Entretien avec Soňa Mäkka : « Les gens ont peur des ours et les populistes en profitent » en Slovaquie

Avec la multiplication des attaques d’ours sur des humains ces dernières semaines, le débat s’est enflammé en Slovaquie. Le gouvernement national-populiste de Robert Fico souhaite faciliter leur abattage et s’en prend aux défenseurs de l’environnement. Entretien avec Soňa Mäkka, journaliste spécialiste des questions environnementales pour le média indépendant Denník N.

Le Courrier d’Europe centrale : Plusieurs attaques d’ours contre des humains ont été rapportées dans la presse ces derniers mois. Où et dans quelles conditions se produisent ces attaques ? Y a-t-il plus d’attaques qu’avant ?

Soňa Mäkka : Deux employés de la protection nationale de la nature ont été surpris par une ourse qui était selon eux accompagnée de ses deux oursons, dans les forêts au-dessus de Kyslinky à Poľane. Lorsqu’elle a soudainement couru vers eux, l’un des gardes a tiré et a accidentellement touché son collègue à la jambe. Après une collision avec un ours, un forestier de 35 ans a subi de multiples blessures dans une forêt dense en dehors de la zone urbaine de Kvačany. Il a été transporté à l’hôpital avec une blessure à la poitrine, à la colonne vertébrale et avec des côtes cassées. Un ours a attaqué un couple accompagné d’un chien sur un sentier de randonnée à environ 7 km du village de Pribylina, dans la région de Liptovský Mikuláš. L’homme a été légèrement blessé au membre inférieur.

Un ours a attaqué un homme qui cueillait des champignons hors d’un sentier de randonnée, près du village de Stránavy, dans la région de Žilina. En état de légitime défense, il a tiré sur l’ours avec un pistolet à balle courte. L’homme n’a pas été blessé, l’ours blessé n’a pas été retrouvé. Une touriste biélorusse de 31 ans est décédée dans les Basses Tatras alors qu’elle faisait une randonnée avec un ami hors du sentier balisé près du mont Siná. Selon l’enquête préliminaire, la femme serait tombée dans un ravin alors qu’elle fuyait un ours. Une autopsie, dont les résultats ne sont pas encore connus, devrait apporter plus d’informations. À Liptovský Mikuláš, un jeune ours a blessé cinq personnes alors qu’il traversait la ville en courant. Après quelques jours, un ours a été abattu mais les experts doutent qu’il s’agisse du même animal.

Photo d’illustration : Paul Appleton / CC BY-NC 2.0 https://www.flickr.com/photos/59818793@N00/17314993921

Y-a-t-il également des attaques sur les animaux d’élevage ? Avec quelles conséquences pour les pratiques des éleveurs ?

Oui, cela arrive. Seule une partie des éleveurs protègent leurs troupeaux avec des chiens et des clôtures électriques. Mais les loups font plus de dégâts que les ours sur les animaux d’élevage. Les ours attaquent plus souvent les abeilles que les moutons, les chèvres ou les vaches.

Le nombre d’ours fait débat. Que savons-nous du nombre actuel d’ours en Slovaquie et de son évolution ?

Des scientifiques de l’Université Charles et de l’Université tchèque d’agriculture ont estimé la taille de la population à 1 056 (et une fourchette de 1 012 à 1 275 ours). Mais selon d’autres scientifiques, les conclusions auxquelles sont parvenus les Tchèques ne sont pas correctes. Ils pensent que leur nombre est plus élevé.

La question de l’ours est entrée dans le débat public. Comment l’ours divise-t-il les partis politiques et la société ?

Les gens ont peur des ours et des politiciens populistes en profitent. Chaque parti politique propose des solutions différentes. Certains veulent abattre les ours sans autre forme de débat, d’autres évoquent des mesures préventives. La société est divisée sur ce point.

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Le ministre de l’Environnement prépare actuellement un projet de loi pour faciliter l’abattage non seulement des ours, mais aussi des loups, des lynx et des chacals. Qu’est-ce qui changerait concrètement ?

Il serait plus facile d’obtenir une dérogation à la loi pour tirer sur un grand carnivore. Des dégâts mineurs causés par un animal suffiraient à l’abattre. Les loups et les lynx sont strictement protégés en Slovaquie et leurs populations sont en danger. Pour de nombreux chasseurs et braconniers, ce sont des trophées convoités. C’est peut-être la raison, car le lynx en particulier ne cause que des dégâts mineurs aux animaux d’élevage. Pas la moindre attaque de loup ou de lynx contre une personne n’a été enregistrée dans l’histoire de la Slovaquie.

L’Union européenne aura-t-elle son mot à dire ?

L’ours brun est une espèce d’importance européenne et est protégée toute l’année. Jusqu’en 2004, la chasse réglementée fonctionnait en Slovaquie, il était donc possible de tuer un certain nombre d’ours. Après avoir rejoint l’Union européenne, l’ours est devenu protégé par la législation slovaque et européenne. Il était possible d’obtenir une exemption du ministère de l’Environnement pour sa capture dans les cas d’ours dits « synanthropes », c’est à dire qui ont perdu leur timidité et s’aventurerait dans les zones habitées, par exemple pour faire les poubelles. Les utilisateurs des terrains de chasse ont reçu l’autorisation de tirer. L’exception à la soi-disant protection des espèces devait être très bien spécifiée et l’ours concerné devait être clairement identifié. Le ministère de l’Environnement a perdu plusieurs procès contre des associations environnementales pour non-respect de cette condition.

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Depuis 2020, les ours à problèmes ont été prélevés de la population uniquement par les professionnels de la Brown Bear Response Team avec la participation d’un vétérinaire. Cette équipe d’intervention appartient à l’État de protection de la nature de la République slovaque et le vétérinaire provient du ministère de l’Environnement. Si la Slovaquie voulait introduire le tir réglementé, elle devrait prouver par des données scientifiques que la population d’ours se trouve dans un état favorable et qu’il n’existe pas d’autre alternative pour éviter de graves dommages matériels et dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques.

Que proposent les écologistes pour une meilleure cohabitation entre les ours et les humains ?

Il faut agir pour une meilleure protection des déchets, l’installation de clôtures électriques pour les agriculteurs et les apiculteurs, l’entretien des vergers/jardins fruitiers abandonnés, et le recours aux chiens de protection des troupeaux. Il est également important d’éduquer les touristes sur la façon de se comporter dans les forêts denses où la visibilité est moindre.

Pouvez-vous nous dire qui est le ministre d’extrême-droite Tomáš Taraba et ce qu’il représente en Slovaquie ?

Marine Le Pen en pantalon. Il a été introduit au Parlement par les fascistes, dont le président est à juste titre reconnu coupable d’avoir exprimé sa sympathie pour un mouvement visant à supprimer les droits humains fondamentaux. M. Taraba a un discours agressif et haineux, il déteste en particulier les femmes qui réussissent. Depuis son arrivée, il a détruit la protection de la nature en Slovaquie. Il se comporte davantage comme un ministre de l’Économie que comme un ministre de l’Environnement.

Outre la question des ours, l’ensemble du secteur environnemental semble souffrir des politiques populistes du gouvernement de Robert Fico, particulièrement les parcs nationaux. Pouvez-vous nous expliquer ?

Le ministre de l’Environnement veut détruire les parcs nationaux et désactiver la protection de la nature. Ces derniers jours, les directeurs des parcs nationaux ont ordonné de licencier près de 80 personnes. Dans le même temps, le ministre a considérablement réduit le budget de l’État qui leur est alloué pour cette année et a également limité leur accès aux fonds européens.

Existe-t-il un mouvement environnemental fort pour s’opposer aux projets du gouvernement ?

Certains partis d’opposition s’opposent au ministre, notamment la Slovaquie progressiste (PS) et le parti les Démocrates. La politique du ministère est également critiquée par les organisations non-gouvernementales, que ce gouvernement veut restreindre considérablement, à l’instar de ce qu’a fait Viktor Orban en Hongrie.

Propos rapportés par Corentin Léotard.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).