Une pièce de théâtre à Vilnius pour parler de la répression au Bélarus

Sur la scène du vieux théâtre de Vilnius, des acteurs russes, bélarussiens et lituaniens ont joué le texte de Sacha Filipenko, auteur notamment d’« Un fils perdu », mis en scène par Sasha Denisova. Portrait de cette artiste ukrainienne.

La scène se passe en 2030 dans un bunker. La guerre en Ukraine est finie depuis longtemps, mais une attaque nucléaire a eu lieu. Dix ans ont passé depuis les immenses manifestations qui ont suivi la nouvelle réélection truquée d’Alexandre Loukachenko, arrivé au pouvoir en 1994 et les juges et les procureurs bélarussiens n’ont toujours pas terminé de juger les manifestants. Dès le lever du rideau, la procureure roule son matelas et avale des pâtes instantanées. Dans la pièce, c’est un médecin qui est jugé pour ne pas avoir traité à temps un ponte du régime, victime d’un infarctus.

Sasha Denisova est une spécialiste du théâtre documentaire. Elle en écrit, mais le met aussi en scène. La pièce de Sacha Filipenko, écrite peu de temps après les manifestations, appartient à ce registre. La metteuse en scène aime néanmoins rajouter des éléments. « Il y a le monde réel et le monde fantastique » explique-t-elle le lendemain de la représentation. Cette juxtaposition de plusieurs mondes rend le propos encore plus fort. « Sacha Filipenko a apprécié » affirme-t-elle.

Vilnius, juillet 2023. Photo : Marielle Vitureau.

Sasha Denisova a observé les manifestations de 2020 au Bélarus depuis Moscou, où elle s’était installée en 2005 pour travailler dans le monde du théâtre. « Pour les Ukrainiens, cela a toujours été choquant que les Russes et les Biélorusses ne puissent pas manifester librement dans les rues et renverser leur gouvernement » se rappelle celle qui a travaillé en 2004 pour le bureau de campagne du président Viktor Iouchtchenko. Elle souligne leur pureté et leur naïveté presque dérangeante. « Dans la pièce, un personnage dit que l’on a toujours défilé sur les trottoirs, jamais dans la rue » rappelle Sasha Denisova. Une des images qui avaient marqué le monde, avant le début des répressions, était celle des Bélarussiens ôtant leurs chaussures avant de monter sur des bancs.

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La pièce de Sacha Filipenko s’achève originellement sur les propos de la juge s’adressant au public pour demander si le docteur est coupable. La metteuse a transformé la pièce et pour donner du contexte, elle fait intervenir un journaliste qui commence à lire les témoignages de Bélarussiens persécutés pendant les manifestations dont les acteurs. « C’était bien qu’un autre metteur scène, non bélarussien, avec un autre point de vue, car cette histoire est toujours très dramatique pour eux » relève Sasha Denisova.

« Je n’ai des contacts plus qu’avec quelques Russes et ce sont des personnes qui ont émigré ».

Sasha Denisova

Dès les premiers jours de l’agression russe, Sasha Denisova a fui Moscou pour la Pologne. Dès son arrivée, elle s’est mise immédiatement à la tâche et a collecté les témoignages de femmes réfugiées et hébergées dans les salles de sport et les entrepôts transformés en abri. Dès le mois de mai 2022, leur expérience se retrouve sur la scène d’un théâtre de Varsovie. Il y a quelques mois, Sasha Denisova était aux Etats-Unis pour la représentation de sa pièce La Haye, dans laquelle une jeune fille rêve de voir V. Poutine et ses acolytes répondre de leurs crimes de guerre. Dans cette pièce basée sur une étude poussée des discours du président russe, le comique ne manque. « Il s’agit d’une manière d’apaiser les tensions et de préparer le public à faire face à des détails très cruels » note le Washington Post.

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La première de la pièce a eu lieu en Pologne, le 24 février 2023 pour marquer le premier anniversaire de la guerre. Aujourd’hui, Sasha Denisova se sent investie d’une mission : celle de parler de la guerre à grande échelle en Ukraine et d’ouvrir les yeux des Occidentaux.

Vilnius, juillet 2023. Photo : Marielle Vitureau.

De ses années passées en Russie, elle ne comprend plus grand-chose. « Je n’ai des contacts plus qu’avec quelques Russes et ce sont des personnes qui ont émigré » raconte Sasha Denisova, perplexe. Beaucoup collaborent. « Même s’ils ne sont pas des soutiens actifs à la guerre, ils acceptent des postes dans les théâtres » poursuit-elle. Quand les hommes du groupe Wagner se sont approchés de Moscou, leur réaction a été risible et dit pour elle la difficulté de la Russie à se transformer. « Les intellectuels russes ont été effrayés que les prisonniers du groupe Wagner puissent leur voler leurs pierres précieuses comme en 1917 et ils ont dit partout qu’il fallait faire des réserves de bouillie de sarrasin » raille la metteuse en scène.

Sasha Denisova va bientôt retourner aux États-Unis. Le théâtre de Philadelphie va mettre en scène sa pièce Ma mère et l’invasion à grande échelle. Elle a rédigé ce texte en se basant sur les échanges avec sa mère, née à Kiev dans un abri en 1941 pendant les bombardements allemands et qui n’a pas voulu quitter son pays. Sasha Denisova s’est mise d’accord avec le théâtre national de Toulouse et l’un de ses directeurs Galin Stoev pour la jouer La Haye sur une scène française.

Marielle Vitureau

Journaliste spécialiste des Pays baltes, pour RFI, Radio France, AFP. Auteur des Lituaniens (éditions Henry Dougier) et du Dictionnaire insolite des pays balte (éditions Cosmopole).