Autonomie des Hongrois de Transylvanie : « Budapest ne veut rien qui n’ait de précédent en Europe » selon Péter Szilágyi

Les principaux partis des Hongrois de Roumanie ont acté la semaine dernière un projet commun d’autonomie culturelle et territoriale. Interrogé en décembre par « Le Courrier d’Europe centrale » alors que Budapest s’apprêtait à naturaliser le millionième Magyar, le secrétaire d’État adjoint pour les communautés hongroises à l’étranger, Péter Szilágyi, affirmait que le statut d’autonomie du Tyrol du Sud en Italie représente un bon modèle, vu de Budapest.

Depuis la loi entrée en vigueur en 2011, un million de Magyars ont été naturalisés. Comment expliquez-vous le succès de la double-citoyenneté hongroise ?

Contrairement aux gouvernements précédents, ce gouvernement hongrois assume la responsabilité des communautés hongroises qui vivent à l’étranger. Depuis la signature du traité de paix de Trianon, c’est la première fois que les Hongrois du bassin des Carpates et de la diaspora ont la possibilité de devenir des citoyens à part entière de la Hongrie et de l’Union européenne. Notre nouvelle loi fondamentale et la loi sur le témoignage de la cohésion nationale déclarent l’unité de la nation hongroise. La clé de ce succès est que, contrairement aux points de vue précédents sur les communautés hongroises à l’étranger, nous prêtons vraiment attention à nos compatriotes vivant loin de la mère patrie et nous les soutenons. Chaque Hongrois, quel que soit son lieu de résidence dans le monde, peut devenir citoyen hongrois en vertu de cette loi.

Quel est le nombre de personnes naturalisées par pays d’origine ?

Depuis 2010, 908 000 personnes ont demandé la nationalité hongroise dans le cadre de la procédure de naturalisation simplifiée et 133 000 personnes ont été déclarées citoyennes hongroises dans la diaspora (c’est à dire dans les territoires situés en dehors du bassin des Carpates). Environ 97% du million de nouveaux citoyens hongrois vivent dans le bassin des Carpates, dans les pays voisins de la Hongrie, principalement en Transylvanie (Roumanie) et en Voïvodine (Serbie).

En plus de faciliter l’accès à la citoyenneté et un droit de vote partiel aux élections législatives, quelles mesures a été prises par Budapest depuis 2010 pour renforcer les liens entre la mère-patrie et ses minorités ?

Entre 2010 et 2014, nous avons établi le cadre de la politique pour les communautés hongroises à l’étranger. Nous avons introduit la procédure de naturalisation simplifiée grâce à laquelle l’unification de la nation en vertu de loi sur la double-citoyenneté a été réalisée. Le système institutionnel de la politique pour les communautés hongroises a été formé. La Conférence hongroise permanente – le plus grand forum pour les Hongrois vivant à l’étranger – a été relancée en 2010 et ses membres ont adopté en 2011 notre document stratégique de base intitulé « Politique pour les communautés hongroises à l’étranger – Cadre stratégique pour les communautés hongroises à l’étranger ». Les objectifs énoncés dans ce document étaient axés sur la réalisation de la prospérité des communautés hongroises vivant en dehors de la Hongrie. En ce qui concerne la situation particulière de la diaspora hongroise, nous avons préparé en 2016 un nouveau document stratégique « Politique de la diaspora hongroise – Orientations stratégiques » qui a été adopté par le Conseil de la diaspora hongroise. Au cours des quatre dernières années, nos ressources assurées pour les Hongrois à l’étranger ont considérablement augmenté. Afin de développer l’éducation et la vie économique hongroises à l’étranger, renforcer le système institutionnel et l’identité des communautés hongroises dispersées, nous avons réalisé des développements infrastructurels, lancé des programmes thématiques, formé des réseaux communautaires dans le bassin des Carpates et nous les entretenons. En ce qui concerne la diaspora, les ressources financières ont également été multipliées.

La cause de l’autonomie des Magyars ne semble pas progresser dans les pays voisins. La Roumanie envisage même de redessiner ses frontières administratives internes, et cette nouvelle régionalisation pourrait aboutir à une dilution du Pays Sicule (Székelyföld) dans diverses entités administratives. Voyez-vous des progrès ?

Il est important de préciser qu’il existe différentes formes d’autonomie. La communauté hongroise de Voïvodine présente un bon exemple d’autonomie culturelle. En ce qui concerne l’autonomie territoriale et la Transylvanie, on peut affirmer qu’au cours des 25 dernières années, les Hongrois de Transylvanie ont réussi à poser d’importants piliers vers l’autodétermination interne, plusieurs avancées ont été réalisées dans ce domaine. La communauté hongroise vivant en Transylvanie n’a jamais abandonné ses aspirations à l’autonomie, mais l’autonomie ne peut être réalisée que s’il existe un consensus social total sur la question. Par conséquent, la première étape devrait être un concept clair accepté par toute la communauté hongroise. Tant qu’il n’y a pas d’idée claire, la nation majoritaire ne peut pas l’accepter.

« Budapest ne veut rien qui n’ait de précédent en Europe. Il existe déjà de bons modèles d’autonomie en Europe, par exemple, celui du Tyrol du Sud ou l’autonomie des îles Åland. »

Manifestation en faveur de l’autonomie du Pays Sicule à Budapest lors du Jour de l’Unité nationale, le 4 juin 2014. (Photo : Corentin Léotard / Le Courrier d’Europe centrale)

Le volontarisme de Budapest vis-à-vis des minorités hongroises n’éloigne-t-il pas paradoxalement la réalisation de ces aspirations légitimes à l’autonomie, puisqu’il contrarie les gouvernements centraux des Etats voisins ?

Le gouvernement hongrois n’a jamais voulu « commander » aux Hongrois vivant à l’étranger de Budapest et leur dire ce qui est bon pour eux, quelle forme d’autonomie leur conviendrait. Nous voulons que les communautés hongroises se prononcent seules sur ce problème, pour élaborer un concept clair d’autonomie fondé sur un consensus social et que la mère-patrie soutienne ce concept. Il est également extrêmement important de souligner que Budapest ne veut rien qui n’ait de précédent en Europe. Il existe déjà de bons modèles d’autonomie en Europe, par exemple, celui du Tyrol du Sud ou l’autonomie des îles Åland (Finlande, ndlr).

Quelle est la signification du drapeau du Pays Sicule qui flotte sur le parlement hongrois ?

Le drapeau Szekler a été hissé sur le bâtiment du Parlement de Budapest en 2013, sur décision du président de l’Assemblée nationale hongroise. Le but de cette action symbolique était d’exprimer la solidarité de la mère-patrie avec les Hongrois de Transylvanie qui sont régulièrement mis à l’amende en Roumanie parce qu’ils utilisent leurs symboles communautaires nationaux. Au cours des dernières années, le nombre de procès et d’amendes en raison de l’utilisation du drapeau Szekler a considérablement augmenté en Roumanie.

Y-a-t-il des négociations en cours avec la Slovaquie pour lever son interdiction de la double-nationalité et permettre ainsi aux Magyars de Slovaquie qui le souhaiteraient d’acquérir la citoyenneté hongroise ?

La loi slovaque sur la citoyenneté a été adoptée en 2010, immédiatement après l’adoption de la nouvelle loi hongroise sur la citoyenneté et l’introduction de la procédure simplifiée de naturalisation. Selon la législation en vigueur en Slovaquie, un citoyen slovaque qui acquiert volontairement la citoyenneté d’un autre pays est privé de sa nationalité slovaque. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, 2002 personnes ont perdu leur citoyenneté slovaque, dont 98 Hongrois. Il y a eu plusieurs tentatives d’amender la loi ou de la modifier d’une manière ou d’une autre mais aucune n’a aboutie. Depuis 2015, la loi est réglementée par un décret ministériel qui permet aux personnes ayant perdu leur citoyenneté slovaque, devenues citoyennes d’un autre pays, de demander la restitution de leur nationalité slovaque. Cependant, chaque cas est évalué individuellement : c’est un ministre qui décide au cas par cas si la citoyenneté d’une personne peut être restaurée ou non. 

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).