Selon le journal francophone « Le Monde », la mairie de Budapest a été remportée dimanche par un attelage sulfureux entre la gauche et l’extrême-droite. Ce n’est pas comme cela que nous analysons les choses.
La brillante victoire de l’opposition à Budapest et dans plusieurs grandes villes contre un parti hégémonique qui n’avait plus subi le moindre revers électoral depuis 2006 aurait été remportée au prix d’une alliance indigne entre la gauche et l’extrême-droite. Voilà comment les lecteurs du « Monde » comprendront le séisme politique qui s’est produit dimanche soir en Hongrie. C’est faire injure à tous ceux qui ont âprement lutté, dans des conditions difficiles, pour ré-insuffler un peu de démocratie dans un pays asphyxié. Avec succès, puisque Budapest, Miskolc, Pécs, Szombathely et d’autres villes importantes ont été remportées par une large coalition « anti-Fidesz », rassemblant tous les démocrates qui subissent la loi de Viktor Orbán : des écologistes, des socialistes, des sociaux-démocrates, des libéraux et Jobbik.
Qui a vu Jobbik dans la capitale ? Le parti était aux abonnés absents lors de la campagne. Il y a fort à parier que la majorité de ses électeurs ont préféré s’abstenir ou voter pour Robert Puzsér, le candidat indépendant. C’est d’ailleurs ce dernier que Jobbik soutenait, jusqu’à ce qu’il refuse de participer à l’élection primaire qui a désigné Gergely Karácsony, derrière lequel s’est finalement rangé le parti afin que « les électeurs budapestois d’opposition puissent choisir démocratiquement le meilleur candidat pour battre le Fidesz ». Mais Jobbik s’était montré très clair : « Gergely Karácsony n’est pas le candidat du Jobbik », et par conséquent son rôle s’est limité à s’effacer de la campagne. Cela ne lui a pas été difficile étant donné que le parti n’est plus que l’ombre de lui-même depuis le départ de son chef Gábor Vona l’année dernière et qu’il est quasi inexistant à Budapest (7 % aux municipales de 2014).
Fallait-il ou non coopérer avec Jobbik, un parti aux racines néo-nazies mais qui a entamé un recentrage il y a cinq ans déjà ? Fallait-il coopérer avec ce parti qui, aujourd’hui, condamne lui aussi l’agonie de la démocratie en Hongrie et la propagande qui s’abat depuis des années, qui affirme par exemple que l’émigration est le véritable fléau du pays et non l’immigration ? « Le Monde » oublie au passage que, s’il existe un parti authentiquement d’extrême-droite à l’heure actuelle en Hongrie, il s’agit de « Mi Hazánk », une scission de Jobbik, devenu « gauchiste » à son goût, soutenu en sous-mains par…le Fidesz.
Cette question, les gens de gauche se la sont évidemment posée…et l’on tranchée. L’éminente philosophe Ágnes Heller, décédée l’été dernier, a été la première, à la fin de l’année 2017, à accepter la main tendue du Jobbik, à prendre acte des mea culpa de son chef Gábor Vona, et à plaider pour une alliance avec lui. Elle a obtenu gain de cause, car en février 2018 un grand nombre d’intellectuels tels que l’historien Krisztián Ungváry et les sociologues Zsuzsa Ferge et Mária Vásárhelyi, appelaient à l’union sacrée contre Orbán : « trente ans après, nous assistons à la construction d’un nouveau parti unique », écrivaient-ils. A la fin de la même année, Jobbik défilaient aux côtés des autres partis contre la loi « esclavagiste ».
Alors que beaucoup considéraient, après sa troisième victoire aux législatives en 2018, que le Fidesz ne peut plus être battu par la voie des urnes ; qu’il fallait quitter le parlement et recourir à la désobéissance civile ; cette stratégie du front uni était perçue comme celle de la dernière chance. Grâce au concours de la société civile qui s’est mobilisée dans la capitale, elle a porté ses fruits et c’est une grande nouvelle. Car en Hongrie, la menace mortelle qui pèse sur la démocratie s’appelle Fidesz, pas Jobbik.
Lire l’article du « Monde » ici : « A Budapest, la gauche et l’extrême droite s’unissent contre le parti de Viktor Orban ».