Piégé par la guerre en Ukraine, Viktor Orbán sur une ligne de crête diplomatique

Pris de court par l’invasion russe de l’Ukraine, le nationaliste hongrois, qui avait aligné sa diplomatie sur celle du Kremlin au cours des dernières années, a dû réajuster sa position en vitesse. 

L’agression russe de l’Ukraine est une bien mauvaise nouvelle pour Viktor Orbán qui vise un 4e quadriennat d’affilée le 3 avril. Le premier ministre hongrois a beaucoup misé sur le rapprochement diplomatique avec Moscou opéré depuis une décennie.

Le 1er février encore, alors que les tanks et les navires de guerre russes encerclaient déjà l’Ukraine, il se trouvait à Moscou pour signer de juteux contrats d’approvisionnement de gaz naturel russe. Outre le gaz, il était aussi question de plusieurs autres projets de coopération entre les deux pays : la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires de technologie russe à la centrale hongroise de Paks est imminente ; la construction et le financement d’une ligne ferroviaire traversant la Hongrie pour acheminer le fret chinois ; la production sur le sol hongrois de vaccins anti-Covid-19 Sputnik V (que la Hongrie est seule à inoculer dans l’UE) ; et même l’envoi d’un astronaute Hongrois dans la Station Spatiale Internationale en 2025, quarante-cinq ans après le triomphe de Bertalan Farkas avec la mission Soyuz 36 !

Une rencontre entre Orbán et Poutine à Moscou qui sentait très fort le gaz

Plus proche de Moscou…

Membre loyal de l’OTAN depuis son adhésion en 1999, le gouvernement hongrois prône dans le même temps une diplomatie commerciale d’« ouverture vers l’est » qui l’a conduit à renforcer ses liens politiques et commerciaux notamment avec la Turquie et l’Asie centrale, des partenaires dont il vante la proximité culturelle avec les Hongrois.

Vis-à-vis de la Russie, cette doctrine a pris la forme d’un alignement croissant sur la politique étrangère du Kremlin. A l’automne, Viktor Orbán soutenait Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie soupçonné de préparer l’éclatement de la Bosnie-Herzégovine. Puis au début de l’année, Budapest « a proposé son aide » au président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev confronté à une rébellion que les médias pro-gouvernementaux ont insidieusement présentée comme des troubles fomentés par l’Occident.

…que de Kiev

Au contraire, entre la Hongrie et son grand voisin de l’est, avec qui elle partage une centaine de kilomètres de frontière, les relations sont mauvaises et cela dure depuis plusieurs années. Depuis le vote d’une loi en 2017 qui restreint l’usage du hongrois dans les écoles de la minorité hongroise en Ukraine, Budapest accuse Kiev de brimer les droits linguistiques des quelques cent cinquante mille magyarophones qui vivent en Transcarpathie, adossés à la frontière hongroise.

Par mesure de rétorsion, la Hongrie bloque tout rapprochement euro-atlantique de l’Ukraine, que ce soit avec l’OTAN et l’Union européenne. Le chef de la diplomatie hongroise assure que cette dispute ne comporte « aucune dimension russe ». Mais Budapest ne se prive pas de profiter de la faiblesse actuelle de son voisin pour jouer sa carte. « Si les Ukrainiens ne reculent pas dans leur politique anti-minorité, cela limitera considérablement la capacité du gouvernement hongrois à fournir tout type de soutien à l’Ukraine », a glissé Péter Szijjártó peu avant le déclenchement de la guerre. C’est pour éviter que « ces armes ne se retournent contre les Hongrois », que Viktor Orbán s’est opposé à l’envoi d’armes à Kiev (Cf. ci-après).

Un réalignement hasardeux avec l’Union européenne

Que l’on n’en déduise pas pour autant que le premier ministre hongrois a pris le parti de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Il a condamné rapidement et sans ambiguïté l’agression russe, puis voté la panoplie de sanctions européennes contre la Russie. La Hongrie s’est même ralliée à la demande d’une dizaine de pays d’Europe de l’Est de proposer à l’Ukraine une procédure d’adhésion « express » à l’UE. « Au final, nous faisons partie de l’Occident », a justifié Orbán à la radio publique.

La Hongrie a aussi finalement donné feu vert à l’OTAN pour faire des manœuvres sur le sol hongrois, ce qu’elle avait refusé initialement, jugeant que les forces hongroises étaient en capacité de défendre le territoire, ce qu’a démenti par la suite le ministre de la Défense.

Toutefois, Viktor Orbán s’est nettement distingué de ses partenaires européens en refusant de livrer des armes aux forces ukrainiennes, mais aussi tout acheminement d’armes à destination de l’Ukraine via le territoire hongrois. L’opposition, en faveur de la livraison d’armes à Kiev dans le cadre de l’OTAN, y a vu un signe du « double jeu » de Budapest.

Si le gouvernement a voté jusque-là les sanctions européennes, tout en ne se privant pas de les critiquer et de les juger inutiles sinon contre-productives, il a fait savoir qu’il s’opposera à toute sanction remettant en cause les approvisionnements en gaz. Cela remettrait en cause les baisses des tarifs de l’énergie pour les foyers, une des pierres angulaires de la politique économique du Fidesz et une des clés de ses succès électoraux.

Lire Se passer du gaz russe ? La Hongrie et la Slovaquie y sont les plus dépendantes en Europe

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).