme sous la houlette de Droit et Justice (PiS), émaillées par de multiples scandales environnementaux, c’est un changement à presque 180° qui s’annonce. Et c’est la députée Paulina Hennig-Kloska, du parti Pologne 2050 (chrétien-démocrate), qui est pressentie pour devenir la prochaine ministre du Climat et de l’Environnement. 

L’accord de coalition, qui fixe les grandes lignes de la future action gouvernementale, surtout axée sur le rétablissement des contre-pouvoirs démocratiques, consacre une certaine place aux questions écologiques et climatiques. Parmi les promesses, on annonce par exemple la création de nouveaux parcs nationaux, ainsi que l’augmentation de la superficie de ceux déjà en place. Une mesure qui pourrait toutefois se buter à la résistance de certaines communautés, peu enclines à accepter de nouvelles contraintes sur place. Source de réjouissance pour les férus de forêts, la coalition ambitionne également de placer 20 % de toute la superficie forestière du pays à l’abri de toute exploitation humaine. Elle souhaite accroître l’importance des énergies vertes dans le mix énergétique polonais — en mettant l’accent sur les installations photovoltaïque et le biogaz, ou encore sur l’éolien, qu’une législation a peine retoquée par le PiS en fin de mandat a empêché de prendre son essor.

L’alliance des blocs politiques s’étant fédérés contre le PiS (Coalition civique, Pologne 2050, PSL, Nouvelle gauche) entend par ailleurs la liquidation des décharges de déchets toxiques et l’amélioration de la qualité de l’eau des rivières. Sans parler du smog, à la fois un enjeu de pollution atmosphérique comme de santé publique, qui figure au sein des problèmes que souhaite aborder le prochain gouvernement, projetant d’accélérer le remplacement des anciennes chaudières et l’isolation des bâtiments.

Coupes dans la forêt primaire de Białowieża

Autant d’orientations qui viendraient contrecarrer la politique environnementale du PiS de ces huit dernières années, alors que sa gouvernance en matière d’environnement visant à exploiter les sous-sols miniers et « dompter » les forêts ou les rivières, a fait naître de nombreuses contestations en faveur de la protection du climat et de la biodiversité.

A commencer par l’épisode de Białowieża, sûrement l’un de ses plus emblématiques en matière de destruction de la nature des années PiS. A l’été 2017, la formation de Jarosław Kaczyński, arrivée au pouvoir deux ans plus tôt, s’était lancée à corps perdu dans des coupes dans cette forêt primaire de plaine, la dernière en Europe. Le prétexte alors invoqué par les autorités ? Couper pour enrayer l’invasion du bostryche typographe, un scolyte qui s’engouffre sous l’écorce des épicéas pour s’y reproduire. Un argument qui n’a guère convaincu les environnementalistes. Car l’insecte xylophage, s’il a en effet été la cause de la mort de milliers de conifères, a toujours fait partie de l’écosystème de cette forêt.

À Białowieża dans la dernière forêt vierge d’Europe, s’enraciner pour mieux lutter

« L’année 2017 a été extrêmement défavorable et destructrice pour la forêt de Białowieża. Environ 200 000 mètres cubes de bois ont été abattus, soit 400 % du volume annuel moyen », se remémore aujourd’hui Adam Bohdan, un biologiste connaissant Białowieża comme sa poche, et qui fut l’un des chefs de file de la contestation citoyenne il y a six ans, dans la forêt. Telle une sentinelle, le quarantenaire arpente depuis plus de dix ans la partie polonaise de ces 150 000 hectares de végétation millénaires, situées à cheval entre le Bélarus et la Pologne. Abritant le dernier sanctuaire de bisons d’Europe et une faune et flore sans pareil, ce joyau naturel est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979.

Devant la menace d’une sanction financière s’élevant à 100 000 euros par jour, brandie par la Cour de justice de l’Union européenne (UE) en cas de poursuite de l’abattage, le pouvoir polonais avait toutefois rangé ses tronçonneuses, fin 2017. Depuis, aucune exploitation à visée commerciale n’a été effectuée à Białowieża, et la forêt a repris son caractère sauvage, se réjouit Adam Bohdan : « Les années 2018-2023, après l’arrêt de la justice européenne, ont probablement été les meilleures pour la forêt de Białowieża, qui n’a pratiquement pas connu d’exploitation forestière. »

Mur scindant la forêt

Mais une autre menace est apparue, au tournant de la crise migratoire et humanitaire amorcée en 2021, à la frontière polono-bélarussienne. Pour contrer la « guerre hybride » menée par le régime d’Alexandre Loukachenko, la Pologne du PiS a, de fait, employé la méthode forte. En plus d’une militarisation accrue, source de perturbation de l’écosystème, un mur d’acier de plus de cinq mètres de haut a été inauguré, en juillet 2022, pour tenter d’endiguer les flux migratoires à la frontière. Un projet qui, outre son coût faramineux — 350 millions d’euros, en partie financé sur des fonds de l’UE — s’avère une aberration écologique. Fait d’acier et de barbelés, le mur, qui s’étend sur 180 kilomètres, traverse de part en part  la majestueuse Białowieża, entravant son écosystème unique.

« Ce genre de barrières constitue l’une des principales menaces à la faune et flore, elles fragmentent et isolent les populations animales en plus de perturber les échanges génétiques », affirme Rafał Kowalczyk, biologiste à l’Institut de recherche sur les mammifères, intégré à l’Académie polonaise des sciences. Une clôture de fortune avait déjà été érigée par l’Union soviétique en 1981 du côté biélorusse de la forêt, alors que la Pologne voisine, sous le joug communiste, faisait ses premiers pas vers la révolution démocratique de Solidarność. Mais cette barrière, qui de fait a divisé la population de bisons ou de chevreuils, s’est dégradée avec le temps, permettant à des mammifères de moindre gabarit — à l’instar des lynx et des loups — de la franchir. La donne risque de changer avec le nouveau mur, plus étanche et plus haut, avec des conséquences observables sur le long terme uniquement.

« Les grands animaux comme les orignaux ou les cerfs, bien qu’ils soient caractérisés par une variation génétique assez faible, sont des espèces communes, donc la première barrière a eu des effets limités sur eux », estime Rafał Kowalczyk. C’est « surtout sur les lynx que le mur polonais aura un effet négatif notable. C’est une espèce très sensible — protégée en Pologne depuis vingt-six ans —, et sa population n’a pas augmenté en plus de vingt ans. Son organisation sociale et spatiale sera perturbée. » Principale vulnérabilité de l’espèce : son faible nombre d’individus couplé à sa très faible variation génétique, qui peut affecter la résilience de l’animal face à certaines maladies, par exemple.

Une gestion des forêts scabreuse

La politisation tous azimuts du PiS des organes étatiques n’a pas épargné Lasy Państwowe (LP, « Forêt d’État »), l’institution responsable de la gestion des nombreuses forêts d’État en Pologne. « Les politiciens du PiS ont placé des forestiers serviles à des postes haut-placés, déplore Adam Bohdan. Le directeur de LP, sans aucune compétence particulière, a recouru à des méthodes violentes contre nous, les protecteurs de la forêt de Białowieża. L’Église et les prêtres sont devenus très puissants, nombre d’entre eux étant également employés dans les forêts d’État. Les forestiers ont été contraints de participer à des pèlerinages, de donner de l’argent à des associations religieuses… LP a également investi beaucoup d’argent lors de la campagne électorale. Des centaines de pavillons forestiers en Pologne ont été vendus à des forestiers pour une bouchée de pain. Et les gardes-forestiers qui se trouvaient être en désaccord avec ces pratiques ont été discriminés. J’ai entendu nombre d’entre eux s’en plaindre. Lors des conférences forestières, les écologistes ont été traités d’adorateurs de Satan et les théories de conspiration à leur sujet étaient monnaie courante. »

En Pologne, des écologistes s’opposent au rognage d’un parc national au profit d’une congrégation monastique

Adam Bohdan dresse un bilan sans compromis de ces deux derniers mandats du PiS, « dramatiques pour la protection de la nature polonaise. Car la forêt de Białowieża n’a pas été la seule à souffrir, les forêts naturelles des Carpates [dans le sud du pays], d’une valeur aussi estimable, ont également fait l’objet de coupes impitoyables. Le gouvernement a modifié la loi sur l’abattage d’arbres en dehors des forêts, ce qui a entraîné une augmentation de l’abattage le long des routes, sur des terrains privés. En Pologne, les chasseurs, qui sont souvent âgés, dotés d’une mauvaise vue et qui consomment de l’alcool, se sont vus exemptés d’examen de santé, ce qui a entraîné la mort de nombreuses personnes et d’animaux protégés. La situation n’est pas meilleure en ce qui concerne les écosystèmes aquatiques. De nombreuses rivières ont été dévastées. Et, en raison de l’utilisation du charbon, nous avons l’air atmosphérique le plus pollué d’Europe. Chaque année, 50 000 Polonais en meurent. Le seul élément positif qu’on puisse leur attribuer est la tentative de construction d’une centrale nucléaire, mais les travaux progressent très lentement. »

Catastrophe environnementale dans l’Oder

C’est effectivement sous le PiS que la Pologne a connu sa pire catastrophe écologique des dernières années. A l’été 2022, plus de 250 000 tonnes de poissons ont été retrouvés morts dans l’Oder, le deuxième plus grand fleuve polonais à l’ouest du pays, marquant la frontière avec l’Allemagne.

En cause ? Une algue dorée, qui a proliféré dans une eau chaude et salée. L’enquête en Pologne n’a jamais réussi à mettre en cause un coupable en particulier, ce qui n’a pas empêché les environnementalistes de pointer du doigt des rejets humains et industriels, notamment issus de l’industrie minière (traitement de l’argent) installée sur ses rives. 

Autour du fleuve de l’Oder en Pologne, des poissons meurent et des hommes luttent

D’une manière générale, c’est la gestion des rivières et le contrôle de leur qualité sous le PiS qui est incriminée. Ainsi les nationaux-conservateurs avaient procédé à la centralisation de la gestion des rivières avec la création de Wody Polskie en 2017. L’écosystème de l’Oder mettra des années à s’en remettre et un nouveau désastre est loin d’être exclu. A l’été 2023, plusieurs dizaines de kilos de poissons morts ont été repêchés dans les eaux polonaises de l’Oder.

De fleuve sauvage à autoroute fluviale

Les écologistes critiquent de surcroit vivement la volonté du PiS de transformer les grands fleuves du pays, parfois encore sauvages, en autoroutes fluviales. En 2016, l’administration polonaise est intervenue sur l’Oder, un fleuve méandreux, peu profond et sans écluse sur une partie de son parcours, sous couvert de lutte contre les inondations, et de nombreux travaux ont été entamés pour conduire en réalité à sa régulation. 

Derrière la volonté de lutter contre les inondations, le gouvernement national-conservateur du PiS a caressé le rêve mégalomaniaque de connecter ses voies fluviales avec d’autres cours d’eau européens, comme le Danube, et ainsi favoriser la connexion Baltique – Mer noire. L’objectif suprême étant pour Marek Góbarczyk, vice-ministre de l’infrastructure sous le PiS, de faire de l’Oder une voie fluviale de « classe V », capable d’accueillir des barges de 27 000 tonnes, l’équivalent d’un fleuve comme la Seine.

Le controversé canal de la Vistule

Le PiS est également intervenu un peu plus au nord pour creuser un canal reliant la lagune de la Vistule à la mer baltique aux abords de Krynica Morska. Ce projet faramineux, inauguré en septembre 2022, a été épinglé en novembre 2023 par la Cour des comptes polonaises (NIK). Cette dernière a estimé que l’infrastructure avait « perdu sa justification économique » et a pu constater de nombreuses irrégularités dans la planification et la mise en œuvre de l’investissement. Initialement chiffré à 880 millions de zlotys (202 millions d’euros), les dépenses ont augmenté de 125%, atteignant 2 milliards de zlotys (460 millions d’euros). 

Lire Le canal Baltique-Mer noire : « le plus grand désastre depuis les années 1950 en Pologne » & Le spectre d’un « Białowieża 2 » sur le chantier du canal Baltique-Vistule

L’infrastructure permet aujourd’hui de court-circuiter les ports russes de l’enclave de Kaliningrad, situés au bout de la presqu’île de la Vistule, et constitue l’un des projets personnels du chef du PiS, Jarosław Kaczyński. Il fallait avant procéder à un long détour par des rivières pour rejoindre le port d’Elbląg, à 24 km plus au sud, par bateau. En août 2023, 342 embarcations avaient sillonné ses écluses, la des petits bateaux de plaisance essentiellement. Et il faudra encore agrandir le chenal de la Vistule et la rivière d’Elbląg pour désenclaver le port d’Elbląg, de quoi alourdir encore le budget. Les écologistes ont également déploré la disparition de la forêt qui recouvrait la péninsule à cet endroit et le saccage d’une aire classée Natura 2000.

Mais « paradoxalement, en Pologne, au cours des huit dernières années, personne n’a renforcé le mouvement environnemental et écologique en Pologne comme le PiS a pu le faire », souligne Adam Bohdan. Ils ont été ainsi des milliers à défendre les forêts mises à mal par le PiS. Et le scientifique d’estimer que « l’ampleur de l’implication de la société dans la conservation de la nature [est devenu] est énorme ».

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.