Mort de l’intellectuel Gáspár Miklós Tamás, « le plus libre des Hongrois »

L’intellectuel hongrois Gáspár Miklós Tamás, décédé à l’âge de 74 ans, avait été un opposant au régime communiste de János Kádár, une figure de la transition démocratique en Hongrie, et un critique acerbe du néolibéralisme dans les années 2000 puis de Viktor Orbán à partir de 2010.

Gáspár Miklós Tamás, philosophe politique, écrivain, député dans la première assemblée post-communiste en 1990, éditorialiste, très connu en Hongrie même du grand public sous l’acronyme « TGM », est décédé à l’âge de 74 ans des suites d’une maladie qu’il avait publiquement évoquée à l’automne 2022. « Le plus libre des Hongrois est mort », titre 444.hu.

Gáspár Miklós Tamás était né le 28 novembre 1948 dans la minorité magyarophone de Roumanie, de parents militants communistes. Son père, de Scaunul Odorhei (Udvarhelyszék, en hongrois), et sa mère d’une famille juive orthodoxe d’Oradea (Nagyvárad), s’étaient rencontrés dans le mouvement communiste dans les années 1930, précise Telex.

Il est diplômé en philosophie de l’Université Babeș-Bolyai à Cluj en 1972, mais refuse d’adhérer au Parti communiste, condition sine qua non pour y poursuivre une carrière universitaire. Il devient donc journaliste dans le journal Utunk à Cluj, avant de déménager légalement en Hongrie en 1978.

Retrouver ici 5 articles de Gáspár Miklós Tamás publiés dans la presse hongroise que nous avons traduits en français.

À la mort d’un camarade par intermittence

Départ en Hongrie de Kádár

A Budapest, il enseigne à la Faculté des sciences humaines d’ELTE comme associé de recherche. Il publie en parallèle son premier article, en samizdat, c’est à dire dans la clandestinité, déclarant son entrée dans l’opposition en réaction à la proclamation de la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. Par conséquent, il est licencié et, pour survivre, se fait employer quelques mois dans une bibliothèque publique à Csepel avant de se retrouver au chômage.

Il est déjà une figure emblématique de l’opposition démocratique lors de son meeting à Monori en 1985, qui rassemble les deux grands mouvements d’opposants, le Forum démocratique hongrois (MDF) et l’Alliance des démocrates libres (SZDSZ).

Les autorités l’empêchent par des moyens administratifs de se présenter candidat contre le ministre des Affaires étrangères Péter Várkonyi lors de la dernière élection parlementaire sous le régime du parti unique, comme le lui aurait théoriquement permis l’instauration des nominations multiples en 1983.

Dans la seconde moitié des années quatre-vingt, il enseigne comme professeur invité aux États-Unis (Yale), en France et en Angleterre.

Entretien avec Gáspár Miklós Tamás : « En Europe centrale, la gauche a un problème de logistique »

TGM à la table, à sa gauche le futur maire de Budapest Gábor Demszky. Photo : Fortepan / Hodosán Róza.
Au parlement en 1990. Fortepan / Urbán Tamás
Député avec le SZDSZ, opposant d’Orbán

En 1990, il devient député dans le premier parlement librement élu sur la liste du comté de Csongrád et siège avec le SZDSZ pendant quatre années. Il ne se représente pas en 1994, prend peu à peu ses distances avec la vie politique partisane et quitte officiellement le SZDSZ en 2000.

Gáspár Miklós Tamás : « Orbán élimine tout ce qui le gêne. […] Le peuple hongrois n’est pas en mesure d’exercer une résistance »

TGM continue à publier des ouvrages et des articles et à intervenir dans le débat public, jouant un rôle de boussole pour la gauche sociale-démocrate qui se converti peu à peu au libéralisme.

Au cours des années 2000, le philosophe qui se dit marxiste est très critique de la gouvernance de la coalition de gauche MSZP-SZDSZ (2002-10), puis au cours des année 2010 de l’autoritarisme de Viktor Orbán, dont il est l’un des critiques les plus vifs et les plus exigeants.

Malgré cela, une forme de respect mutuel a toujours demeuré entre les deux anciens dissidents et Orbán a salué la mémoire d’un « vieux combattant de la liberté ». Sur le site de Telex, Gábor Fodor, ancien fondateur du Fidesz qui deviendrait président du SZDSZ relate le jour emblématique pour l’opposition du 16 juin 1988 où fut ré-enterré Imre Nagy, le réformiste de 1956 exécuté :

« Je n’oublierai pas non plus son courage. Le 16 juin 1988, avec János Kis, Viktor Orbán et Péter Molnár, nous sommes allés aux Batthyány Örökmécs. C’est encore l’époque du système Kádár : parti unique, dictature. Il n’était même pas permis de prononcer le nom d’Imre Nagy, la commémoration des martyrs était considérée comme un acte interdit et punissable. Quelques centaines d’entre nous ont osé se rassembler pour briser le silence destructeur du mensonge. Les gens marchaient, la petite place était pleine. Soudain, un homme barbu à lunettes a haussé le ton : Allons-y ! En s’avançant vers le chandelier, il a commencé son discours. Un grand nombre de policiers en civil et en uniformes ont déboulé des rues environnantes, et plusieurs d’entre eux se sont jetés sur l’orateur, Gáspár Miklós Tamás. Au milieu des coups de matraques et des cris, Viktor Orbán a tenté de libérer Gazsi (nom affectueux donné à TGM – Ndlr.) de la cohue de dizaines d’hommes en uniforme qui l’agressaient ».

Corentin Léotard et Vincent Liegey ont reçu le philosophe G.M.Tamás aux côtés de Serge Halimi, directeur de la rédaction du « Monde diplomatique » à une émission radio en 2012.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).