« Poutine terroriste ! », scandent des Russes exilés à Budapest

Samedi après-midi, au lendemain d’une plus large manifestation en soutien à l’Ukraine, quelques dizaines d’exilés russes ont crié leur opposition à la guerre et à Vladimir Poutine, sous les fenêtres de l’ambassade de Russie à Budapest.

Les organisateurs n’attendaient pas forcément plus que la cinquantaine de personnes présentes ce samedi en début d’après-midi à proximité de l’ambassade de Russie pour « exprimer [leur] rage face aux actions criminelles du régime de Poutine et exprimer [leur] solidarité avec tous les Ukrainiens qui subissent l’agression russe ». « Étant à l’abri de la Russie, à l’étranger, nous n’oublions pas que nous restons des citoyens russes. Et personne ne nous retirera le droit de parler au nom de notre pays », détaillent les organisateurs. « L’Ukraine défend courageusement la paix dans toute l’Europe. Car la paix, hélas, est impossible sans une victoire complète et inconditionnelle sur le poutinisme », affirment-ils aussi.

Aucune ambiguïté face à la guerre chez ces citoyens russes qui vivent en exil à Budapest depuis quelques semaines, quelques mois ou plusieurs années. En face de leur ambassade, séparés par l’avenue Andrássy, ils scandent « Poutine terroriste », « Nous sommes aux côtés de l’Ukraine », « Les Russes contre la guerre » et reprennent le slogan hongrois de 1956 « Ruszkik háza » (Les Russes dehors). Dans le mégaphone, Polina, arrivée de très fraîche date en Hongrie avec son mari, ne se prive pas de lancer des slogans corsés à l’égard du président russe, repris en chœur. « Poutine est un loser », « Tueur d’enfants ! », entend-on aussi.

Budapest, 25 février 2023. Photo : Corentin Léotard / CdEC
Budapest, 25 février 2023. Photo : Corentin Léotard / CdEC

« Je tenais à me tenir ici en solidarité des Ukrainiens », témoigne une jeune femme d’environ trente ans arrivée cet hiver de Saint-Pétersbourg avec son mari, car celui-ci ne voulait pas prendre le risque d’être incorporé dans l’armée lors d’une seconde vague de mobilisation. Elle a trouvé un emploi dans une entreprise hongroise de IT. « Mon mari a préféré ne pas prendre le risque de venir manifester », dit-elle.

« J’ai décidé de partir dès le début de la guerre, mais il m’a fallu près d’un an pour réussir ».

Alex, analyste financier.

Plusieurs centaines de milliers de jeunes Russes ont fui la Russie depuis le 24 février 2022 : opposants notoires à Poutine, activistes, artistes, déserteurs, objecteurs de conscience, « nomades digitaux », opportunistes… Beaucoup font profil-bas car ils craignent d’être identifiés dans les manifestations au moyen d’outils de reconnaissance faciale, et que leurs proches restés au pays n’aient à en subir les conséquences. Cela dépend généralement de la situation sociale et professionnelle de ces proches, plus ou moins vulnérables face au régime de Vladimir Poutine.

À Varsovie, manifestation de soutien à l’Ukraine, un an après l’invasion russe

Alex a quitté la Russie en décembre pour la même raison : échapper à une possible seconde vague de mobilisation. « J’ai pris la décision de partir dès le début de la guerre, mais il m’a fallu près d’un an pour réussir à le faire », raconte-t-il. Ils sont arrivés en décembre avec sa femme Alisa après avoir trouvé un travail d’analyste financier dans une compagnie hongroise. Pour le moment, le couple se sent bien et en sécurité en Hongrie et n’envisage ni de retour en Russie, ni de poursuivre leur exil plus loin en Europe de l’Ouest. Alex ne voit pas trop de risque à manifester son opposition à la guerre, mais préfère tout de même ne pas se faire photographier.

Budapest, 25 février 2023. Photo : Corentin Léotard / CdEC
Des klaxons de soutien et des doigts d’honneur

Le couple est allé voir la manifestation pro-ukrainienne la veille en présence de réfugiés ukrainiens, de Hongrois et du maire de Budapest, Gergely Karácsony, qui a fait illuminer l’iconique Bastion des pêcheurs au bord du Danube aux couleurs de l’Ukraine. « Mais je ne me suis pas joint au cortège, j’ai eu le sentiment que c’était une manifestation qui leur appartenait, aux Ukrainiens, et que je n’y serais pas le bienvenu », pense Alex. Denis, un Russe qui vit à Budapest depuis de nombreuses années, parfaitement magyarophone, a lui participé au rassemblement jugeant que tout le monde y était au contraire bienvenu.

Le long de l’avenue Andrássy, des automobilistes klaxonnent en guise de soutien, mais d’autres lancent des insultes et adressent des doigts d’honneur aux manifestants, à la vue des drapeaux ukrainiens. « Des Ukrainiens », commente à voix basse une passante. « Ah putain… », répond son compagnon. La propagande intense des médias du pouvoir en faveur du Kremlin a fait son œuvre.

Le 25 février, l’émission francophone de Tilos Rádió était consacrée à ces exilés russes en Hongrie.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).