Révolution des Conseils. Après la mort de Staline, les contradictions commencent à exploser

A l’occasion du soixantième anniversaire de la Révolution des Conseils de 1956 en Hongrie, Révolution Permanente publie une série d’articles sur différents aspects de cette lutte héroïque de notre classe.

Article publié originellement le 28 octobre 2016 dans Révolution permanente.

En mars 1953 Staline meurt. C’est le début d’une période de frictions et luttes inter-bureaucratiques pour la succession, mais aussi de mouvements des masses par en bas. Dès juin 1953 on assiste à des révoltes ouvrières contre les conditions de vie, de travail et l’oppression des régimes staliniens. En Tchécoslovaquie et en Allemagne des révoltes ouvrières éclatent et sont fortement réprimées par l’armée soviétique.

Ces soulèvements ouvriers ont été un signal d’alarme pour les dirigeants staliniens et les luttes entre les différentes fractions, à l’intérieur de la bureaucratie, allaient s’accélérer. Les vieux dirigeants liés au cercle du pouvoir de Staline allaient être forcés de laisser la place à des dirigeants qui se présentaient comme des « réformateurs ». En Hongrie, en 1953, Mátyás Rákosi qui, avec Enrő Gerő, était l’un des principaux architectes du régime policier hongrois, laissait sa place à la tête du pays à Imre Nagy qui formait ainsi « le premier gouvernement Nagy ». La bureaucratie du Kremlin craignait que la politique de Rákosi amène à un soulèvement en Hongrie. Cependant, Rákosi reste à la tête du parti.

Il faut dire que Nagy comme Rákosi et Gerő, avait lui aussi passé les années de guerre dans l’Union Soviétique. Mais il avait gagné une grande popularité parmi les masses car il avait été ministre de l’agriculture du gouvernement de front populaire en 1944 et mené la réforme agraire. Arrivé au poste de premier ministre en 1953, Nagy annonçait un « cours nouveau ». Il dénonce les crimes du gouvernement de Rákosi et ferme les camps d’internement, des prisonniers politiques sont libérés. Nagy promet plus de libertés démocratiques dans la vie culturelle et une amélioration de la vie quotidienne. Il permet la formation de coopératives agricoles sur la base du volontariat contre la politique de collectivisation forcée à la campagne.

La popularité de Nagy en tant que « réformateur » se renforce. Mais Rákosi, resté à la tête du parti, continue à manœuvrer souterrainement et, en avril 1955, il réussit à faire tomber le premier gouvernement Nagy pour « déviation de droite ». Nagy sera exclu du parti en décembre 1955. Sa réadmission au sein du parti n’aura lieu qu’en octobre 1956 pour essayer d’endiguer le mécontentement qui grandissait dans celui-ci.

En effet, malgré le retour au pouvoir de Rákosi et de sa politique brutale de reprise de contrôle sur le pays, la grogne populaire s’élargit. Parmi les jeunes, parmi les ouvriers et les paysans, parmi les intellectuels. C’est précisément dans ce secteur que les premières manifestations publiques de mécontentement apparaissent à travers la création et le développement de cercles de discussion. En mars 1955, encore sous le gouvernement Nagy, nait notamment le cercle Petőfi, regroupant intellectuels, artistes, journalistes, étudiants. Au début, celui-ci se limite à discuter le programme gouvernemental de Nagy. C’était un cadre que la bureaucratie avait permis de créer dans la perspective de contrôler le contour des discussions. Cependant, le cercle prend de plus en plus une dimension contestataire après la chute du gouvernement de Nagy.

Mais c’est surtout après la révélation du « discours secret » de Nikita Khrouchtchev lors du XXe congrès du PCUS, en février 1956, que le cercle Petőfi a un écho massif. Des milliers de jeunes et même des ouvriers viennent y débattre. En effet, l’impact du « discours secret », où Khrouchtchev dénonçait les crimes de Staline, avec l’objectif de décharger tous les maux du régime « sur le dos d’un mort », a été fort dans toute la région. Il a renforcé les ailes « critiques » des bureaucraties locales. La « réconciliation » avec Tito a encore renforcé ces ailes « réformatrices ».

C’est entre ces brèches par en haut que la classe ouvrière et la jeunesse ont pu avancer leurs propres revendications par en bas. Dans le cas de la Hongrie, ils ont même ébranlé le pouvoir stalinien ; en quelques jours l’édifice totalitaire s’effondrait. On était en présence de la plus grande révolution ouvrière et populaire contre le stalinisme.

Cependant c’est en Pologne que la première action ouvrière d’envergure contre le pouvoir stalinien a eu lieu en 1956. En juin les ouvriers de Poznań, dans un contexte ébranlé par les révélations du « rapport secret », se mettent en grève pour une amélioration des conditions de travail et des rémunérations. Ils organisent des assemblées et élisent une délégation parmi les ouvriers de base pour aller à Varsovie présenter leurs revendications. Les autorités n’offrent aucune réponse aux travailleurs. C’est le début d’une grève qui rapidement devient insurrection.

La police politique polonaise tire sur les manifestants et en tue plusieurs. Les ouvriers répondent en s’armant. Ils s’emparent des armes des soldats, des blindés et font le tour des commissariats pour trouver des armes. La révolte gagne d’autres secteurs de la société, notamment la jeunesse étudiante. Or, le lendemain, après une lutte acharnée, notamment autour de l’université, l’armée réussit à « rétablir l’ordre ». Plus de 50 personnes ont été tuées, plus de 430 blessées et il y a 2000 arrestations.

La révolte ouvrière de Poznań a été le premier avertissement important de la part des travailleurs contre le pouvoir stalinien en Pologne mais aussi en Hongrie et dans toute la région. La peur de contagion était grande. D’autant plus que l’agitation en Pologne allait continuer autour des réprimés de la révolte de Poznań. Le mouvement de solidarité avec les ouvriers allait dépasser les frontières polonaises et toucher aussi les travailleurs et la jeunesse hongroise déjà en ébullition. Les conditions pour la révolution murissaient très rapidement.